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Article de presse: La rencontre des deux K

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

3 juin 1961 - Le rideau est tombé sur cette rencontre de Vienne, qu'il serait abusif de comparer en quoi que ce soit au congrès de jadis. Khrouchtchev a pris ce matin à 9 heures l'avion pour Moscou, suivant de peu Kennedy, parti hier soir avec un retard d'une heure et demie sur l'horaire, dû à la prolongation de son entretien avec le maître du Kremlin. L'annonce de ce changement de programme avait fait naître un certain espoir. On pensait que les Deux Grands s'étaient attaqués à quelque problème précis, à propos duquel ils étaient parvenus au moins à une amorce de solution. La lecture du communiqué commun, par Kharlamov et Salinger, devait montrer la vanité de ces spéculations. Il fallait vraiment le parti pris d'optimisme des rares journalistes soviétiques venus à Vienne et de leurs confrères polonais pour trouver dans ce document ou dans les indications complémentaires recueillies dans les deux délégations les indices d'un progrès quelconque. D'après les renseignements que nous avons pu rassembler, les deux présidents, lorsque ont débuté leurs entretiens, samedi avant le déjeuner, dans le salon de musique de la résidence de l'ambassadeur américain, sont convenus de parler d'abord du Laos. Chacun exposa dans le détail sa position sans qu'apparaisse aucun point nouveau par rapport à ce qui est du domaine public depuis longtemps. De là on passa à un tour d'horizon général des problèmes mondiaux, qui donna au président des Etats-Unis l'occasion d'insister sur la nécessité d'éviter toute " erreur de calcul ", dont les conséquences pourraient être dramatiques. Son interlocuteur s'en déclara bien d'accord, tout en faisant remarquer que cette remarque valait également pour l'Occident. On parla un peu de tout, de Cuba, de l'admission de la Chine aux Nations unies, et même, selon certains, de l'Algérie. Mais il ne s'est agi en aucune manière d'une discussion. Là aussi, chacun a exposé ses thèses, d'abord en se tenant sur ses gardes, puis, au fur et à mesure que le temps passait, avec une franchise croissante, qu'on s'est plu, de part et d'autre, à reconnaître. Le ton a toujours été fort courtois, sans menace ni éclat de voix, mais chacun s'en est tenu à sa ligne traditionnelle. Dimanche matin, les deux " K " se sont retrouvés, cette fois à l'ambassade soviétique. Ils se sont attaqués au désarmement, ont évoqué les négociations qui doivent s'ouvrir prochainement à ce sujet entre les deux pays. Khrouchtchev a admis l'existence d'un lien entre ces négociations et celles qui se poursuivent à Genève sur l'arrêt contrôlé des expériences nucléaires. La question de la " troika " Aussitôt est venue sur le tapis la question de la " troïka ", sur laquelle le président du conseil soviétique s'est longuement étendu. On sait en effet que, depuis quelques semaines, les pourparlers atomiques, sur lesquels la nouvelle équipe américaine fondait de grands espoirs, sont dans l'impasse la plus totale, du fait que Moscou réclame un droit de veto au sein de la commission qui serait chargée de contrôler la réalité de l'arrêt des expériences. Il ne s'agit là, pour les Russes, que de l'application à un cas particulier des modifications qu'ils ont réclamées l'hiver dernier à propos du secrétariat général des Nations unies, et qui tend à substituer à Hammarskjöld (le secrétaire général de l'ONU) un organisme tripartite : un Occidental, un communiste, un neutre, chacun disposant du veto. Les Américains avaient le sentiment qu'il s'agissait là d'un tournant de la politique russe. M. " K " le leur a confirmé, et leur en a expliqué la raison : l'affaire du Congo. Les initiatives qu'y a prises M. " H " l'ont en effet convaincu qu'il n'existait pas de possibilité d'arbitrage entre les deux blocs parce que chacun, volens nolens, appartient à un des deux blocs. Si l'on n'est pas communiste, on est anticommuniste, a-t-il dit hier sans ambages à M. Kennedy. On ne voit plus désormais quel miracle pourrait relancer la négociation de Genève. Simples allusions à l'éventualité d'une visite Quant à l'éventualité d'une visite de Kennedy à Moscou, elle n'a été évoquée que deux fois. D'abord au déjeuner de samedi, à l'ambassade américaine. Khrouchtchev porta alors un toast dans lequel il dit en substance que son