Article de presse: La figure de proue de la contestation démocratique
Publié le 22/02/2012
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16 novembre 1997 - Normalement, Wei Jingsheng devrait être, aujourd'hui, un cadre bien placé dans quelque ministère à Pékin. Mais le 5 décembre 1978, à l'âge de vingt-huit ans, il s'est engagé dans une voie qui ne pouvait le conduire qu'à l'opposé de cette carrière. Autant que de ses parents, il est l'enfant d'une nation, ou en tout cas d'un Etat-parti qui veut l'incarner. Déjà par son prénom, il est marqué : Jingsheng veut dire " né à la capitale " (Pékin). Exactement, en 1950 : fils de combattants communistes portés au pouvoir par la vague de l'Histoire.
Au début, à l'adolescence, il y a cru. Activiste dans les premiers mois de ce soulèvement téléguidé par le Grand Timonier sous le nom de " révolution culturelle " , il a pris part à ce déferlement d'énergie trop longtemps tenue sous le boisseau. Il a cependant fait partie d'un groupe plutôt libertaire, le Comité d'action unie des gardes rouges de la capitale. Ces jeunes gens précoces se sont livrés au sac d'un des quartiers généraux de la police politique, celle-là même qui servait aux purges au sein de la nomenklatura.
Bientôt, Wei en vit trop pour demeurer croyant. Une misère rurale qu'on ne soupçonne pas en ville. Une violence entre factions politiques contraire au dogme de l'unanimisme " révolutionnaire " . Des règlements de comptes, des bassesses entre " camarades " , toutes les lâchetés qui apprennent à un gamin la différence entre l'idéal martelé par " Big Brother " et la sombre évidence du réel. Le communisme, en conclut-il, est un leurre.
Chez lui, le virus de la turbulence a été implanté par le régime. Wei prend part à la toute première émeute explicitement dirigée contre le pouvoir, le 5 avril 1976, à Pékin, à la veille de la mort de Mao. Il conserve cependant l'emploi d'électricien au zoo de Pékin que la qualité de militaire méritant de son père lui a permis d'obtenir. Puis vient ce début d'hiver 1978-1979 où le " deuxième timonier " , Deng Xiaoping, éprouve le besoin de consolider sa position en laissant brièvement la rue exprimer les doléances de la population.
Wei se jette dans la brèche. Son premier texte, manuscrit, affiché sur le " Mur de la démocratie " , attire immédiatement l'attention de tous. Au lieu de ruser avec les mots du régime, l'auteur s'adresse aux gouvernants pour leur dire simplement qu'il ne saurait y avoir d'authentique " modernisation " d'un pays sans démocratisation de ses instances dirigeantes.
Pour avoir poussé le raisonnement un peu trop loin par la suite et accusé de " despotisme " le principal des caciques qu'il interpellait, Deng Xiaoping, Wei est condamné, le 19 mars 1979, à quinze ans de prison et de camps de travail. Motif essentiel : il a refusé de se renier. On lui reproche aussi d'avoir discuté avec des journalistes étrangers d'une guerre avec le Vietnam (février-mars 1979) à laquelle il était opposé.
Émoi international
Entre-temps, Wei aura laissé une oeuvre de polémiste publiée sous le manteau à Pékin, sur un papier de très mauvaise qualité, puisque ce bien est monopolisé par les autorités. Il s'efforce de démontrer qu'il n'y a guère de progrès marquant à attendre du régime vers une réelle libéralisation. Il est devenu, en quelques mois, le symbole d'une revendication démocratique farouche au point même de susciter les critiques de certains contestataires en désaccord avec ses prises de position radicalement anticommunistes.
Son emprisonnement suscite d'abord des protestations en France, puis aux Etats-Unis où le Wall Street Journal commence, en 1987, à publier régulièrement, à chaque anniversaire de son arrestation, dans son édition asiatique, le même extrait de son pamphlet, La Cinquième Modernisation. Wei, réduit au silence, physiquement affaibli mais refusant toujours de s'amender, devient encombrant par sa célébrité. Et ce, encore plus à partir de la crise de Tiananmen, en 1989, qu'il traverse en prison.
Les autorités lui proposent, en 1993, un marché : une libération dans l'espoir de peser sur la décision du Comité international olympique (CIO) qui doit examiner la candidature de Pékin à l'organisation des jeux de l'an 2000. Wei y met une condition : qu'on lui restitue les lettres qu'il n'a cessé d'adresser de sa prison aux plus hauts dirigeants du pays. La police accepte. Les lettres viennent d'être publiées aux Etats-Unis. Wei y refuse tout compromis.
Il passera six mois et demi en semi-liberté à Pékin, constamment surveillé par la police. Une demi-année consacrée à critiquer le régime, Mao Zedong, Deng Xiaoping et les dirigeants de la génération suivante.
Quand il rencontre, le 27 février 1994, un haut fonctionnaire américain, John Shattuck, sous-secrétaire d'Etat chargé des droits de l'homme, c'est pour les autorités la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Interpellé le 4 mars, il repart pour les camps. A l'issue d'un nouveau procès, le 13 décembre 1995, il est condamné à quatorze ans de prison pour sédition, jugement qui provoque un certain émoi international.
FRANCIS DERON
Le Monde du 18 novembre 1997
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