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Article de presse: La faillite des Brigades rouges

Publié le 17/01/2022

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28 janvier 1982 - Pour la première fois, les Brigades rouges paraissent durement atteintes dans leur organisation et leur système logistique. Depuis le début de l'année, et à une cadence accélérée ces dernières semaines, pas un jour ne se passe sans des arrestations de brigadistes ou de sympathisants ou des découvertes de bases : plus de trois cents personnes ont été appréhendées, dont une cinquantaine ces dix derniers jours. La police se sent-elle proche du but? L'enchaînement des arrestations, les aveux, des recoupements, ont accéléré son action. Elle frappe dans toutes les couches de la population, cherchant non seulement à atteindre l'organisation elle-même mais aussi à mordre dans cette " nébuleuse " terroriste, cette arrière-garde des B.R., que constituent sympathisants et " infiltrés " dans les divers secteurs de la vie sociale. S'il paraît légitime que la police veuille aller vite, cette " grande rafle " a ouvert une " ère du soupçon " : toute personne qui a, ou a eu, des liens avec l'extrême gauche devient un suspect potentiel. Chacun est à la merci d'une dénonciation de ceux qu'on nomme les " repentis ". Ayant tout intérêt à donner des noms pour obtenir une remise de peine, ceux-ci sont loin d'être " au-dessus de tout soupçon " lorsqu'ils sont pris de logorrhée dénonciatrice. Malgré les bavures, dont les moindres ne sont pas des gardes à vue prolongées bien au-delà du délai légal, sans même que les parents soient avertis de l'arrestation, l'opération de la police est incontestablement un succès. Comment expliquer cette défaite des B.R., qui passaient pour invincibles? D'abord, par la nouvelle efficacité des forces de l'ordre, due tant à l'épuration des services de renseignements, après le scandale de la loge P2, qu'à une plus grande coordination des opérations sous l'égide du ministère de l'intérieur. De l'affaire Moro, en 1978, à l'enlèvement et à la libération du général Dozier en janvier 1982, les B.R. sont passées du sommet au niveau le plus bas de leur parabole. La première opération a été parfaitement gérée suivant sa macabre logique. La seconde a été une faillite sur toute la ligne. En fait, ce n'est pas seulement l'affaire Dozier mais toute la " campagne d'automne-hiver " qui a été un échec : aucune des actions des B.R., excepté une évasion de la prison de Rovigo, n'a réussi. La vaste opération de police en cours révèle deux caractéristiques du terrorisme rouge aujourd'hui. D'abord son extrême diffusion dans le tissu social, l'étendue de cette " nébuleuse " de sympathisants, d'informateurs, de prête-noms (pour la location d'un appartement par exemple), allant de personnes " insoupçonnables " dont certaines travaillaient même dans des ministères (justice, industrie), jusqu'au monde de la pègre. Seconde caractéristique : l'apparition d'une nouvelle génération de terroristes, sans formation politique, mal préparés idéologiquement et psychologiquement à la clandestinité et offrant une faible résistance lorsqu'ils sont pris. La capillarité de l'organisation, liée à l'inexpérience des nouvelles recrues, lui a fait perdre rigidité et solidité : le cloisonnement entre les colonnes étant en particulier moins strict qu'auparavant, la police est parvenue à démanteler des réseaux entiers. La colonne de Vénétie, responsable de l'enlèvement du général Dozier, est symptomatique de l'évolution des B.R. C'est une colonne relativement jeune, née à la fin de 1978 et qui va se consolider dans les premiers mois de 1979. Ses