Article de presse: La fin du maréchal-prédateur
Publié le 17/01/2022
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Dans son ouvrage CIA, inside story , le spécialiste américain de la Maison Blanche pour les années 1948-1961, Andrew Tully, précise : "On peut écrire, sans peur de se tromper, que Mobutu fut "découvert" par la CIA".
Son rôle dans l'élimination dePatrice Lumumba ne l'empêcha pas, en 1966, de le proclamer héros national, tout en consacrant la villa d'Elisabethville(aujourd'hui Lubumbashi), où il fut torturé, lieu de pèlerinage national.
Double jeu, mensonge et violence, habileté : la dictature pouvait s'établir sur des bases solides.
Après Lumumba, ce fut au tourdu chef de la sécession katangaise, Moïse Tschombé, de disparaître dans une prison algérienne, au terme d'un enlèvementorganisé par la CIA.
Officiellement, Mobutu n'y est pour rien.
A la Pentecôte 1966, il n'hésitera pas à faire pendre quatre anciensministres soupçonnés de comploter contre le régime.
Il se débarrassera aussi de Pierre Mulele, un ancien compagnon deLumumba réfugié à Brazzaville, en lui faisant miroiter une réconciliation.
Une réception officielle fut donnée en son honneur : lesoir même, il était torturé par les militaires.
Un officier proche de Mobutu, Justin-Marie Bomboko, racontera cet épisodeinsoutenable : "Vivant, on lui a arraché les oreilles, coupé le nez, tiré les yeux des orbites pour les jeter à terre.
On lui a arrachéles organes génitaux.
Toujours vivant, on lui a amputé les bras, puis les jambes.
Les restes humains ont été noués dans un sac etimmergés dans le fleuve."
Combien de personnes, en trente-deux ans de dictature, ont subi ce déchaînement de violence poussé parfois jusqu'au rituelraffiné de l'empoisonnement ? "Mobutu n'hésite pas à battre sa ou ses femmes, à gifler ses collaborateurs, à ordonner ladisparition de ses adversaires, écrit la journaliste du Soir Colette Braeckman, dans son ouvrage Le Dinosaure (Fayard). Lorsqu'il est en colère, il martèle le sol de sa canne de chef, il cogne, il crie.
Parfois, des ministres quittent la présidence le visagetuméfié".
Et de rapporter cette scène étrange d'un déjeuner officiel à Kinshasa réunissant, en 1988, le premier ministre belge, M.Martens, et son homologue zaïrois d'alors, M.
Bagui, accompagné du ministre des affaires étrangères, Nguz'a Karl I Bond,"considéré comme l'ami des Belges".
Colette Braeckman raconte : "En ces temps de crise entre Bruxelles et Kinshasa, une telle réputation était plutôt un fardeau.Alors que le premier ministre belge ne cessait de répéter sa joie de se retrouver en pays ami, ses voisins de table faisaient plutôtgrise mine.
Ils picoraient, non dans les plats abondants, mais dans des boîtes en plastique qu'ils avaient apportées avec eux.
"Jepratique un régime sévère", déclarait l'un, tandis que l'autre invoquait son foie défaillant.
En réalité, les deux hommes craignaientbel et bien d'être empoisonnés !"
Les assiettes enduites de cyanure ou de venin de serpent sont un classique du mobutisme.
Parmi les victimes supposées, legénéral Mulamba, dont la popularité gênait le maréchal, ou encore M Malula, qui lui tenait tête avec trop d'aplomb et deconscience.
"Les observateurs font remarquer que, sur la douzaine de Compagnons de la révolution qui soutinrent Mobutu lorsde sa prise de pouvoir en 1965 (...), les survivants se comptent sur les doigts d'une seule main", écrit encore Colette Braeckman.Le poison et les accidents d'hélicoptère n'y sont pas étrangers.
A la mort violente de ses adversaires, le dictateur zaïrois a parfois préféré les longues peines de prison, la relégation, la terreurpar la torture, les chocs électriques, les simulacres d'exécution.
L'intimidation.
Mais l'autre versant de son emprise sur le peuple reste sans conteste sa capacité de corrompre.
A commencer par les chefs del'opposition qu'une villa, une Mercedes, une situation de rente ou tout cela à la fois pouvaient rallier à la cause du chef suprême.Aux témoins des massacres d'étudiants à Lubumbashi en 1990, le maréchal a offert de l'argent.
Aux fonctionnaires mécontents,aux militaires du "premier cercle" (la sécurité rapprochée), aux journalistes conciliants, il n'a cessé de fournir des mallettesremplies de billets de banque imprimés à tire-larigot.
Piètre gestionnaire de son pays, Mobutu n'a pas mieux géré sa fortune.
Au point d'être aujourd'hui bien moins riche que dansles années 80, lorsque son magot, fruit direct de la prédation des richesses minières et de l'aide internationale, culminait à quelque4 milliards de dollars (environ 24 milliards de francs).
Mais cette pyramide de la corruption, aux bases très larges, a permis lalongévité de son règne.
Le maréchal a initié à grande échelle ce que le directeur du CERI (Centre d'étude des relationsinternationales), Jean-François Bayart, appelle "la politique du ventre" : chacun, là où il se trouve dans l'échelle sociale, profite desa situation pour "manger".
Ainsi, les militaires, voyant leur solde confisquée par les officiers, se payent "sur le terrain", en multipliant les barrages routierspour rançonner les automobilistes.
D'après Colette Braeckman, "il n'est pas exagéré de dire que plusieurs millions de Zaïrois, cinqau minimum, ont, à un moment ou à un autre, bénéficié de la redistribution.
C'est aussi la raison pour laquelle le mobutisme seradifficile à extirper".
Mais la poule aux oeufs d'or a fini par étouffer.
Américains et Sud-Africains lorgnent sur les richesses du Shaba (Katanga) et.
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