ARTICLE DE PRESSE: La réduction des déficits publics
Publié le 22/02/2012
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5 décembre 1995 - On aurait tort d'imaginer que la préparation d'une union monétaire en Europe est l'unique cause des politiques budgétaires plus sévères, menées dans plusieurs pays de l'Union, combinant hausses d'impôts et réductions de dépenses publiques. Le traité de Maastricht impose bien un certain nombre de disciplines économiques et financières aux nations désireuses d'adopter à partir de 1999 une monnaie unique. Mais ces disciplines, sous une forme ou sous une autre, se seraient de toute façon imposées en Europe, comme elles s'imposent déjà en Amérique du Nord et dans la plupart des autres pays industrialisés.
Les périodes de fièvre sociale comme celle que connaît actuellement la France sont souvent l'occasion de remises en cause de choix majeurs et d'interrogations sur leur bien-fondé. Cela avait été le cas en mai 1968, alors que la France achevait de digérer un dur plan d'austérité, dont les conséquences avaient été aggravées par l'une des pires récessions qu'ait connues l'Allemagne, notre principal partenaire. Cela risque d'être de nouveau le cas, alors que, dans une conjoncture européenne peu brillante, faite de chômage et de piétinement de la production, se multiplient les contraintes qui devraient conduire dans trois ans à la constitution d'une union monétaire.
Les véritables causes de l'austérité budgétaire que beaucoup de pays européens commencent à s'imposer ne viennent pourtant pas de Maastricht, même si le traité force dans certains cas à accélérer la cadence. On pense bien sûr à l'Italie, qui, après tant d'années d'atermoiements, n'accepterait probablement pas les sacrifices actuels si le risque n'existait pas pour elle d'être laissée définitivement hors de l'UEM par l'Allemagne et la France. Et il est vrai qu'un chômage important, la baisse continue du pouvoir d'achat depuis 1993, l'alourdissement de la fiscalité, les coupes pratiquées dans les dépenses publiques, peuvent susciter de l'autre côté des Alpes les mêmes questions et peut-être les mêmes rejets qu'en France. Plus encore peut-être depuis que l'Italie a, en août dernier, renoncé à un système de retraite particulièrement confortable, caractérisé notamment par un " taux de remplacement " unique sur notre continent, puisqu'il peut aller jusqu'à 80 % du salaire antérieur.
Dangereuses spirales
Un rapport que vient de publier la Commission économique des Nations unies pour l'Europe risque d'accroître la confusion en conseillant de retarder l'entrée dans l'union monétaire. Arguments avancés : les disciplines requises pour satisfaire aux critères de Maastricht arrivent au moment où la reprise ne s'est pas encore affirmée. Mauvais moment donc. Le rapport ne remet pas en cause l'intérêt d'une union monétaire pas plus que la nécessité d'un assainissement des finances publiques. Mais le fait de reprendre l'idée, largement défendue en Grande-Bretagne comme en Allemagne, d'un cheminement plus lent vers la phase finale de l'union fait supporter au traité de Maastricht des responsabilités qu'il n'a pas.
S'il est un pays loin de l'Europe et de Maastricht qui s'impose de durs sacrifices, c'est bien le Canada. Difficile, sauf en Italie, de trouver programme plus rigoureux de redressement des finances publiques : blocage des salaires dans la fonction publique, diminution des effectifs des fonctionnaires, réduction des prestations d'assurance-chômage et des dépenses de défense nationale, moindres transferts aux provinces, notamment en matière sociale, baisse des subventions aux entreprises, relèvement des taxes sur le tabac, l'essence, et majoration des impôts sur les bénéfices des sociétés.