chefs viennent de Turin, et la " troupe " est composée d'éléments politisés en prison ou de jeunes qui passent directement de l'A.G. universitaire à la mitraillette : aussi la plupart de ceux-ci sont-ils inconnus de la police. La crise politique interne est l'un des facteurs d'affaiblissement des B.R. A partir de l'affaire Moro, le consensus est altéré : les B.R. ont réussi, certes, à infléchir le cours de l'histoire politique italienne en enlevant un homme, symbole d'un processus qui aurait pu conduire, dans la ligne du compromis historique, à l'entrée au gouvernement des communistes et qui, du fait de sa disparition, va capoter. Mais en apparaissant comme une " froide machine à tuer " elles se sont aussi aliéné la frange de l'extrême gauche qui avait pu, sans approuver leur action, comprendre le choix de la lutte armée dans une " société bloquée ". Selon la logique des B.R., après l'assassinat d'Aldo Moro, il fallait encore " hausser le tir " et passer à l'insurrection. Or non seulement l'affaire Moro, qui a bouleversé l'Italie, n'a pas pour autant fait s'effondrer le régime, mais encore les B.R. vont se couper de la gauche intellectuelle et de leur référence historique : les masses. Coupure consommée avec l'assassinat à Gênes, en 1980, d'un militant syndical communiste qui en aurait " donné " un autre à la police. A l'intérieur même des B.R. commence à poindre une certaine démoralisation : Patrizio Peci, le premier grand repenti, membre de la direction stratégique, qui par ses aveux permettra de nombreuses arrestations, est un peu le symbole de ce malaise. Le flottement idéologique au sein des B.R. conduira à des dissensions internes qui se sont avérées destructives avec l'affaiblissement du groupe en butte à une police plus efficace. Schématiquement, ces dissensions introduisent un clivage entre deux lignes : celle des " orthodoxes " (ou militaires) et celle des " mouvementistes ". A l'origine, et jusqu'en 1981, lorsque vont se structurer de véritables courants divergents, voire rivaux, il ne s'agit que du débat traditionnel à tout mouvement de lutte armée : celui du rapport entre mouvement de masse et bras armé. Ou bien privilégier le renforcement d'un parti armé de type léniniste, rejetant le spontanéisme (thèse des " orthodoxes " ), et en cela les B.R. se situent bien dans l' " album de famille " communiste ou bien cultiver les liens avec les masses, s'insérer dans les luttes sociales en jouant davantage de la spontanéité (thèse des " mouvementistes " ). Jusqu'à l'affaire Moro, ces deux " âmes " des B.R. coexistent dans un rapport de dialectique interne. Par la suite, les antagonismes vont se durcir, chaque ligne cherchant à l'emporter sur l'autre, mais chaque camp se déplaçant sur le terrain de l'idéologie et de la pratique de l'autre pour démontrer qu'il est aussi capable d'y agir. Si, dans le contexte de flottement idéologique et de répression des années 1979-1980, la ligne " orthodoxe " va d'abord prévaloir (c'est dans cette perspective que se situent les assassinats de carabiniers et de juges progressistes), la sensibilité " mouvementiste " ne s'en affirme pas moins. A la fin des années 70, le débat interne des B.R. sur le rôle du parti armé dans son rapport aux masses s'est envenimé. La crise politique née de ces forts contrastes n'a certes pas entamé la capacité opérationnelle de l'organisation : malgré les arrestations de 1978-1979 (mille six cents personnes), s'enchaînent " jambisations " (tirs dans les jambes), enlèvements et assassinats. En 1980, cette frénésie d'action, qui tient autant à la ligne dure des " orthodoxes " qu'à une rivalité entre les deux courants pour conquérir