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Article de presse: Le 37e Tour de France

Publié le 17/01/2022

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13 juillet 1950 - Comme le dit Paul Haedens avec une nuance d'admiration : " Le Tour c'est bien le seul spectacle qui puisse commencer à 5 heures du matin, avant que marche le métro. " Il y a déjà cinq mille personnes autour des barrières qui ceinturent le Palais-Royal. Tout à l'heure il y en aura dix mille. Petit peuple de Paris, le chef coiffé de visières publicitaires, en proie aux vendeurs d'éditions spéciales avec primes, et qui admire le spectacle avec ingénuité. On se désigne de groupe à groupe les personnalités : " Le grand, en blouson bleu, c'est Emile Prudhomme, l'accordéoniste. Tu sais, c'est celui qui a le mieux remplacé Mimile Vacher... " Ma voisine est une commère à cheveux gris sous la teinture jaune paille. C'est elle qui tient ces propos de haute musicologie. Sylvère Maes passe sans que nul le reconnaisse. Il est directeur sportif de l'équipe belge, mais la roue tourne vite pour les anciens vainqueurs du Tour. Le public, sagement aligné derrière ses barrières, n'attend que les coureurs, les vrais, pas les " ex ". S'il reconnaît et applaudit Charles Pélissier, c'est que son nom est peint sur sa voiture. En attendant l'arrivée de ceux-ci, il s'amuse au spectacle papillotant des camions aux couleurs vives et des suiveurs aux combinaisons tendres. La musique des gardiens de la paix installée sur le terre-plein joue un pas redoublé d'Ambroise Thomas dont le titre-en 1950-est tout un programme : le Caïd. A la queue leu leu, les caïds de la caravane publicitaire s'en vont. Jean Garnault, chien de berger de l'organisation, s'affaire et invective-déjà !-contre un maladroit qui barre la route. Gros effet : une fanfare bretonne en habit, chapeaux claque et melons, vient jouer une aubade à Robic. Médusés, les gardiens de la paix la laissent franchir les barrages aux accents de... la Marche lorraine. Soudain, devant le Conseil d'Etat au fronton fleuri de spectateurs (mais comment diable sont-ils grimpés là ?), les photographes s'empressent. C'est l'équipe italienne qui s'aligne. Un tonnerre d'acclamations : c'est Louison Bobet, pimpant dans son maillot de champion de France. Mais déjà j'ai cessé de regarder les coureurs. Le seul spectateur qui m'intéresse, c'est un bambin à la frimousse à la fois éveillée et grave, aux longs cheveux bouclés, et qui, un grand journal à la main, s'efforce d'identifier Marinelli et Kubler. Ce gamin passionné, c'est le petit Roberto Benzi. Ne lui parlez pas de Beethoven ou de Mozart! A peine consent-il à signer distraitement un carnet d'autographes que lui tend un agent. Ce petit d'homme n'a d'yeux que pour les géants de la route, et il donnerait tous les triomphes à Carnegie Hall pour un maillot jaune ! Les champions sont maintenant rassemblés. On place un fanion rouge entre les mains d'un gros monsieur frisé et souriant, visiblement mal éveillé, négligemment vêtu de bleu marine un peu fripé, et qui serre la main de Bartali pour les photographes. " C'est Orson Welles, dit ma voisine. Tu sais, le troisième homme ! " Bruits de moteurs qu'on met en marche. Acclamations, sprint des envoyés spéciaux vers leurs voitures. Pierre Bloch, président générale de la SNEP, coupe rituellement un ruban tricolore. Orson Welles abaisse son drapeau et saute dans l'auto de Jacques Goddet. Des maillots défilent, que le public, extasié, identifie au passage : " C'est les Ile-de-France. Bravo. Brûlé! Voilà les Bretons. Tiens où est donc Robic ? " Robic est déjà passé. Par modestie pure il n'a pas mis son fameux casque et cache ses yeux sous des verres fumés. Mais il se dandine sur son vélo pour bien montrer qu'il est là. C'est fini. Dans le métro, un sceptique-le seul-résume ses impressions : " C'est joli, ce départ. Mais c'est à l'arrivée qu'il faudra les voir... "

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