Article de presse: L'avenir incertain du non-alignement
Publié le 22/02/2012
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3-9 septembre 1979 - L'affrontement Tito-Castro au sixième sommet des pays non alignés, à la Havane, a finalement été moins sévère qu'on ne le prévoyait. Non que les chefs de file des deux tendances qui divisent le mouvement aient aplani leurs divergences, mais parce qu'ils ont accepté de ne les évoquer qu'à demi-mots.
Il revenait à Fidel Castro, en tant que représentant du pays hôte, de parler le premier. Sans rien renier de ses thèses sur la " solidarité naturelle " du bloc soviétique avec les pays non alignés, le chef de l'Etat cubain a surtout cherché à justifier dans son discours les liens privilégiés qui unissent Cuba à l'URSS. Sans le soutien soviétique, a-t-il dit en substance, la révolution cubaine n'aurait pas survécu. Cuba ne peut pas l'oublier. Cela dit, a-t-il ajouté, Cuba " ne veut imposer son radicalisme à personne, encore moins aux non-alignés " et fera preuve pendant les trois années durant lesquelles lui revient la présidence du mouvement " de patience, de prudence, de souplesse et de sérénité ".
Le maréchal Tito a choisi, semble-t-il, de prendre Fidel Castro au mot. En une demi-heure, il s'est contenté d'exposer sans esprit polémique les principes historiques d'un mouvement dont il est le seul fondateur survivant : opposition à la politique des blocs et à toute forme d'hégémonie politique et économique, droit de chaque pays à la liberté, à l'indépendance et au développement autonome. Sans citer ni Cuba ni l'URSS, mais l'allusion était claire, le chef de l'Etat yougoslave a ajouté : " Nous n'avons jamais accepté d'être la courroie de transmission de qui que ce soit. " Que le conflit n'ait pas éclaté entre les deux hommes qui incarnent deux périodes de l'histoire ne signifie cependant pas qu'il ait été résolu. Simplement ni Fidel Castro ni le maréchal Tito n'ont intérêt aujourd'hui à déclencher une scission claire et nette dans le mouvement, pourtant combien hétéroclite, dont ils se réclament. Pour le maréchal Tito, l'issue d'un affrontement ouvert serait incertain : les pays que l'on qualifie de " modérés ", et qui se méfient autant que la Yougoslavie des ambitions soviétiques, sont loin d'appartenir à la même famille politique et ne sont souvent animés d'aucun esprit militant. Il en va tout à fait différemment de ceux qui suivent Fidel Castro : dépendant économiquement et militairement de l'URSS, la lutte est pour eux une question de vie ou de mort. Que deviendraient le Vietnam, l'Ethiopie, l'Angola, le Mozambique, Cuba, sans l'aide soviétique?
Les dirigeants cubains semblent avoir parfaitement compris ces différences de motivations. Et, pour Fidel Castro, l'opposition yougoslave à ses thèses est sans doute supportable dans la mesure où le maréchal Tito-qui est âgé de quatre-vingt-sept ans-ne sera pas toujours là pour donner à la fraction qu'il incarne un prestige exceptionnel. Une fois le chef de l'Etat yougoslave disparu, il est probable que Cuba accentuera son action pour rallier le mouvement à ses conceptions, quitte à abandonner en chemin quelques pays déjà prêts, de toute façon, au boycottage du mouvement. Les promesses " de prudence et de sérénité " de Fidel Castro risquent alors de ne pas peser lourd.
La thèse exposée par le chef de l'Etat cubain sur la " reconnaissance " de la Havane à l'égard de Moscou serait en effet plus convaincante s'il avait évité de reprendre à son compte tous les aspects de la politique extérieure soviétique, brossant le tableau manichéen d'un monde divisé en anges et en démons, s'érigeant en grand prêtre infaillible d'une religion de l'histoire dont l'histoire nous a pourtant appris à douter.
BULLETIN DE L'ETRANGER
Le Monde du 6 septembre 1979
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