plus de poids et faire prévaloir leur ligne respective, est compromise par les difficultés internes et la répression. Le " retour au social " Sur le plan du recrutement, l'ouverture au " prolétariat extralégal " va se traduire par une " formation " en prison de nouveaux " réguliers " et par l'extension de la base logistique à la pègre. La tendance " normale " de toute organisation clandestine de s'acoquiner avec le monde des truands (pour obtenir des armes, de faux papiers, monter des hold-up) va se renforcer en trouvant une justification " théorique ". C'était aussi prendre un risque : la pègre étant un milieu peu fiable et, surtout, pénétré par la police. Certaines associations terroristes-pègre ont été fructueuses : à Naples, lors de l'enlèvement de l'assesseur à l'urbanisme Cirillo (mars 1981), c'est la camorra (la mafia napolitaine) qui sera l'intermédiaire pour la rançon (1,5 milliard de lires), en encaissant au passage un autre milliard et demi, plus 100 millions en " faux frais "... En revanche, dans l'affaire Dozier, l'association avec la pègre locale sera catastrophique pour les B.R. C'est, semble-t-il, les milieux de la drogue de Vérone, plaque tournante pour le trafic, qui ont aidé la police à localiser la prison du général. On ignore, en fait, où ont pu passer les 2 milliards de lires promis par de mystérieux " amis du général " à qui donnerait des informations, mais ce dont on est sûr à Vérone, c'est que les trafiquants n'avaient qu'une hâte : que la police, qui avait quadrillé la ville à la suite de l'enlèvement, la quitte au plus vite afin que soit restauré un calme propice aux affaires. Que les grands trafiquants aient livré les terroristes ne serait pas étonnant : ils n'avaient d'ailleurs pas de difficultés à se renseigner puisque le commando avait fait l'erreur de recourir à de petits revendeurs pour monter leur opération. Le second phénomène qui va modifier la composition des B.R. est la disponibilité d'une extrême gauche venue à la politique après 1977. L'effritement des organisations gauchistes (Lotta continua, Il Manifesto, Avanguardia opéraia) laissera soudain à la dérive cette masse en révolte (étudiants, jeunes ouvriers, marginaux), à l'origine d'Il Movimento, qu'elles canalisaient et contrôlaient jusqu'à un certain point. Au lendemain de 1977, pour ceux qui ont participé au " mouvement " c'est l'alternative : ou se replier sur des luttes parcellaires et renoncer plus ou moins à la politique, les partis de gauche traditionnels n'offrant aucune perspective, ou bien se lancer dans la lutte armée. De là toute une période de terrorisme diffus, de terrorisme de quartier. Mais avec la rapide déconfiture des groupuscules terroristes, les B.R. vont devenir un pôle de référence. Après avoir été longtemps une organisation fortement structurée, elles s'ouvrent, en raison de leur évolution interne, au recrutement de " nouveaux sujets révolutionnaires " : elles vont puiser dans les prisons mais aussi dans ce magma de révolte sans encadrement. Dans l'hypothèse d'un réel démantèlement des B.R., incontestablement durement touchées par la vague d'arrestations en cours, il reste à se demander si la fin du terrorisme organisé ne va pas engendrer un autre terrorisme, désorganisé, plus spontanéiste, imprévisible, aveugle dans ses actions : car vaincre militairement le terrorisme, comme c'est peut-être le cas aujourd'hui, ne signifie pas, en effet, avoir remédié, pour autant, aux causes qui poussent des jeunes, étudiants, ouvriers, parfois insérés dans le tissu social, à croire que la révolution est au bout d'une mitraillette, et à passer à l'acte. PHILIPPE PONS Le Monde du 13-14 mars 1982

