Article de presse: La fin de la guerre froide en Amérique centrale
Publié le 22/02/2012
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29 décembre 1996 - Sept ans après la chute du mur de Berlin, le dernier conflit de la guerre froide en Amérique centrale sera officiellement clos, dimanche 29 décembre, avec les accords de paix que signeront, dans la capitale guatémaltèque, le président Alvaro Arzu et les responsables de la guérilla.
Après le Nicaragua et le Salvador, c'est désormais au tour du Guatemala d'entreprendre un processus de réconciliation nationale qui s'annonce d'autant plus ardu que les blessures sont profondes à l'issue de trente-six ans de guerre civile.
Les affrontements ont été particulièrement sanglants depuis qu'en 1954 s'est noué le drame qui allait conduire le pays à la guerre civile, faisant, selon les estimations les plus modestes, quelque 100 000 morts.
Le détonateur en fut la volonté du président de l'époque, le colonel Jacobo Arbenz, de procéder à une réforme agraire, ce qui nécessitait de s'attaquer aux intérêts de la United Fruit Corporation, société américaine qui faisait alors la pluie et le beau temps en Amérique centrale. Elle n'eut donc aucune difficulté à convaincre Washington d'appuyer un coup d'Etat mené par la droite guatémaltèque pour mettre fin à l'expérience " communiste " d'Arbenz. Ce dernier fut contraint à l'exil et les militaires prirent le pouvoir, au nom de la puissante oligarchie agraire enrichie grâce au café et au sucre.
C'est précisément au sein de l'armée que le premier mouvement de guérilla allait surgir, en novembre 60, avec la rébellion d'un groupe de soldats mené par deux officiers, Yon Sosa et Turcios Lima, influencés par la révolution cubaine qui avait triomphé l'année précédente. Ils fondent les Forces armées rebelles (FAR) en 1962, alors que, de son côté, le gouvernement guatémaltèque entraîne des forces anticastristes en prévision du débarquement de Playa Giron qui échouera lamentablement sur les côtes cubaines.
Durant plusieurs années, les FAR mènent des actions sans grande conséquence jusqu'à ce que, au début des années 70, une nouvelle organisation, l'Armée de guérilla des pauvres (EGP), vienne les renforcer.
Un troisième mouvement fait son apparition en 1978, l'Organisation révolutionnaire du peuple en armes (ORPA), dirigé par Rodrigo Asturias, alias " commandant Gaspar Ilom ", fils du Prix Nobel de littérature Miguel Angel Asturias. Les trois groupes s'associent en 1982 avec le petit Parti guatémaltèque du travail (PGT, communiste), pour former l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG).
A partir des années 60, les militaires se succèdent au pouvoir, organisant des simulacres d'élections tous les quatre ans. Avec l'arrivée à la tête de l'Etat du général Lucas Garcia en 1978, la répression s'accentue. C'est l'époque où le Front sandiniste de libération nationale au Nicaragua détrône la dictature de la famille Somoza.
Au Salvador, où les militaires sont également au pouvoir, un groupe de jeunes officiers favorables à la démocratisation du pays renversent le régime en place dans l'espoir de bloquer la route aux divers mouvements de guérilla qui se consolideront pourtant au cours des années suivantes et signeront finalement la paix en 1992.
Toute l'Amérique centrale est alors en effervescence. Moscou et La Havane soutiennent et entraînent militairement les organisations marxistes-léninistes Washington appuie les régimes militaires et la Contra antisandiniste au Nicaragua. Les abus commis par les militaires guatémaltèques et les " escadrons de la mort " finissent par émouvoir la communauté internationale, qui réagit néanmoins avec mollesse. Les exécutions de personnalités de gauche, de syndicalistes, d'intellectuels ou de journalistes critiques, souvent abattus en pleine rue, se succèdent à un rythme hallucinant.
Le massacre de trente-sept indigènes dans les locaux de l'ambassade d'Espagne, en janvier 80, marque le début d'une répression massive dans les régions indiennes, notamment dans les départements du Quiché, de San Marcos et de Huehuetenango. Un général évangéliste, Efraïm Rios Montt, porté au pouvoir en 1982 par un putsch, mène une vaste opération de reconquête des territoires où les indigènes mayas (un peu plus de 50 % des 10 millions d'habitants du pays) appuient la guérilla. Il le fait avec d'autant plus de vigueur qu'il est convaincu que l'Eglise catholique est du côté des révolutionnaires. Des prêtres sont assassinés dans le Quiché par les forces de l'ordre. Tout en condamnant la répression, les évêques, prudemment, se démarquent cependant de la lutte armée.
Le bilan de la répression de ces années est terrifiant : au moins 100 000 morts et disparus, plusieurs centaines de villages détruits, plus d'un million de personnes déplacées à l'intérieur du pays et 45 000 réfugiés au Mexique.
La pression internationale (y compris celle des Etats-Unis, qui entretiennent des relations ambiguës avec la dictature) et l'affaiblissement de la guérilla finiront par convaincre le régime d'organiser des élections démocratiques en 1985. Deux ans plus tard, l'ensemble des pays en guerre en Amérique centrale ouvrent un processus de paix lors d'une réunion qui a précisément lieu au Guatemala, en août 87, dans la petite ville d'Esquipulas.
Alors que le Nicaragua et le Salvador mettent les bouchées doubles pour en finir avec la guerre, le Guatemala multiplie les réunions sans parvenir à définir les modalités de la négociation. " En fait, explique aujourd'hui le commandant Rodrigo Asturias, nous avions adopté une stratégie différente qui consistait à consulter les divers secteurs de la société - partis politiques, patronat, Eglises - pour établir les bases du dialogue avec le gouvernement et l'armée. Cela nous a permis d'analyser les causes du conflit et de créer peu à peu, au fil des rencontres avec les différents partenaires, des conditions favorables à la négociation et à la paix. "
Rodrigo Asturias et les autres dirigeants de l'UNRG estiment qu'ils ont obtenu l' " essentiel " de ce qu'ils souhaitaient. " Nous sommes satisfaits politiquement et moralement, disent-ils. Nous avons signé plus de trois cents accords et établi un calendrier réaliste qui devrait être mis en application sous la supervision des Nations unies, en particulier la distribution de terres en faveur des petits paysans, la réduction d'un tiers des effectifs de l'armée et la réforme fiscale qui donnera enfin au gouvernement les ressources nécessaires pour financer l'éducation, la santé et la construction de routes dans un pays où, jusqu'à présent, pratiquement personne ne payait d'impôts. "
L'URNG va se transformer en parti politique dans les prochains jours, mais son programme reste encore à définir dans la mesure où une partie de ses dirigeants et de ses militants considèrent que les pratiques marxistes-léninistes des années 70 et 80 ne sont plus à l'ordre du jour. " Nous serons un parti démocratique et révolutionnaire, affirme Asturias, dans le sens où la démocratisation du Guatemala constitue en soi un processus révolutionnaire. Sur le plan social, le pays vit encore au XIXe siècle et notre ambition est de le faire entrer dans le XXe siècle. Je crois qu'une partie du secteur privé a compris que le système féodal avait été un facteur d'instabilité et représente désormais un obstacle pour son propre développement. "
BERTRAND DE LA GRANGE
Le Monde du 30 décembre 1996
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