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Article de presse: Le Caire renvoie les conseillers soviétiques

Publié le 22/02/2012

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18 juillet 1972 - Ivan achète la Pravda. Il lit un titre : " Un nouvel Etat accède à l'indépendance. " " Flûte, s'écrit-il, qu'est-ce que ça va encore nous coûter ! " Cette anecdote que l'on raconte à Moscou pourrait être mise, sans en changer un mot, dans la bouche de l'Américain moyen. Elle est significative de l'échec fondamental des tentatives des grandes puissances pour s'acheter les faveurs du tiers-monde, dont le congédiement par A. Sadate des " conseillers " soviétiques est la dernière illustration. Tant en URSS qu'aux Etats-Unis, une grande partie de la population a le sentiment d'avoir gaspillé ses ressources-et à l'occasion le sang de ses enfants-au profit d'incapables doublés d'ingrats. De leur côté, les peuples sous-développés qui se sont laissé prendre un moment aux démonstrations d'amitié désintéressée ont vite fait de découvrir les calculs stratégiques qu'elles recouvrent. La méfiance et les griefs s'installent. Nulle coopération, même scellée par les traités les plus solennels, même appuyée sur les investissements militaires et économiques les plus spectaculaires, ne saurait longtemps y survivre. Avec le mélange de candeur et de cynisme qui caractérise souvent leur diplomatie, les Américains ont la priorité dans cette triste histoire. Pour avoir tenté d'enrôler les peuples arabes sous la bannière de la croisade antisoviétique, John Foster Dulles a amené les Russes dans une région que Staline, pour sa part, n'avait jamais sérieusement songé à disputer aux Occidentaux. Il est surprenant que le Kremlin, qui a si bien profité de ces erreurs, se soit donné ensuite tant de mal pour les imiter. Il ne l'est évidemment pas que ces erreurs l'aient conduit, en fin de compte, à des déboires analogues. Peu de régions du tiers-monde ont échappé à un moment ou à un autre à cette lutte d'influence dans laquelle les apparents " succès " de l'un équilibrent d'autant plus ceux de l'autre que rien n'assure qu'ils sont définitifs. Après la guerre de six jours, il fallait être aveugle pour ne pas voir que l'URSS, tout en se gardant de faire pression sur les Arabes pour les amener à se montrer conciliants à l'égard d'Israël, était désormais déterminée, par souci de ne pas mettre en péril la paix nucléaire, à leur refuser les moyens d'une revanche militaire. Les Arabes, qui ne rêvent que de l'évacuation de leurs territoires, ne pouvaient en concevoir que du dépit. Le colonel Kadhafi est le premier à dire publiquement leur fait aux Soviétiques. Mais voilà que A. Sadate, qui a succédé à Nasser, conclut avec le leader libyen un accord d'union. Celui-ci ressemble trop à la défunte RAU pour que l'URSS n'y voie pas un danger. Ses amis du Caire, le vice-président Ali Sabri en tête, cherchent à faire échouer le projet et à déposer A. Sadate. Il évente le complot, les jette en prison. M. Podgorny, qui se précipite sur place, est reçu à bras ouverts. Les conjurés ont la vie sauve en échange de la signature d'un traité d'amitié et de coopération essentiellement destiné à désarmer les critiques de ceux qui, dans la direction du Kremlin, s'alarment de la tournure prise par les événements. Les rapports de confiance, qui dans la politique soviétique ont toujours un caractère tout à fait personnel, n'en sont pas moins brisés. Les rapports se détériorent entre les conseillers militaires soviétiques et les Egyptiens placés sous leurs ordres, qu'ils trouvent bien nonchalants : de leur côté, les militaires égyptiens acceptent mal d'être traités comme des bleus. Ils se demandent de plus en plus à quoi sert, en fin de compte, la présence sur leur sol de ces étrangers sinon à consolider la présence dans le Sinaï d'autres étrangers. L'idée de demander leur rappel fait vite son chemin. Quel but poursuit aujourd'hui le chef de l'Etat égyptien ? La réponse n'est pas claire. Ce qui est sûr, c'est que l'URSS aura englouti en pure perte sur les bords du Nil des ressources fantastiques, et qu'il lui faut liquider sans phrases un établissement militaire dont l'ampleur inquiétait, au-delà d'Israël, les experts de l'OTAN. " Avec l'argent qu'a coûté le matériel abandonné par les Egyptiens dans le Sinaï, disait déjà un Soviétique au lendemain de la guerre de six jours, nous aurions pu donner un million de voitures à nos compatriotes. " ANDRE FONTAINE Le Monde du 21 juillet 1972

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