ARTICLE DE PRESSE: L'Afrique, nouvelle frontière de l'Eglise
Publié le 22/02/2012
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Dans des pays où les noviciats et les séminaires sont parfois les derniers lieux d'études sérieux, on peut s'interrogersur la sincérité de telles vocations.
Quoi qu'il en soit, les prêtres, les missionnaires, les catéchistes, les laïcs, bienformés et actifs, n'arrivent plus à répondre à la demande et passent leur temps à essayer de joindre les deux bouts.Non rémunérés, ils sont souvent obligés d'ouvrir un petit élevage ou un commerce.
" On nous demande de faire del'évangélisation, mais dites-nous d'abord comment payer notre essence ? ", se lamente un prêtre dont la paroisse,près d'Ouagadougou, couvre 90 villages.
Au total, plus de la moitié du budget des diocèses dépend des subsides duVatican, de congrégations missionnaires, d'organisations comme Misereor en Allemagne, le Secours catholique ou leCCFD en France.
Sans eux, des séminaires, des écoles, des dispensaires seraient asphyxiés.
Cette pauvreté des Eglises africaines s'aggrave à un moment où elles doivent faire face à une triple concurrence,celle des sectes, des croyances traditionnelles et de l'islam.
Car, si les lieux de culte chrétiens se remplissent, ils sevident parfois aussi vite dans une sorte de va-et-vient religieux qui n'appartient qu'à l'Afrique.
Les sectes "explosent ", certaines importées (Témoins de Jehovah), d'autres de fabrication locale (Christianisme céleste auBénin et en Côte-d'Ivoire ou Karambiri au Burkina-Faso).
Il faut les distinguer des multiples Eglises évangéliques, desAssemblées de Dieu et des Eglises indépendantes (Eglise kibanguiste au Zaïre ou Eglise harriste en Côte-d'Ivoire)qui, plus tôt que les autres, ont su faire de l'évangélisation directe, intégrer la lecture de la Bible et la musiquelocale, répondre aux besoins culturels.
Les plus actives font du porte-à-porte, achètent les conversions par des promesses de guérison et d'exorcisme, pardes rites magiques et des séances de transe collective.
Elles attaquent les autres Eglises chrétiennes, qu'ellesrêvent pourtant d'imiter, comme les Chrétiens célestes, qui portent la soutane.
Leur succès, comme la remontée descultes païens, est lié à l'insécurité et à la violence, au poids des coutumes, au " terrorisme de l'invisible ", comme ditJoseph Compaoré, jésuite burkinais.
Près d'Ouagadougou, deux cents femmes âgées, chassées de leur village commesorcières, ont dû être enfermées dans une sorte d'hospice-prison.
En ville, les enseignes de marabouts et de féticheurs fleurissent à chaque coin de rue.
Dans les villages, des lieuxsacrés sont vénérés, comme ces arbres où, pour se protéger des mauvais esprits ou obtenir une faveur, l'hommevient déposer de la volaille, des oeufs, des ignames, des moutons ou simplement de la banane écrasée.
Dès qu'unmalheur arrive dans la famille - un deuil, une maladie, un accident - , bien que l'on soit chrétien, musulman ouadepte d'une secte, on va consulter le marabout.
Une maladie n'est jamais purement organique, ni un accident, lefruit du hasard.
Le marabout désigne un ou des responsables, exige une mise à l'épreuve, voire un sacrifice animal.
Tout se passe comme si le christianisme et l'urbanisation n'avaient touché qu'une partie marginale de la population,et de manière superficielle.
" L'attachement à la racine, à l'invisible revient dans les moments de maladie oud'épreuve ", explique le Père Compaoré.
Avec ses communautés de base, ses réseaux qui irriguent chaque village,l'effort de l'Eglise catholique se résume à l'éducation de la conscience et de la foi.
" Dans nos homélies, dit le curéde Saint-François-Xavier, à abobo-gares, un quartier d'Abidjan, nous ne cherchons pas à agresser la religiontraditionnelle.
Mais nous demandons constamment aux fidèles de dédramatiser la peur du sorcier.
Nous leur disonsque Dieu les aime, que rien - ni la dévaluation, ni la pauvreté, ni le chômage - , rien ne les sépare de Dieu ".
L'autre grande menace est celle de l'islam.
S'il n'a pas partout la dimension sectaire et agressive qu'on lui connaît auSoudan ou en Libye, dans des pays musulmans plus modérés il est aussi travaillé par des courants extrémistes.
EnCôte-d'Ivoire, l'islam s'est implanté grâce aux commerçants venus du Nord (Niger, Mali).
Les musulmans (40 % de lapopulation) y contrôlent aujourd'hui la moitié du secteur privé de l'économie, le commerce, les transports, l'import-export.
De jeunes musulmans vont faire des études à Al Azhar ou à la Mecque.
Ils en reviennent, remarque un prêtred'Abidjan, " avec d'autres manières de prier et un peu plus d'intolérance ".
Leur presse est agressive.
L'un de sesthèmes passe-partout est l' " alliance " que le pape aurait contractée avec les Etats-Unis pour " la construction d'unnouvel ordre international sous la houlette chrétienne et politique des Américains ".
" L'Eglise chrétienne va t-ellediriger le monde ? ", interroge un hebdomadaire musulman ivoirien.
Dans des pays où les relations religieuses sont courtoises comme en Côte-d'Ivoire ou au Burkina, cette montée del'islam trouble les épiscopats et les responsables du clergé.
Les moins pessimistes constatent qu'en cherchant àencadrer la jeunesse, à approcher les élites intellectuelles, à ouvrir des " séminaires " ou des dispensaires, à faire duquadrillage social, les musulmans ne font, somme toute, qu'imiter les méthodes de l'Eglise catholique.
Les plusréalistes admettent aussi qu'il y a autant d'islams que de pays en Afrique et qu'il faut se garder de généraliser.
Maisils font remarquer que l'islam n'oblige pas le fidèle à rompre avec le culte des ancêtres et que, grâce à la polygamiepar exemple, il s'adapte mieux aux cultures locales que le christianisme, identifié à la religion des Blancs et desriches Européens.
Le principal enjeu pour les confessions en Afrique est la pénétration des cultures locales.
A cet égard, lecatholicisme a pris du retard et la menace la plus grave qui pèse sur lui est une " évangélisation " restée en surface.Comment éviter de penser, par exemple, que les Tutsis et les Hutus, qui se font la guerre au Burundi et au Rwanda,ont été formés par les mêmes missionnaires chrétiens et fréquentent les mêmes églises ? " Ils se massacrent enoubliant qu'ils sont frères, déplore le Père René Luneau.
Combien de temps faudra-t-il pour que l'Evangile de lafraternité soit vraiment entendu ? "
HENRI TINCQLe Monde du 9 avril 1994.
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