Devoir de Philosophie

Article de presse: L'arrêt de mort des communistes indonésiens

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

30 septembre 1965 - A Djakarta, la nuit du 30 septembre 1965 à 4 heures du matin, des camions militaires foncent vers les quartiers résidentiels noyés dans la verdure des jardins. En quelques minutes, six généraux constituant le haut état-major de l'armée de terre sont enlevés par des commandos appartenant à la garde présidentielle. Trois d'entre eux qui tentent de résister sont abattus. Les survivants seront tués un peu plus tard, à la base aérienne de Halim, quartier général de la rébellion, proche de la capitale. Un seul, mais le plus important, a réussi à s'échapper : le général Nasution, ministre de la défense, considéré comme le successeur possible de Sukarno. Simultanément, les points stratégiques que sont, autour de la grande place de l'Indépendance, le palais présidentiel, la radio et les télécommunications sont occupés par des troupes récemment amenées à Djakarta pour la célébration du Jour des forces armées, le 5 octobre. A 7 heures du matin, le 1er octobre, le Mouvement du 30 septembre diffuse son premier communiqué par la voix de son chef, le lieutenant-colonel Untung, officier de la garde présidentielle. Il déclare que son action, " strictement intérieure à l'armée ", est dirigée contre un " conseil des généraux " qui projetait, avec l'aide de la CIA, un coup d'Etat contre le régime du président Sukarno. Les membres du Mouvement se définissent comme des " officiers progressistes ", fidèles à la politique de Sukarno. Tout en annonçant la constitution d'un Conseil de la révolution, ils dénoncent avec amertume la corruption des généraux. Mais le Mouvement ne va pas réussir à obtenir de Sukarno, venu lui aussi à Halim, la caution décisive dont il avait sûrement espéré se prévaloir il ne sera pas suivi en province, à de rares exceptions près, et dès lors il va tourner court. Le commandement de l'armée s'est rapidement reconstitué sous l'autorité du général Suharto, inconnu du grand public, mais hiérarchiquement le plus haut placé après Nasution. Dès le soir du 1er octobre, il a isolé les rebelles et repris la situation en main. Un équilibre rompu Tout aurait pu s'arrêter là. Mais cette nuit du 30 septembre sera un tournant de l'histoire de l'Indonésie, car elle va amener l'élimination sanglante du Parti communiste indonésien (PKI), l'éviction du président Sukarno et la prise du pouvoir par l'armée. La tentative de putsch manquée a précipité en effet la lutte de succession et rompu l'équilibre fragile que Sukarno avait réussi à maintenir entre les forces politiques ennemies : l'armée et les communistes. Malgré de graves revers dans le passé, le PKI est alors en pleine expansion sous la direction de son président, D.N. Aidit. Dès 1955, il est apparu comme la quatrième formation politique du pays, après les nationalistes et les partis musulmans. Depuis, il n'a cessé de progresser, et, en 1965, il revendique trois millions d'adhérents, sans compter ses organisations de masse, pour lesquelles il avance le chiffre de vingt millions (l'Indonésie compte alors cent millions d'habitants). Face à une armée farouchement anticommuniste-comme elle l'a prouvé à plusieurs reprises,-le parti s'abrite derrière la protection présidentielle. La dynamique révolutionnaire impulsée par Sukarno joue en sa faveur. La force du PKI est de pouvoir mobiliser des milliers de manifestants, soit qu'il dénonce à grands cris les " capitalistes-bureaucrates ", enrichis grâce aux deniers publics et qui ne sont autres que des généraux placés à la tête des entreprises hollandaises nationalisées, soit qu'il essaie d'imposer des conseils ouvriers dans ces entreprises ou qu'il réclame l'application de la réforme agraire, dûment votée en 1959, mais qui se heurte à des résistances farouches. En 1963, les paysans sans terre de Java la surpeuplée (l'île regroupe 65 % de la population du pays mais ne représente que 7 % de son territoire) s'emparent " unilatéralement " des terres tombant sous le coup de la redistribution. L'armée vient dans plusieurs cas à la rescousse des propriétaires, souvent musulmans il y a des heurts violents, des victimes. Pour reprendre le mot du sociologue néerlandais W.F.Wertheim, c'est l'irruption de la lutte des