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Article de presse: La libération de la Corse

Publié le 17/01/2022

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9 septembre 1943 - Le 9 septembre 1943, la nouvelle éclate comme un coup de tonnerre : la résistance corse a lancé le mot d'ordre d'insurrection et s'est emparée du pouvoir jusque-là assumé par le gouvernement de Vichy. Elle s'est assurée de la bienveillante neutralité des troupes italiennes jusqu'alors ennemies et a demandé leur aide aux autorités d'Alger. L'Italie a en effet signé l'armistice avec les Alliés, ce qui conduit les Allemands à occuper la péninsule. Le général Etterlin, commandant de la Sardaigne et de la Corse, reçoit l'ordre d'évacuer celle-là (30 000 rescapés de l'Afrika korps chassés de Tunisie s'y reposent) et d'occuper celle-ci, qui servira, précise Berlin le 13 septembre, de base de transit et de départ pour ses troupes de Sardaigne. Etterlin occupe toute la plaine orientale de la Corse après avoir pris Bastia sans combat. Mais c'est aussi le 13 septembre que débarquent à Ajaccio les premiers renforts envoyés d'Alger. Cent sept hommes du bataillon de choc, qui seront progressivement rejoints par 6 000 tirailleurs marocains - goumiers et tabors, - constitueront le corps expéditionnaire. Le 4 octobre, Bastia est reprise et l'île entière est libérée. De Gaulle peut y effectuer les 6, 7 et 8 octobre un voyage triomphal. En coulisse se développe pourtant la lutte pour le pouvoir politique et le premier département français libéré offre à cet égard un saisissant spectacle. De Gaulle écrira plus tard, dans ses Mémoires de guerre : " En juillet et en août 1943, les services secrets du général Giraud déployèrent, à mon insu, une grande activité pour armer la résistance corse (...). Toutes ces armes, reçues et réparties par les chefs du Front national, achèvent de conférer à Giovoni et Vittori le monopole de l'autorité. Les chefs communistes prirent sous leur coupe l'ensemble des résistants où, cependant, les membres de leur parti n'étaient qu'une minorité. " Il ne faudra que deux mois à de Gaulle pour amener Giraud à quitter le gouvernement d'Alger. L'affaire corse aura joué le rôle du détonateur. Ambiance de psychose L'épuration " municipale " s'était accomplie sans incidents majeurs, mais le plus souvent dans une ambiance de psychose. Restait l'autre épuration, qui ne pouvait être aussi expéditive. A Ajaccio, le 30 septembre 1943, André Philip avait annoncé la création d'une commission départementale d'épuration, " composée d'anciens magistrats restés à l'écart des luttes politiques, chargée de recueillir avec objectivité toutes les plaintes légitimes et de procéder aux sanctions nécessaires ". Cette commission est saisie de 848 cas. Nulle publicité n'est donnée à ses travaux ni à ses décisions, ce qui est surprenant lorsqu'on sait la " soif de vérité " qui habite les intransigeants de l'épuration. Sur ces 848 dossiers, 547 sont classés sans suite et 301 peines d'internement ou d'assignation à résidence confirmées. A l'automne 1944, une fois le gouvernement installé à Paris, on institue en Corse, comme dans tous les départements libérés, des cours de justice - du ressort de chaque cour d'appel - et des chambres civiques, qui en sont une section. A l'inverse de la première épuration, les débats seront publics. En cette fin de l'hiver 1943-1944, ceux qui avaient cru qu'avec la Libération reviendraient très vite l'abondance et le pain blanc doivent déchanter. En Corse comme ailleurs sévit le marché noir, que les autorités s'efforcent de combattre. On annonce périodiquement l'arrestation de " mercantis " et l'on publie dans les journaux la liste des commerçants sanctionnés pour " hausses illicites " ou stockage abusif. Le marché noir - et parfois le trafic avec l'occupant - ont procuré à beaucoup d'énormes bénéfices, origine de la fortune des " nouveaux riches ". Il en est d'ailleurs ainsi dans tous les pays occupés, et c'est pourquoi le gouvernement d'Alger a pris la décision, une fois la France libérée, d'appliquer des mesures draconiennes. Premier département libéré et île de surcroît, la Corse est dans ce domaine comme dans les autres un intéressant laboratoire expérimental. Impôt exceptionnel Le diagnostic résulte d'une simple constatation : la masse des billets en circulation est trois fois plus importante en valeur que celle des produits offerts au niveau officiel des prix. La situation ne peut être assainie que par le blocage d'une partie des coupures et l'institution d'un impôt exceptionnel sur la fortune. Le moyen d'y parvenir est l'échange des billets, qui s'opérera sous l'impulsion de Pierre Mendès France, ministre de l'économie nationale. Fin octobre, les billets de 500, 1 000 et 5 000 francs en circulation en Corse (émis par la Banque de France) reçoivent l'estampille " Trésor ". Ils n'ont plus cours légal hors de l'île : ni en France continentale (dont la Corse restera coupée pendant une année encore) ni en Algérie (où les billets sont émis par la banque du même nom). Une monnaie corse, en quelque sorte. On n'avait pas vu ça depuis la République paoline du dix-huitième siècle. Les regards de tous les Corses sont alors, comme avant la guerre, tournés vers Paris. L'île aspire à être de nouveau - autant que faire se peut car la flotte et les ports ont gravement souffert des bombardements - normalement reliée au continent. PAUL SILVANI Le Monde du 6 septembre 1993

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