ARTICLE DE PRESSE: La révolution conservatrice américaine
Publié le 17/01/2022
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7 avril 1995 - Au terme de la période de " cent jours " que s'était fixée le principal chef de file du Grand Old Party, Newt Gingrich, speaker de la Chambre des représentants, les républicains peuvent se flatter d'avoir, dans l'ensemble, tenu leurs promesses électorales. Le " Contrat avec l'Amérique " a été respecté, méthodiquement, dans son ambition et dans ses limites : il s'agissait de soumettre dix mesures législatives au vote des représentants. C'est fait.
Au Sénat maintenant de jouer les censeurs, de trouver un terrain d'entente, si possible, avec le chef de la Maison Blanche. Le " Contrat ", cette bible politique, a été lue tous les matins dans l'hémicycle, et les 231 membres républicains de la Chambre basse du Congrès s'étaient engagés à en respecter l'esprit et la lettre par un véritable " serment de loyauté " envers un homme, Newt Gingrich. Ce tribun toujours impopulaire auprès des Américains, mais doté d'un indéniable ascendant sur ses pairs, a bien été l'artisan du changement.
Ce nostalgique des valeurs morales s'est battu sans relâche pour faire prévaloir le point de vue de l' " Amérique profonde ", par opposition à cette élite washingtonienne influencée par un " establishment journalistique socialiste " qui est, selon lui, l' " ennemi mortel " des républicains. Jour après jour, la " révolution newtonienne " a pris forme, se fixant un cap : rendre aux Etats les pouvoirs accaparés par la capitale fédérale et, pour le reste, à droite toute ! Cette guerre éclair a souvent relégué le président Bill Clinton au rôle de spectateur, l'obligeant à faire du suivisme, voire à " copier " les promesses républicaines en faveur de la classe moyenne.
Mais ce recul lui a aussi permis d'adopter une stratégie politique. Par opposition à un Congrès républicain attentif à l' " Amérique qui gagne ", il se veut, lui, le défenseur de l'Amérique qui " travaille et qui peine ", celle des minorités, des femmes et des enfants, des vieux, des anciens combattants, bref des catégories sociales dont les modestes économies, assurent les démocrates, vont financer les promesses grandioses du " parti de l'éléphant ".
" Robin des Bois à l'envers "
Les Cent-Jours... Comment Newt Gingrich, qui se réfère si souvent à Churchill et Roosevelt, et n'hésite pas à se comparer à de Gaulle, pourrait-il renier un parrainage avec Napoléon Ier, Waterloo, en principe, mis à part ? L'unique rappel historique que l'on puisse faire à propos de ces " cent jours " républicains, prétend l' " homme de Géorgie ", ce sont les débuts du New Deal, en 1933, lancé pour triompher de la crise de 1929. Le seul précédent à ce train de réductions d'impôts particulièrement ambitieux, c'est celui proposé par Ronald Reagan en 1981. L'équivalent, enfin, d'une remise en cause aussi radicale de l' " Etat-providence ", n'existe pas : les propositions républicaines à propos du welfare state reviennent à effacer une large part du programme social de la " Grande Société " lancée par Lyndon Johnson, il y a trois décennies.
Le trait décoché récemment par le vice-président Al Gore a fait mouche : le " Contrat avec l'Amérique ", c'est " Robin des bois à l'envers " : prendre aux pauvres pour donner aux riches ! Il n'est pas impossible que M. Clinton parvienne à avoir le beau rôle en usant, comme il l'a promis, de son droit de veto, à l'encontre des dispositions les plus extrêmes du " Contrat ", à commencer par la réforme fiscale.
Si toutefois les sénateurs, qui se sont déjà opposés à l'amendement constitutionnel instituant l'équilibre budgétaire, ne confirmaient pas leur intention de faire preuve de davantage de responsabilité fiscale. " Nous n'avons pas été élus pour adopter systématiquement tout ce que fait la Chambre ", a souligné Robert Dole, le chef républicain de la majorité sénatoriale. Combien de temps les républicains, emmenés par le " général " Gingrich, vont-ils pouvoir conserver un tel rythme législatif ?
Questions brûlantes
Cette première bataille des " cent jours " a été gagnée relativement facilement, et surtout en sauvegardant l'unité du Parti républicain. Or tout porte à croire que Newt Gingrich a mangé son pain blanc. Les vraies querelles commencent demain, à propos de questions brûlantes comme l'avortement, le contrôle des armes à feu, la prière à l'école, l'immigration légale et illégale et, surtout, cette dangereuse remise en cause du principe de la " discrimination positive " en faveur des femmes et des minorités (les Noirs notamment), appelé " affirmative action ". Sur tous ces sujets, de profondes divisions vont apparaître entre républicains " modérés " et " conservateurs " de la Chambre des représentants, comme entre celle-ci et le Sénat.
De multiples groupes de pression vont peser sur les travaux du Congrès, de la " droite religieuse " au puissant groupement des fabricants d'armes à feu, la NRA (National Rifle Association). La " révolution " de Newt Gingrich entre dans une période plus troublée, celle qui précède la campagne électorale présidentielle de 1996. D'ores et déjà, les " candidats à la candidature " républicaine se " marquent " mutuellement. L'unité du Grand Old Party va être mise à mal avant longtemps. Comment, dans ces conditions, conserver les faveurs de l'électorat? Déjà, 47 % des Américains, selon un sondage publié par le New York Times, se disent " plutôt déçus " par les " cent jours ". Or c'est la première fois, en quarante ans, que les républicains sont majoritaires au Congrès. Qui sait ? Bill Clinton pourrait lui aussi faire un parallèle historique : après les Cent-Jours, l'Ancien Régime est revenu...
LAURENT ZECCHINI
Le Monde du 8 avril 1995
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