classes dans ces villages et ces rizières où l'éthique javanaise et des relations sociales fondées sur le clientélisme assuraient jusqu'ici l'harmonie. Si cette crise paraît à certains une étape vers un futur triomphe communiste, elle est aussi pour le PKI l'occasion de mesurer l'ampleur de la réaction qu'il affronte et sa propre fragilité... Si l'on peut en croire certains témoignages, obtenus, il est vrai, par des juges militaires pour des procès avant tout politiques, mais qui paraissent néanmoins fiables, la direction du PKI a apporté un soutien restreint au Mouvement du 30 septembre contre l'adversaire commun : de jeunes communistes, entraînés à la base de Halim dans le cadre de la confrontation contre la Malaysia, ont participé à l'action contre les généraux D.N. Aidit se trouvait à Halim le 30 septembre-même si le rôle qu'il y joua est resté inexpliqué enfin le quotidien communiste a publié une déclaration de soutien au Mouvement du 30 septembre. Cela a suffi à l'impliquer. Mais le PKI, qui misait sur une approche légale du pouvoir en s'alignant sur Sukarno, n'aurait-il pas, en fait, été piégé dans un complot aux ramifications encore mystérieuses, visant à l'associer à une action meurtrière permettant de déclencher contre lui la répression ? Le 4 octobre, on découvre les cadavres des généraux, qui avaient été dissimulés dans un puits abandonné, à Halim. Le lendemain, de solennelles funérailles nationales portent l'émotion à son comble. Le président Sukarno n'y assiste pas. L'heure est au drame. La presse militaire appelle à la vengeance contre les communistes. Avec l'appui à peine dissimulé de l'armée, les étudiants musulmans et catholiques (il y a en Indonésie une influente minorité catholique) s'organisent en un mouvement, le KAMI, qui descend à son tour dans la rue pour réclamer l'interdiction du PKI, que Sukarno refuse toujours de prononcer. De terribles massacres Un contre-pouvoir à la puissance de Sukarno se met peu à peu en place, sans trop vouloir d'abord apparaître comme tel, autour du général Suharto. Le 14 octobre, Sukarno, pour éviter une crise ouverte, se voit contraint de lui confier officiellement la direction de l'armée, ce qu'il avait souhaité éviter. Aussitôt, les parachutistes sont envoyés à Java Centre, bastion communiste, pour une terrible chasse aux sorcières. Des massacres sans précédent commencent alors, qui vont s'étendre par la suite aux autres îles de l'archipel. Peu à peu filtrent d'horribles récits de rivières chargées de cadavres, d'exécutions en masse. Les victimes n'opposent pratiquement pas de résistance. Le chef des parachutistes, le colonel Sarwo Edhie, confiait à un journaliste américain : " A Java, il fallait encourager les gens pour qu'ils tuent les communistes, à Bali, il fallait les retenir ", admettant ainsi calmement que l'armée avait organisé les massacres. A Java, les Jeunesses musulmanes y jouent un rôle actif. " Les communistes nous avaient pris nos terres ", dira-t-on au même journaliste. Ce bain de sang-y a-t-il eu 500 000 ou 1 million de morts ? personne n'a pu le dire avec certitude-projette soudain l'Indonésie à la une des journaux. Le Parti communiste indonésien est décapité, annihilé pour de longues années. Les survivants, les sympathisants, sont jetés dans des camps où ils resteront, sans jugement pour la plupart, quelque quinze ans. Pourtant, tout n'est pas encore joué. Sukarno refuse d'entériner la nouvelle orientation, tentant de sauver ce qu'il peut de la révolution. Il devient la cible des étudiants, toujours maîtres de la rue, l'armée feignant de voir en eux l'expression d'une " volonté populaire ". Le 11 mars 1966, c'est l'épreuve de force. Des troupes " inconnues ", en fait les parachutistes de Sarwo Edhie, entourent le palais, où Sukarno a réuni le nouveau gouvernement, dont la composition est un véritable défi à l'armée. Sukarno se réfugie en hélicoptère à Bogor. Le soir même, il est obligé de céder une partie de ses pouvoirs à Suharto, qui, dès le lendemain, fait interdire le PKI. Peu à peu déconsidéré par des révélations scandaleuses, le président résiste jusqu'en mars 1967, date à laquelle une Assemblée du peuple dûment épurée porte le général Suharto à la présidence. Assigné à résidence, malade, Sukarno mourra en 1970. FRANCOISE CAYRAC-BLANCHARD Le Monde du 6-7 octobre 1985