A partir d'un déficit budgétaire catastrophique, avoisinant 6 % du PIB en 1992-1993, Ottawa s'est fixé pour 1996-1997 un objectif de 3 %, qui correspond aux normes de Maastricht. L'assainissement des comptes publics a d'abord été assez rapide, facilité par une conjoncture favorable, la forte croissance de 1994 ayant d'abord permis de notables économies d'assurance-chômage. Le ralentissement de l'activité cette année a joué en sens inverse et le Canada aura quelque difficulté à respecter à temps ses objectifs d'assainissement budgétaire, encore que les excellents résultats obtenus par la Banque centrale en matière d'inflation aient permis un abaissement substantiel des taux d'intérêt.
Faire baisser les taux d'intérêt : voilà, pour de nombreux pays, l'objectif ultime. Non pas seulement ou non pas surtout parce que des taux faibles stimulent les investissements et la croissance économique. Mais bien plutôt parce que des taux longs élevés ruinent littéralement les Etats endettés. Le Canada est l'un d'entre eux et, probablement, l'un des plus gênés, encore que, depuis le début des années 90, la faute en incombe davantage aux provinces qu'au pouvoir central, rendant le problème plus difficile à régler que dans les pays centralisés. Si le Canada, qui n'a pas les contraintes du traité de Maastricht, s'est imposé lui aussi une cure d'austérité draconienne, c'est bien parce que le poids des intérêts de sa dette publique est devenu insupportable, passant de 13,5 % du PIB en 1980 à 66 % en 1995. A eux seuls les intérêts payés par l'Etat et les collectivités locales sur leurs emprunts représentent chaque année l'équivalent de 5 % de la richesse nationale. Le Canada n'est pas seul dans cette situation inconfortable, qu'il partage avec l'Italie mais aussi avec la Belgique et, dans une moindre mesure, la Suède.
En fait et dans des proportions variables, les dettes publiques empoisonnent les économies de presque tous les pays développés, faisant monter les taux (l'Etat accapare l'épargne privée et en prive les entreprises), réduisant à presque rien les marges de manoeuvre des gouvernements incapables de financer des actions nouvelles.
L'endettement net des pays industrialisés, qui n'avait cessé de diminuer depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a commencé à augmenter à partir du premier choc pétrolier de 1974, puis n'a cessé de s'aggraver, passant de 15 % du PIB à 20 % en 1980 et à 45 % cette année, seules la Grande-Bretagne et la Norvège échappant au danger. Car, au-delà d'un certain niveau, la dette publique enclenche des spirales ruineuses : les intérêts annuels qu'elle coûte déséquilibrent les budgets et ces déficits accroissent la dette... Des spirales qui peuvent in fine conduire certains pays à des situations d'insolvabilité totale.
De tels krachs ne se produisent que rarement, mais le risque est bien réel. Il explique que des pays comme l'Italie, le Canada ou la Belgique aient finalement décidé de prendre le taureau par les cornes, se fixant comme objectif un excédent budgétaire primaire, c'est-à-dire des recettes publiques supérieures aux dépenses, hors charges de la dette. Objectif déjà atteint en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Italie, mais qui est plus gage de rigueur retrouvée que certitude de désendettement. Car il y faut aussi une croissance économique supérieure au coût de l'argent. Les péchés dans ce domaine ne s'effacent pas facilement.
Les Etats-Unis eux-mêmes n'échappent pas à la spirale et c'est pourquoi, au-delà de leurs querelles, le Congrès et la Maison Blanche se sont entendus pour supprimer le déficit budgétaire qui, pour l'année 1995 (théoriquement terminée en octobre), a atteint 163 milliards de dollars. L'objectif est là de retrouver l'équilibre en sept ans. Républicains et démocrates sont tombés d'accord sur l'essentiel, qui est de mettre un terme au gonflement d'une dette multipliée par dix en vingt ans (en dollars courants).
Il y a maintenant belle lurette que les marchés qui font les monnaies et les taux d'intérêt ne nourrissent plus aucune " illusion budgétaire " : un déficit se finance par l'inflation ou se combat par l'austérité. La première solution se paie cher, la seconde est tôt ou tard récompensée. Avec ou sans le traité de Maastricht.
ALAIN VERNHOLES
Le Monde du 8 décembre 1995
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