Article de presse: L'Afrique a faim
Publié le 17/01/2022
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13 juillet 1985 - La pénurie alimentaire qui affecte l'Afrique tient en quelques chiffres, mais demande à l'évidence plusieurs types d'explications!
C'est assurément sur ce continent que les problèmes, à cet égard, sont les plus graves puisque, sur les trente-huit pays recensés par le Système mondial d'information et d'alerte rapide de la FAO en 1984, vingt-six sont des Etats africains. Dans onze pays d'Afrique, la récolte de 1984 est terminée et s'annonce déjà inférieure à celle de 1983. Selon le programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies et de la FAO, la production alimentaire de l'ensemble du continent tombera vraisemblablement au-dessous de 100 kilos par habitant pour l'année 1984, alors que le besoin individuel est d'environ 145 kilos.
En effet, la pénurie alimentaire affecte toute la région qui, de Djibouti à Dakar, traverse l'Afrique d'est en ouest: elle " mord " jusqu'en zone équatoriale (le nord de la Côte-d'Ivoire et du Nigeria par exemple) et frappe gravement aussi certains pays situés au sud de l'Equateur tels que le Mozambique. En plusieurs points, par exemple, d'Ethiopie, du Soudan et du Tchad, où la guerre civile fait rage, c'est-à-dire où des facteurs politiques s'ajoutent aux éléments climatiques, la situation est dramatique. Mais il faut resituer ces cas dans le contexte de l'ensemble du continent noir.
Globalement, la production alimentaire a baissé en Afrique entre 1970 et 1980 de 10 %. Dans certains pays (par exemple en Angola, en Gambie, au Ghana, en Mauritanie, au Mozambique, au Sénégal et en Somalie) cette baisse atteint même 20 %.
Toutes les catégories de production sont touchées par cette diminution: aussi bien les " cultures de rente " (riz, maïs, arachide, tabac), qui rapportent aux pays d'Afrique les devises dont ils ont besoin, que les cultures vivrières, indispensables à l'alimentation quotidienne, telles que le mil et le sorgho.
Or la population, elle, évolue en sens inverse: selon les projections de la Banque mondiale et des Nations unies, la population du continent, qui était de 470 millions d'habitants en 1980, atteindra 850 millions en l'an 2000. Son taux de croissance dépasse 3 % par an, soit le taux le plus élevé de la planète. Si l'évolution actuelle n'est pas enrayée, le nombre des personnes sous-alimentées, qui dépassait déjà les 70 millions au milieu des années 70, approcherait les 100 millions en 1990 et 130 millions en l'an 2000.
Pas de pluie, trop de vent
Les causes de cette situation sont évidemment multiples, à commencer par les facteurs proprement climatiques. Toute cette zone est affectée par un déficit pluviométrique, en réalité ininterrompu depuis 1968, et dont la " grande sécheresse " de 1973 n'a constitué que l'apogée.
Ce déficit a provoqué un abaissement considérable, parfois un assèchement de la nappe phréatique (l'eau souterraine peu profonde, où s'approvisionnent les paysans), d'où aussi l'abaissement du niveau des fleuves. Ce dernier provoque à son tour des remontées d'eau de mer dans le lit des fleuves, ce qui stérilise les terres, normalement très fertiles, des berges. Ces remontées salines atteignent en certains cas plusieurs centaines de kilomètres à l'intérieur des terres.
S'ajoute à cela l'action du vent: chaque année le Sahara, le plus grand désert du monde, arrache au sol, et " exporte " 60 à 200 millions de tonnes de poussières (que l'on distingue du sable à leur diamètre, microscopique) et 10 à 20 millions de tonnes de sable.
Ces phénomènes naturels sont bien entendu indissociables des facteurs proprement humains de la sécheresse et de la désertification.
Celle-ci, qui affecte chaque année environ 1,5 million d'hectares sur les bordures du Sahara et progresse, alvéole par alvéole, de plusieurs kilomètres par an, est aussi due à la pression démographique elle-même, à l'extension des villes, à la quête effrénée de bois de chauffe, seule source d'énergie bon marché.
Restent enfin les facteurs politiques de la sécheresse et de la désertification, donc de la crise alimentaire qui frappe le continent.
Dans le Sahel, les pluies ont, de tout temps, été irrégulières et violentes. La population l'a toujours su, qui avait trouvé un remède empirique à cette irrégularité: la transhumance. Les déplacements des hommes et de leurs troupeaux s'effectuaient traditionnellement sur des zones immenses. La balkanisation de l'Afrique, la monétarisation des rapports sociaux, l'extension des cultures de rente-le paysan doit cultiver pour vendre et non plus pour se nourrir-ont rendu ces migrations très difficiles et la jachère traditionnelle, ou mise au repos des sols, quasi impossible. D'où l'épuisement des sols, que ne peut compenser l'achat d'engrais modernes, trop onéreux.
D'une manière générale, l'agriculture, en Afrique, n'a pas, depuis vingt ans, fait l'objet d'investissements proportionnés à l'ampleur de la crise: la culture mécanisée et même la culture attelée y restent l'exception. Pour ne citer que cet exemple, 95 % des exploitations au Burkina (ex-Haute-Volta) fonctionnent à l'énergie manuelle.
C'est dans ces conditions que se pose le problème de l'aide alimentaire. Une aide que l'état archaïque des transports sur le continent noir et la médiocrité des conditions d'acheminement rendent très difficile à répartir.
CLAIRE BRISSET
Le Monde du 14 novembre 1984
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