« complot aux ramifications encore mystérieuses, visant à l'associer à une action meurtrière permettant de déclencher contre lui larépression ? Le 4 octobre, on découvre les cadavres des généraux, qui avaient été dissimulés dans un puits abandonné, à Halim.

Lelendemain, de solennelles funérailles nationales portent l'émotion à son comble.

Le président Sukarno n'y assiste pas. L'heure est au drame.

La presse militaire appelle à la vengeance contre les communistes.

Avec l'appui à peine dissimulé del'armée, les étudiants musulmans et catholiques (il y a en Indonésie une influente minorité catholique) s'organisent en unmouvement, le KAMI, qui descend à son tour dans la rue pour réclamer l'interdiction du PKI, que Sukarno refuse toujours deprononcer. De terribles massacres Un contre-pouvoir à la puissance de Sukarno se met peu à peu en place, sans trop vouloir d'abord apparaître comme tel,autour du général Suharto.

Le 14 octobre, Sukarno, pour éviter une crise ouverte, se voit contraint de lui confier officiellement ladirection de l'armée, ce qu'il avait souhaité éviter.

Aussitôt, les parachutistes sont envoyés à Java Centre, bastion communiste,pour une terrible chasse aux sorcières. Des massacres sans précédent commencent alors, qui vont s'étendre par la suite aux autres îles de l'archipel.

Peu à peu filtrentd'horribles récits de rivières chargées de cadavres, d'exécutions en masse.

Les victimes n'opposent pratiquement pas derésistance.

Le chef des parachutistes, le colonel Sarwo Edhie, confiait à un journaliste américain : " A Java, il fallait encourager lesgens pour qu'ils tuent les communistes, à Bali, il fallait les retenir ", admettant ainsi calmement que l'armée avait organisé lesmassacres.

A Java, les Jeunesses musulmanes y jouent un rôle actif.

" Les communistes nous avaient pris nos terres ", dira-t-onau même journaliste.

Ce bain de sang-y a-t-il eu 500 000 ou 1 million de morts ? personne n'a pu le dire avec certitude-projettesoudain l'Indonésie à la une des journaux.

Le Parti communiste indonésien est décapité, annihilé pour de longues années.

Lessurvivants, les sympathisants, sont jetés dans des camps où ils resteront, sans jugement pour la plupart, quelque quinze ans. Pourtant, tout n'est pas encore joué.

Sukarno refuse d'entériner la nouvelle orientation, tentant de sauver ce qu'il peut de larévolution.

Il devient la cible des étudiants, toujours maîtres de la rue, l'armée feignant de voir en eux l'expression d'une " volontépopulaire ".

Le 11 mars 1966, c'est l'épreuve de force.

Des troupes " inconnues ", en fait les parachutistes de Sarwo Edhie,entourent le palais, où Sukarno a réuni le nouveau gouvernement, dont la composition est un véritable défi à l'armée.

Sukarno seréfugie en hélicoptère à Bogor.

Le soir même, il est obligé de céder une partie de ses pouvoirs à Suharto, qui, dès le lendemain,fait interdire le PKI. Peu à peu déconsidéré par des révélations scandaleuses, le président résiste jusqu'en mars 1967, date à laquelle uneAssemblée du peuple dûment épurée porte le général Suharto à la présidence. Assigné à résidence, malade, Sukarno mourra en 1970. FRANCOISE CAYRAC-BLANCHARD Le Monde du 6-7 octobre 1985. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles