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Article de presse: La fin d'un rêve ?

Publié le 22/02/2012

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4 avril 1968 - Le pasteur King n'a jamais rencontré auprès des masses noires du Nord l'enthousiasme et la résolution qu'il avait su éveiller dans le Sud. Alors que les succès remportés dans l'ancienne Confédération ne se comptent plus, il n'a connu que des échecs depuis qu'il a décidé en 1965 de lancer dans le Nord, à Chicago notamment, une grande campagne de désobéissance civile. La grève des loyers qu'il préconisa notamment en 1966 fut un fiasco ainsi que la campagne de réhabilitation des " ghettos ". Il ne s'est pas découragé, mais ses efforts n'ont rencontré que peu d'échos parmi la communauté noire tout en exacerbant les réactions racistes des minorités ethniques de Chicago-Polonais, Italiens notamment-qui se sentent menacées dans leur suprématie relative. Jusqu'en 1965, le pasteur King avait consacré l'essentiel de ses activités à lutter contre la ségrégation dans le Sud. C'est de cette époque d'ailleurs que date sa renommé : il fait parler d lui pour la première fois en 1955, en inventant une nouvelle arme de lutte, le boycottage. C'est la compagnie des autobus de Montgomery (Alabama) qui fait la première les frais de cette nouvelle stratégie, à la suite d'un incident au cours duquel une femme noire est chassée de la portion avant d'un autobus réservée aux passagers blancs. Le pasteur King organise un mouvement de boycottage qui durera trois cent quatre-vingt-un jours, mais finalement la compagnie, au bord de la faillite, cède. La cloison séparant Noirs et Blancs dans les autobus est abolie. Nous sommes au début de ce qu'on allait appeler, sans doute à tort, la " révolution noire ". La victoire de Montgomery intervient en effet un an après la décision historique de la Cour suprême déclarant illégale la ségrégation dans les établissements scolaires publics. A la gamme des armes utilisables par les Noirs dans leur lutte pour la liberté, le pasteur King vient d'en ajouter une nouvelle : l'utilisation non violente de la désobéissance aux lois injustes et du pouvoir économique. Jusqu'à présent, la lutte avait été menée essentiellement devant les tribunaux non par des avocats spécialisés travaillant généralement pour la plus vieille organisation intégrationniste, l'Association nationale pour le progrès des Noirs (N.A.A.C.P.). Espoir et inquiétudes L'irruption du pasteur King est accueillie avec espoir par la communauté noire du Sud. Avec inquiétude par les intégrationnistes traditionnels qui se sont toujours méfiés des masses et pour qui l'intégration reste souvent un concept abstrait. Avec haine pour les racistes du Sud qui organiseront plusieurs attentats contre le pasteur King. Lui ne devait plus s'arrêter. Pour coordonner son action, il fonde la Conférence des leaders chrétiens du Sud. Il prend aussi contact avec une nouvelle génération d'intégrationnistes, les étudiants, qui ne se satisfont plus de savoir qu'on travaille pour eux dans des études d'avocats mais qui veulent participer à la conquête de leur liberté. Très vite, ces étudiants, Noirs et Blancs, sont séduits par les nouvelles méthodes d'action du pasteur King. Celui-ci les aide à former le Comité de coordination des étudiants non violents (S.N.C.C.), qui devait " virer " au Pouvoir noir ces dernières années. A la fin des années 50 et au début des années 60, l'optimisme est à son comble : la ségrégation cède dans tout le Sud, non certes dans les esprits mais dans les institutions. Les volontaires des droits civiques déferlent vers le Sud en " pèlerinages de la liberté ", défiant les interdits, s'asseyant aux comptoirs des drugstores, impassibles sous les pires avanies et humiliations. " J'ai fait un rêve, s'écrie le pasteur. C'est un rêve profondément enraciné dans le rêve américain. J'ai rêvé qu'un jour, dans les montagnes rouges de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d'esclaves s'assoiront ensemble à la même table de fraternité. " Mais le pasteur King sait que son rêve ne viendra pas avec le sommeil. Il multiplie l'organisation de manifestations à Albany, Lexington, Birmingham, où des racistes plastiquent une église, tuant quatre fillettes noires. La renommée du pasteur est à son apogée. L'Amérique, en proie à la mauvaise conscience, croit reconnaître ses valeurs dans cet homme. Time le proclame en 1963 l' " homme de l'année ". En 1964, il reçoit le prix Nobel de la paix mais en consacre le montant à financer la lutte des Noirs américains. L'incendie A partir de 1964, le problème racial américain apparaît avec une nouvelle ampleur. Durant l'été, Harlem se révolte. L'incendie va faire tache d'huile les années suivantes, révélant la profondeur du mal dans un Nord qu'on feignait jusqu'alors de croire libéral et antiraciste. Au début, le pasteur King condamne les violences de Harlem, de Los Angeles. Ses supporters blancs n'en attendaient pas moins. Mais bien vite il comprend l'étendue du mal : aucune loi ne peut être combattue dans le Nord, puisqu'aucune loi n'est raciste. C'est tout le système qui est empreint de racisme, un système subtil et quotidien qu'il n'a jamais affronté dans le Sud. Autre handicap pour le pasteur King : c'est, d'un point de vue sociologique, un bourgeois. Il appartient en effet à cette petite bourgeoisie des Noirs du Sud, comptant surtout des pasteurs et des professeurs, qui n'a rien à voir avec les désespérés de Watts ou de Harlem. Ces derniers ne sont d'ailleurs pas disposés à l'écouter. A plusieurs reprises, il sera hué. Les nationalistes refusent d'abord de collaborer avec lui. Il se heurte à d'incroyables luttes d'influence entre les diverses Eglises noires d'une même ville, à la suspicion générale. Bref, il doit affronter un milieu complètement nouveau pour lui, où il ne parviendra jamais à se faire accepter complètement. Il parle espoir et force de vie à des gens qui n'espèrent plus rien. Alors que dans le Sud il était le pasteur et les masses son troupeau, dans le Nord il apparaît vite comme un moraliste, " l'oncle Tom ", diront certains nationalistes, l'homme du pouvoir blanc manié et téléguidé par le pouvoir blanc. C'était faux. Depuis qu'il avait résolu de combattre le racisme dans le Nord, qu'il ne manquait pas une occasion de réclamer la mise en place d'un vaste programme d'aide économique à la communauté noire, qu'il étendait sa contestation de la société américaine à celle de la politique étrangère des Etats-Unis, critiquant sans arrêt la guerre du Vietnam, le pasteur King était devenu un personnage non grata à la Maison Blanche. Sa vision du monde et de l'homme n'avait sans doute que peu à voir avec celle du président Johnson. On le traitait volontiers, du côté des Blancs respectables et des intégrationnistes traditionnels, d'apprenti sorcier voulant jouer avec le feu. Car ses premiers échecs dans le Nord ne l'avaient nullement découragé. Il avait repris toute son action sur une autre base, beaucoup plus modeste : ne pouvant créer un vaste mouvement en quelques mois, il avait entrepris une organisation systématique des quartiers noirs, acceptant de travailler avec certains nationalistes noirs, car il était conscient de leur représentativité. Cet engagement devait se concrétiser par la grande " marche des pauvres " sur Washington le 22 avril prochain. Les tueurs de Memphis et la société qui les a sécrétés en ont décidé autrement. Mais avec le pasteur King, ce n'est pas seulement cet homme courageux, généreux, extrêmement simple, qui disparaît. C'est aussi son rêve qui s'évanouit, un rêve qui n'est peut-être pas celui de l'Amérique. JACQUES AMALRIC Le Monde du 6 avril 1968

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