Article de presse: La guerre oubliée entre l'URSS et le Japon
Publié le 22/02/2012
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20 août 1939 - Le 20 août 1939, Staline, qui mettait alors la dernière main au Pacte germano-soviétique - dont la signature serait annoncée trois jours plus tard, - lançait plusieurs divisions de l'armée rouge épaulées par des unités mongoles contre la VIe armée japonaise, qui avait envahi la République populaire mongole. En quelques jours de très violents combats, les Japonais étaient écrasés et se repliaient en désordre. C'était la fin du rêve des militaires nippons de s'emparer de la Mongolie et de l'Extrême-Orient soviétique. Staline avait gagné la paix sur ses frontières orientales et brisé l'espoir du IIIe Reich de conclure une alliance offensive antisoviétique avec l'empire du Soleil Levant. Il avait désormais les mains libres sur le front occidental.
Dans les premiers jours de juin 1939, la bataille de Khalkhin-Gol, nom mongol de la rivière Khalkha, qui coule non loin de la frontière mandchoue, et que les Japonais appelèrent l' " incident de Nomonham ", du nom de la principale localité de la région, a marqué une date-charnière dans les relations nippo-soviétiques à la veille de la seconde guerre mondiale. Jusque là, Tokyo hésitait entre deux stratégies : celle préconisée par la marine d'une poussée vers les mers du Sud, et celle du haut-commandement de l'armée, qui, de ses bases en Chine du Nord, en Corée et dans le protectorat du Mandchoukouo, voulait attaquer l'ennemi traditionnel russe finalement, le point de vue de la marine l'emportera sans conteste, ouvrant la voie à la guerre du Pacifique deux ans plus tard.
De plus, le Japon, sévèrement étrillé par une armée russe qu'il croyait toujours au niveau de celle qui avait été écrasée en 1905 et, de plus, affaiblie par les purges staliniennes, préférera enterrer la hache de guerre. Le 13 avril 1941, alors que Hitler prépare l'opération Barbarossa contre l'URSS, Japonais et Soviétiques signeront un pacte de neutralité valable cinq ans, mettant un terme aux espoirs du Führer d'une attaque sur deux fronts.
Depuis des années, l'armée japonaise avait commencé à sonder la longue frontière mongole, difficile à défendre, car dépourvue d'obstacles naturels quand elle traverse steppes et déserts.
Son objectif expansionniste apparut clairement après que Tokyo eut occupé la Mongolie Intérieure, poursuivant son lent grignotage de la Chine, qui avait eu au début le soutien d'une mission militaire de la Wehrmacht. Ces coups d'épingle avaient amené le régime mongol du maréchal Tchoibalsan, déjà très lié à Moscou, à conclure, dès 1934, un accord d' " aide mutuelle en cas d'agression ". Celui-ci sera formalisé le 12 mars 1936 par un protocole d'assistance mutuelle ouvertement dirigé contre le Japon. Le Kremlin avait attiré l'attention de Tokyo sur la multiplication des incidents armés le long de la frontière et entretenait des troupes sur place.
Cela n'avait pas empêché l'état-major japonais de poursuivre ses provocations contre l'URSS et son protégé. En juillet 1939, un an après le début de la guerre sino-japonaise, qui avait commencé avec l'incident du pont Marco-Polo, aux portes de Pékin, le 7 juillet 1937, les chefs militaires nippons en Corée, qui étaient parmi les plus extrémistes de l'armée impériale, passant outre aux directives de Tokyo, lancèrent une offensive dans la région du lac Khasan, dont les collines dominaient la rade du Vladivostok. Les Soviétiques, dont la grande base se trouvait directement menacée, contre-attaquèrent vigoureusement.
Ils mirent les assaillants en déroute, contraignant Tokyo à accepter une trêve le 10 août. Un grave incident avait éclaté simultanément à Changkufeng, à la frontière mongole, au moment où le Japon lançait la seconde phase de son offensive en Chine, qui lui permettra d'occuper le centre du pays et Canton. Un mois plus tard, c'était Munich.
Cette bataille oubliée fut pourtant l'une des plus considérables, en raison de sa durée et de l'envergure des moyens mis en oeuvre de part et d'autre, qui précédèrent la deuxième guerre mondiale. Première grande défaite d'une armée jusqu'alors toujours victorieuse, elle fut aussi la première grande victoire de l'armée rouge à l'extérieur. Elle est évoquée à Oulan-Bator comme une grande épopée nationale dans laquelle se jetèrent à corps perdu les fougueux cavaliers mongols descendants de Genghis-Khan. L'état-major nippon était tellement sûr de son succès, raconte Joukov, qu'il avait invité les attachés militaires de ses alliés de l'Axe, Allemands et Italiens.
Préparée pendant plusieurs semaines, l'offensive soviéto-mongole sera foudroyante. Soutenue par 250 avions, elle permettra, en l'espace d'une semaine, d'encercler et d'anéantir les unités japonaises, mais les opérations de nettoyage se poursuivront jusqu'à la fin octobre. De source soviéto-mongole, les pertes nippones ont été de 60 000 tués et blessés, de 700 avions et 200 canons détruits ou capturés selon d'autres sources, ces pertes auraient été de 20 000 à 50 000 mille hommes. Joukov sera félicité personnellement par Staline.
La défaite est d'importance, et l'armée impériale accepte une trêve dès le 16 septembre, la veille de l'entrée des troupes soviétiques en Pologne en vertu de l'accord Ribbentrop-Molotov.
Le nouveau rapport de forces oblige Tokyo à ménager désormais l'URSS, avec laquelle s'ouvrent, dès novembre, des négociations commerciales, et il n'est plus question de se lier à Berlin par une alliance dirigée contre Moscou.
Le choc a été humiliant pour l'état-major impérial. Quelques jours plus tard, le premier ministre Hiranuma présente sa démission, pour être remplacé par le général Abe. Le nouveau ministre des affaires étrangères, Nomura, tentera de rétablir le dialogue avec Washington. Amiraux et généraux, pour leur part, referont leurs plans d'attaque, dirigés cette fois vers l'Asie du Sud-Est. On connaît la suite.
La " guerre non déclarée " nippo-soviétique de 1938-1939 connaîtra un long entracte de six ans. Pendant toute la seconde guerre mondiale, les Japonais n'auront pas à protéger leurs colonies chinoises d'une attaque soviétique, tandis que le Kremlin peut retirer ses troupes de Sibérie à temps pour résister à Hitler. Le 8 août 1945, le jour même où la seconde bombe atomique est lancée sur Nagasaki, en dépit d'efforts diplomatiques désespérés de Tokyo, Staline, conformément aux accords de Potsdam, déclare la guerre au Japon. Troupes soviétiques et mongoles déferleront à leur tour sur la Mandchourie et la Mongolie Intérieure, donnant le coup de grâce à l'empire agonisant.
PATRICE DE BEER
Le Monde du 5 juin 1989
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