Article de presse: Le Bénin élit son ancien dictateur
Publié le 22/02/2012
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18 mars 1996 - Des manifestations de joie, mais aussi de protestation, ont suivi, dimanche 24 mars, au Bénin, l'annonce officielle de la victoire du général Mathieu Kérékou, soixante-deux ans, à l'élection présidentielle. L'ancien dictateur l'emporte avec 52,49 % des voix, soit moins de 100 000 voix d'avance sur Nicéphore Soglo, chef de l'Etat sortant. Ce dernier, refusant de reconnaître sa défaite, a déposé des recours pour irrégularités.
Au Bénin, modèle de démocratisation en Afrique, un ancien dictateur vient d'être élu aussi démocratiquement que possible. Une très grande partie de la classe politique, qui s'était liguée, en 1990, pour s'assurer de l'éviction du général Mathieu Kérékou, s'est, cette fois, réunie autour de lui, en invoquant toujours la défense d'un " Etat de droit ", afin d'empêcher Nicéphore Soglo d'accomplir un second mandat présidentiel, alors que celui-ci, il y a six ans, avait été unanimement désigné pour s'installer au pouvoir et incarner le " Renouveau démocratique ".
Certes, M. Kérékou est un repenti qui a donné des gages de sa conversion. Il avait lui- même mis fin au régime marxiste-léniniste qu'il avait imposé pendant près de dix-sept ans " Ne m'appelez plus " camarade " , lança-t-il en 1989. Il avait lui-même décidé de libéraliser l'économie, mais il est vrai que le pays était ruiné et sous la pression des bailleurs de fonds. Après avoir accepté l'instauration du multipartisme, il avait accompagné, bon gré mal gré, un remarquable mouvement de transition en douceur vers la démocratie.
A l'encontre de ses proches et des dirigeants de l'ancien parti unique, il avait, en quelque sorte, retourné son uniforme, entérinant toutes les conclusions de la " Conférence nationale ", ces états généraux qui firent référence ailleurs sur le continent. Enfin, lors du scrutin présidentiel de 1991, malgré la vaste coalition politique vouée à sa perte, il avait réalisé un score très honorable face à M. Soglo, signe d'une popularité certaine.
Puis il s'est docilement effacé, s'opposant à la " réaction " éventuelle de l'armée (près de 70 % des militaires viennent de voter pour lui) et des nostalgiques les plus farouches de son parti. Pendant cinq ans, il a observé une réserve et un silence étonnants, ignorant les attaques répétées du président Soglo qui n'a cessé de rappeler les exactions et échecs de la dictature " militaro-marxiste ". Cette retraite complète et ce souci de respecter les nouvelles institutions ont joué incontestablement en sa faveur. Mais de là à penser qu'il puisse bénéficier d'un courant politique en tout point inverse à celui qui l'avait chassé du pouvoir au début de la décennie, il y avait un pas que peu de Béninois osaient franchir, voici encore quelques mois.
Dès l'annonce officielle et tardive de sa candidature, en janvier, le général a bénéficié d'une levée de boucliers " anti-Soglo ", d'autant plus comparable au mouvement " anti- Kérékou " de 1990-1991 que ce sont, pour la plupart, les mêmes personnalités qui se sont mobilisées dans l'un et l'autre cas. Pourtant, les succès de M. Soglo sont indéniables. Ils ont trait pour l'essentiel au redressement spectaculaire de l'économie et des finances. Mais la politique d'ajustement structurel, menée par cet ancien administrateur de la Banque mondiale, a été douloureuse. Nombre d'employés du secteur public, dont le régime précédent avait décuplé les effectifs, ont été condamnés au chômage. Beaucoup de Béninois n'ont pas encore tiré profit de la reprise de la croissance. Aussi M. Kérékou a-t-il pu se présenter comme " le candidat des exclus et des défavorisés ".
Le caméléon
D'autre part, si l'ex-tyran sous le signe du caméléon, son emblème officiel s'est mué en démocrate, M. Soglo a lui aussi changé. Ce technocrate, volontiers méprisant, s'est laissé aller à un autoritarisme peu compatible avec la démocratisation à laquelle les Béninois prenaient de plus en plus goût. Sa manière de s'entourer d'un clan familial envahissant, les accusations de " népotisme " ou de favoritisme à l'égard de ses amis, lors de privatisations ou de l'octroi d'importants marchés d'Etat, ses conflits répétés avec l'Assemblée nationale, ont tôt fait de lui aliéner collaborateurs, ministres, ou hommes politiques parmi les plus précieux.
On les retrouve maintenant dans le camp du général Kérékou. Ses décisions de gouverner par ordonnances, devant l'hostilité du Parlement, de recourir aux services d'un " roi de la pègre " pendant sa campagne, puis son refus d'admettre sa défaite ses proches prétendent même qu'il vient de remporter l'élection haut la main ont achevé de convaincre que M. Soglo n'était plus forcément le candidat de la démocratie, face à un adversaire qui a revêtu des habits neufs. L'atout majeur et paradoxal de celui-ci aura été le ralliement de beaucoup de ceux qui, autrefois, furent ses victimes ou le combattirent résolument. " Sa dictature ne fut pas l'une des plus brutales ", déclare l'ancien président Justin Ahomadegbé, qui fut renversé par le commandant Kérékou, en 1972, et passa ensuite neuf ans dans les geôles de la " République populaire "...
Le dernier à avoir rejoint le " caméléon " est un homme de poids : Adrien Houngbédji, condamné à mort sous la première présidence Kérékou, qui a obtenu près de 20 % des suffrages au premier tour du scrutin et jouit, à Paris, de solides amitiés dans la majorité actuelle. L'appui de celui que certains voient déjà premier ministre, est déterminant. Car le nouveau pouvoir devra rassurer, tant au plan international que national. Au cours des cinq années passées, le Bénin, grâce à sa bonne image politique et économique, a bénéficié d'une bienveillance particulière des bailleurs de fonds.
Le grand rassemblement autour de M. Kérékou est un atout qui peut devenir handicap, à cause de son manque d'homogénéité : le nouveau président aura du mal à satisfaire tout le monde. Les calculs et les ambitions de ceux qui se sont servis de sa popularité " Il était le seul capable de vaincre Soglo ", avouait, sans plus d'enthousiasme, Albert Tévoédjré, principal artisan du ralliement , pourraient se retourner contre lui. L'expérience subie par M. Soglo a montré que les plus larges coalitions demeurent fragiles.
FRANCIS CORNU
Le Monde du 26 mars 1996
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