Article de presse: La sortie sans gloire du vieux général javanais
Publié le 17/01/2022
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Asie, au coeur de ce club si dynamique formé par l'Asean, l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, l'Indonésie faisait figurede pilier.
Le bébé-tigre indonésien naissait.
C'était oublier que l'Indonésie se portait à peine mieux que les Philippines, au sortir des vingt ans de pillage par les Marcos, etqu'elle gardait bien des caractéristiques du tiers monde : régime politique autocratique et rétrograde ; corruption et pratiquesfinancières osées ; développement industriel sans grande valeur ajoutée ; formation limitée ; écarts criants de revenus ; et pourseules valeurs sûres à l'exportation, l'exploitation et, dans le cas des forêts, le pillage de matières premières.
L'horizon barré degratte-ciel flambant neufs de Djakarta cachait donc une réalité plus triste et, surtout, un éventail de bidonvilles mi-ruraux mi-urbains dont surgiraient, à l'occasion de la première grave crise, les vandales du 14 mai 1998.
Trente-deux ans de règne
L'itinéraire suivi par Suharto n'est pas toujours annonciateur de ce qu'il fera de son succès.
Javanais des environs deYogyakarta, donc de modeste origine rurale, il s'engage en 1940, après des études primaires, dans la milice indigène de l'arméedes Indes néerlandaises.
Il est sergent en 1942 quand le Japon occupe Java et, l'année suivante, s'engage dans la Peta, les " défenseurs de la patrie " ,armée levée par les Japonais.
Le voilà formé et très vite capitaine.
En 1945, quand l'indépendance est proclamée, il rejointl'armée nationale, se distingue dans les combats contre les Hollandais et se retrouve lieutenant-colonel lors du transfert officiel, en1949, de la souveraineté.
Il se bat également en Irian Jaya, possession hollandaise dont l'ONU reconnaîtra l'intégration à laRépublique indonésienne.
Circonstance-clé : le général Suharto commande, depuis 1963, Kostrad (les réserves stratégiques, unité d'élite) quand six deses collègues sont assassinés le 1 er octobre 1965.
Calmement, mais sans état d'âme, Suharto prend les choses en main, démantèle le système Sukarno, écarte progressivement du pouvoir son unique prédécesseur, dirige une terrible répression et, aubout du compte, se fait élire en 1968 président par une Assemblée consultative du peuple, laquelle lui renouvellera six fois desuite ce mandat quinquennal.
Un règne commence.
Un règne à la javanaise, sans flamboyance, celui d'un homme reclus, d'une fermeté à toute épreuve, piètre orateur et sans grandcharisme, mais dont la volonté et l'autorité ont impressionné tous ceux qui l'ont rencontré.
Suharto recule pour mieux sauter.
Il contourne les obstacles, se montre rarement, ne cajole guère les foules, auxquelles il préfère de plus rassurants défilésmilitaires, fait valser ses collaborateurs.
Main de fer dans un gant de velours, il n'aime pas la confrontation mais n'hésite pas pourautant à écarter de son chemin tous ceux qui peuvent lui faire de l'ombre.
L'usure du pouvoir et la plus grave crise économique régionale depuis son accession au pouvoir vont mettre à nu les défauts dusystème.
L'illusion s'évanouit.
Classes moyennes et étudiants, qui sont les produits du système, se retournent contre lui quand, enéchange de leur silence, on ne leur offre que l'inflation, l'austérité, le chômage ou l'évanouissement de leurs ambitions.
Moinseffrayés que leurs aînés, les étudiants sont les premiers à manifester, au début de 1998, contre le gouvernement.
Le trônechancelle.
L'appel à l'aide internationale, à l'heure de CNN, les crédits du FMI contraignent Suharto à se battre un bras dans ledos.
Il le fait.
Il dit " oui " , publiquement, à Michel Camdessus et " non " , en privé, à Bill Clinton.
Entre-temps, il réaffirme sonautorité en obtenant, par acclamation, un septième mandat présidentiel de l'Assemblée consultative du peuple, dont la majoritédes membres a été choisie par lui.
Mais l'environnement s'est trop dégradé pour qu'il ne s'agisse pas d'un combat d'arrière-garde.Suharto rate ainsi une sortie à laquelle il n'avait jamais réellement songé.
JEAN-CLAUDE POMONTILe Monde du 22 mai 1998.
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