« de la direction stratégique, qui par ses aveux permettra de nombreuses arrestations, est un peu le symbole de ce malaise.

Leflottement idéologique au sein des B.R.

conduira à des dissensions internes qui se sont avérées destructives avec l'affaiblissementdu groupe en butte à une police plus efficace. Schématiquement, ces dissensions introduisent un clivage entre deux lignes : celle des " orthodoxes " (ou militaires) et celle des" mouvementistes ".

A l'origine, et jusqu'en 1981, lorsque vont se structurer de véritables courants divergents, voire rivaux, il nes'agit que du débat traditionnel à tout mouvement de lutte armée : celui du rapport entre mouvement de masse et bras armé.

Oubien privilégier le renforcement d'un parti armé de type léniniste, rejetant le spontanéisme (thèse des " orthodoxes " ), et en celales B.R.

se situent bien dans l' " album de famille " communiste ou bien cultiver les liens avec les masses, s'insérer dans les luttessociales en jouant davantage de la spontanéité (thèse des " mouvementistes " ). Jusqu'à l'affaire Moro, ces deux " âmes " des B.R.

coexistent dans un rapport de dialectique interne.

Par la suite, lesantagonismes vont se durcir, chaque ligne cherchant à l'emporter sur l'autre, mais chaque camp se déplaçant sur le terrain del'idéologie et de la pratique de l'autre pour démontrer qu'il est aussi capable d'y agir. Si, dans le contexte de flottement idéologique et de répression des années 1979-1980, la ligne " orthodoxe " va d'abordprévaloir (c'est dans cette perspective que se situent les assassinats de carabiniers et de juges progressistes), la sensibilité" mouvementiste " ne s'en affirme pas moins. A la fin des années 70, le débat interne des B.R.

sur le rôle du parti armé dans son rapport aux masses s'est envenimé.

La crisepolitique née de ces forts contrastes n'a certes pas entamé la capacité opérationnelle de l'organisation : malgré les arrestations de1978-1979 (mille six cents personnes), s'enchaînent " jambisations " (tirs dans les jambes), enlèvements et assassinats.

En 1980,cette frénésie d'action, qui tient autant à la ligne dure des " orthodoxes " qu'à une rivalité entre les deux courants pour conquérirplus de poids et faire prévaloir leur ligne respective, est compromise par les difficultés internes et la répression. Le " retour au social " Sur le plan du recrutement, l'ouverture au " prolétariat extralégal " va se traduire par une " formation " en prison de nouveaux" réguliers " et par l'extension de la base logistique à la pègre.

La tendance " normale " de toute organisation clandestine des'acoquiner avec le monde des truands (pour obtenir des armes, de faux papiers, monter des hold-up) va se renforcer en trouvantune justification " théorique ". C'était aussi prendre un risque : la pègre étant un milieu peu fiable et, surtout, pénétré par la police. Certaines associations terroristes-pègre ont été fructueuses : à Naples, lors de l'enlèvement de l'assesseur à l'urbanisme Cirillo(mars 1981), c'est la camorra (la mafia napolitaine) qui sera l'intermédiaire pour la rançon (1,5 milliard de lires), en encaissant aupassage un autre milliard et demi, plus 100 millions en " faux frais "... En revanche, dans l'affaire Dozier, l'association avec la pègre locale sera catastrophique pour les B.R.

C'est, semble-t-il, lesmilieux de la drogue de Vérone, plaque tournante pour le trafic, qui ont aidé la police à localiser la prison du général.

On ignore,en fait, où ont pu passer les 2 milliards de lires promis par de mystérieux " amis du général " à qui donnerait des informations,mais ce dont on est sûr à Vérone, c'est que les trafiquants n'avaient qu'une hâte : que la police, qui avait quadrillé la ville à la suitede l'enlèvement, la quitte au plus vite afin que soit restauré un calme propice aux affaires.

Que les grands trafiquants aient livré lesterroristes ne serait pas étonnant : ils n'avaient d'ailleurs pas de difficultés à se renseigner puisque le commando avait fait l'erreurde recourir à de petits revendeurs pour monter leur opération. Le second phénomène qui va modifier la composition des B.R.

est la disponibilité d'une extrême gauche venue à la politiqueaprès 1977. L'effritement des organisations gauchistes (Lotta continua, Il Manifesto, Avanguardia opéraia) laissera soudain à la dérive cettemasse en révolte (étudiants, jeunes ouvriers, marginaux), à l'origine d'Il Movimento, qu'elles canalisaient et contrôlaient jusqu'à uncertain point. Au lendemain de 1977, pour ceux qui ont participé au " mouvement " c'est l'alternative : ou se replier sur des luttes parcellaireset renoncer plus ou moins à la politique, les partis de gauche traditionnels n'offrant aucune perspective, ou bien se lancer dans lalutte armée. De là toute une période de terrorisme diffus, de terrorisme de quartier.

Mais avec la rapide déconfiture des groupusculesterroristes, les B.R.

vont devenir un pôle de référence.

Après avoir été longtemps une organisation fortement structurée, elles. »

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