Article de presse: La France affiche sa différence
Publié le 22/02/2012
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3 septembre 1996 - De la même manière qu'en avril elle s'était démarquée des Etats-Unis lors de l'opération israélienne " Raisins de la colère " contre le Liban-sud, de la même manière aussi qu'elle n'avait pas hésité à faire dans la nuance au sommet " antiterroriste " de Charm El Cheikh en mars, la France n'a pas hésité à dire sa différence, mardi 3 septembre, lors de la riposte militaire américaine contre l'Irak. Paris, qui, depuis l'accession de Jacques Chirac à la présidence de la République, a l'ambition d'avoir une politique proche-orientale, a compris qu'il y avait un créneau d'autant plus commode à occuper que l'attitude des Etats-Unis pêche par de nombreuses faiblesses.
Officiellement, Paris s'est borné à dire, mardi, par la voix du Quai d'Orsay, son " inquiétude devant l'évolution de la situation en Irak ", après le tir de missiles de croisière américain contre le sud de ce pays. Cette pudeur diplomatique tient au fait que le gouvernement français veut d'autant moins donner l'impression de se désolidariser d'un allié occidental privilégié qu'il est lui-même extrêmement critique à l'égard du régime de Saddam Hussein. Mais Paris, qui, depuis des mois, s'emploie à amadouer Bagdad pour qu'il respecte les résolutions des Nations unies - le rôle de la France dans l'acceptation par Bagdad de la résolution 986 de l'ONU, dite " pétrole contre nourriture ", est loin d'être négligeable -, souhaite que l'Irak puisse réintégrer progressivement le giron de la communauté internationale.
Pourquoi ? Parce que l'embargo imposé, depuis plus de six ans, par l'ONU, n'a pas entraîné la chute de Saddam Hussein, que les conditions de vie du peuple irakien vont se dégradant, et aussi parce que Paris, qui était un partenaire privilégié de l'Irak avant la guerre du Golfe, voudrait retrouver sa place sur le marché local. Lundi, dans la soirée, le ministre français des affaires étrangères, Hervé de Charette, a encore tenté d'amener l'Irak à la raison. Dans un message au vice-premier ministre irakien, Tarek Aziz, il a demandé que continue, " de manière effective, le retrait des forces engagées [par Bagdad] sur le terrain ".
La France savait pertinemment que, dès lors qu'ils avaient engagé une sorte de bras-de- fer avec Saddam Hussein, les Etats-Unis, qu'ils soient ou non en période électorale, ne pouvaient pas ne pas réagir à l'intervention de l'armée irakienne dans le nord du Kurdistan. Même si M. Hussein avait totalement retiré ses troupes une fois les combattants de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) évincés, son alliance retrouvée avec le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) lui permettait de reprendre pied dans le Kurdistan. Washington estimait devoir relever le défi.
Mais Paris peut d'autant plus facilement prendre des distances avec Washington qu'elle savait que les pays arabes, si hostiles fussent-ils à M. Hussein, sont las du seul langage de la force qu'utilisent les Etats-Unis, langage qui relève davantage de la punition que de la solution des problèmes qu'il ne fait souvent qu'aggraver. Seul le Koweït a approuvé, mardi, l'action américaine.
Les raisons invoquées par les Etats-Unis pour justifier leur action militaire contre l'Irak ne sont pas non plus juridiquement fondées. L'Irak et le Quai d'Orsay ne s'est pas privé de le rappeler mardi, n'a pas violé de résolution des Nations unies en envoyant ses troupes au sol dans le nord du Kurdistan, décrété " zone d'exclusion aérienne " et placé sous la protection d'une force multinationale.
" La réponse appropriée "
La résolution 688 du Conseil de sécurité de l'ONU, dont l'interprétation a permis aux pays occidentaux d'établir cette " zone ", ne prévoit nulle part une riposte militaire en jargon diplomatique, on dit que la " 688 " ne relève pas du chapitre 7 de la Charte de l'ONU qui autorise une action militaire. L'imposition de cette interdiction, d'abord au nord du 36e parallèle, puis, en août 1992, au sud du 32e parallèle a donc, d'une certaine manière, été une action unilatérale.
Pis. Les Etats-Unis viennent de décider d'étendre du 32e au 33e parallèle la zone d'exclusion délimitée dans le sud de l'Irak. Certes, cela permet aux alliés occidentaux de surveiller certains sites militaires situés entre les deux parallèles et une telle surveillance est nécessaire lorsque l'on sait que l'Irak cherche en permanence à tromper les inspecteurs de l'ONU. Néanmoins, une telle extension est non seulement unilatérale, mais n'a plus rien à voir avec la protection des populations civiles.
En mars, au sommet de Charm El Cheikh, dont Bill Clinton et Shimon Pérès voulaient faire un forum " va-t-en guerre " contre les " terroristes ", tout entier consacré à assurer la reconduite dans ses fonctions de l'ancien premier ministre israélien, M. Chirac avait su dire que la répression ne suffit pas et qu'il fallait régler les problèmes à la racine. La France avait su s'insérer aussi, avec plus de détermination encore, dans les failles de la politique américaine, pour s'imposer, en avril, comme partie prenante au cessez-le-feu au Liban.
M. de Charette n'avait pas hésité à opter et c'était une première pour la " diplomatie de la navette ", qui était jusqu'alors l'apanage des Etats-Unis, sur lesquels Paris avait pris un avantage en se posant d'emblée en médiateur, alors que Washington approuvait l'intervention militaire israélienne au Liban-sud. Paris n'a pas non plus hésité à condamner le massacre, à Cana, de plus de cent civils libanais réfugiés auprès du contingent fidjien de la Force intérimaire de l'ONU pour le Liban (Finul), alors que Washington avait tardé à réagir.
L'opiniâtreté de la France, qui s'était parallèlement employée à assurer qu'elle ne nourrissait pas l'ambition de supplanter les Etats-Unis dans la région, mais voulait seulement affirmer le rôle qui lui revient, avait été payante. Avec Washington, Paris parraine le cessez-le-feu qui s'est instauré au pays du Cèdre. Comme pour l'affaire libanaise, l'Union européenne (UE), d'abord rétive, voire critique à l'égard du cavalier seul français, avait fini par approuver l'attitude de la France. Les pays-membres de l'UE ont commencé à parler d'une seule voix à propos de l'Irak. Mais l'UE en tant qu'ensemble n'en a pas moins estimé, dans un communiqué, qu'elle " ne pense pas que la violence " soit la réponse " appropriée pour résoudre les problèmes ".
MOUNA NAIM
Le Monde du 5 septembre 1996
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