hôte serait le bienvenu s'il avait l'intention un jour de se rendre en URSS. Puis le lendemain, lorsque le président du conseil soviétique, avisant une de nos consoeurs de la TV d'outre-Atlantique, qui avait réussi à lui prendre une interview l'an dernier à New-York, lui dit : " Venez me voir et amenez votre président avec vous. " Ledit président, quant à lui, s'est bien gardé de faire écho, en quoi que ce soit, à ces avances. On en vint à Berlin et à l'Allemagne. Khrouchtchev insista sur la nécessité, conforme à l'en croire à l'intérêt général, de transformer en " ville libre " les secteurs occidentaux de l'ancienne capitale, et de signer un traité de paix avec les deux Allemagnes, dont l'existence est un fait, a-t-il dit, dont il serait tout de même temps que les Occidentaux reconnussent l'existence. Mais son discours fut relativement modéré, et il n'aurait pas insisté, dit-on, sur l'urgence d'une solution. Quant à Kennedy, il a redit pourquoi les Etats-Unis n'entendaient ni s'engager dans des pourparlers avec la RDA, ni s'incliner devant une éventuelle modification unilatérale du statu quo berlinois, qui aboutirait à remettre en cause, de quelque manière que ce soit, les droits des alliés. Il a renouvelé avec une grande netteté, à ce propos, la mise en garde générale contre toute erreur de calcul qu'il avait adressée la veille à Khrouchtchev. Parvenu à ce point de leurs conversations, les deux présidents constatèrent qu'ils n'avaient pas grand-chose de positif à livrer à une opinion mondiale, qui serait fort déçue de les voir se séparer sur un procès-verbal de carence. Ils décidèrent donc de revenir au problème sur lequel leurs vues sont les plus proches-ce Laos par quoi ils avaient commencé la veille leur tour d'horizon. Khrouchtchev, fort désireux de donner au communiqué final un tour concret, fit un pas dans la direction des Américains en acceptant de reconnaître l'importance d'un arrêt " effectif " des hostilités. Pour le reste, le texte, dû à la collaboration de Rusk et Gromyko, ne fait que répéter des principes sur lesquels on est d'accord depuis des semaines déjà, et qui n'ont pas empêché l'actuelle impasse de Genève. On nous assure à ce sujet, de source américaine, que la question du droit de veto au sein de la commission de contrôle n'a pas été abordée hier. C'est pourtant un des points sérieux d'accrochage à la conférence des Quatorze. Les contacts seront maintenus De tout cela, les collaborateurs de Kennedy déduisaient hier soir que tout s'était passé conformément aux prévisions, que personne n'avait cédé de terrain, et qu'il n'y avait pas lieu, après cette réunion, d'être plus optimiste ou plus pessimiste qu'auparavant. D'où vient alors que, du côté soviétique, on affiche une grande satisfaction? Faut-il croire, comme le disent certains confrères des pays de l'Est, que l'on nous cache certaines choses, et que l'on s'est mis d'accord sur certains points précis? A vrai dire, on voit mal lesquels. A moins que la discussion sur l'arrêt des essais nucléaires n'ait amené M. Kennedy à dire qu'une des raisons principales pour lesquelles les Etats-Unis souhaitaient parvenir à un traité était la nécessité d'empêcher d'autres pays-parmi lesquels l'Allemagne-de détenir eux aussi la bombe atomique. Quand on sait les craintes que cette perspective éveille du côté russe, il est possible que Khrouchtchev considère comme fort important que le nouveau président des Etats-Unis entende empêcher l'Allemagne de devenir une puissance nucléaire. Mais, à supposer que cette hypothèse soit conforme à la réalité, Khrouchtchev n'avait pas besoin de venir à Vienne pour s'en convaincre. Alors pourquoi a-t-il provoqué cette rencontre ? " Simplement sans doute pour voir à quoi ressemblait Kennedy ", répond à cette question une des personnalités américaines le mieux au fait de la politique soviétique. A quoi cette personnalité ajoutait que le président paraissait avoir produit une assez forte impression sur son interlocuteur. Quant aux Soviétiques des couloirs, ils disaient que sa personnalité avait été jugée intéressante et sympathique. En tout cas, l'hypothèse d'un rebondissement de la tension soviéto-américaine dans les semaines qui viennent paraît aujourd'hui improbable. Une phrase sur la nécessité de maintenir des contacts a été introduite en tout cas in fine dans le communiqué. ANDRE FONTAINE Le Monde du 6 juin 1961

« modification unilatérale du statu quo berlinois, qui aboutirait à remettre en cause, de quelque manière que ce soit, les droits desalliés.

Il a renouvelé avec une grande netteté, à ce propos, la mise en garde générale contre toute erreur de calcul qu'il avaitadressée la veille à Khrouchtchev. Parvenu à ce point de leurs conversations, les deux présidents constatèrent qu'ils n'avaient pas grand-chose de positif à livrer àune opinion mondiale, qui serait fort déçue de les voir se séparer sur un procès-verbal de carence.

Ils décidèrent donc de revenirau problème sur lequel leurs vues sont les plus proches-ce Laos par quoi ils avaient commencé la veille leur tour d'horizon. Khrouchtchev, fort désireux de donner au communiqué final un tour concret, fit un pas dans la direction des Américains enacceptant de reconnaître l'importance d'un arrêt " effectif " des hostilités.

Pour le reste, le texte, dû à la collaboration de Rusk etGromyko, ne fait que répéter des principes sur lesquels on est d'accord depuis des semaines déjà, et qui n'ont pas empêchél'actuelle impasse de Genève.

On nous assure à ce sujet, de source américaine, que la question du droit de veto au sein de lacommission de contrôle n'a pas été abordée hier. C'est pourtant un des points sérieux d'accrochage à la conférence des Quatorze. Les contacts seront maintenus De tout cela, les collaborateurs de Kennedy déduisaient hier soir que tout s'était passé conformément aux prévisions, quepersonne n'avait cédé de terrain, et qu'il n'y avait pas lieu, après cette réunion, d'être plus optimiste ou plus pessimistequ'auparavant.

D'où vient alors que, du côté soviétique, on affiche une grande satisfaction? Faut-il croire, comme le disent certains confrères des pays de l'Est, que l'on nous cache certaines choses, et que l'on s'est misd'accord sur certains points précis? A vrai dire, on voit mal lesquels.

A moins que la discussion sur l'arrêt des essais nucléairesn'ait amené M.

Kennedy à dire qu'une des raisons principales pour lesquelles les Etats-Unis souhaitaient parvenir à un traité étaitla nécessité d'empêcher d'autres pays-parmi lesquels l'Allemagne-de détenir eux aussi la bombe atomique.

Quand on sait lescraintes que cette perspective éveille du côté russe, il est possible que Khrouchtchev considère comme fort important que lenouveau président des Etats-Unis entende empêcher l'Allemagne de devenir une puissance nucléaire.

Mais, à supposer que cettehypothèse soit conforme à la réalité, Khrouchtchev n'avait pas besoin de venir à Vienne pour s'en convaincre.

Alors pourquoi a-t-il provoqué cette rencontre ? " Simplement sans doute pour voir à quoi ressemblait Kennedy ", répond à cette question une des personnalités américaines lemieux au fait de la politique soviétique.

A quoi cette personnalité ajoutait que le président paraissait avoir produit une assez forteimpression sur son interlocuteur.

Quant aux Soviétiques des couloirs, ils disaient que sa personnalité avait été jugée intéressante etsympathique.

En tout cas, l'hypothèse d'un rebondissement de la tension soviéto-américaine dans les semaines qui viennent paraîtaujourd'hui improbable.

Une phrase sur la nécessité de maintenir des contacts a été introduite en tout cas in fine dans lecommuniqué. ANDRE FONTAINE Le Monde du 6 juin 1961. »

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