Article de presse: La Corée du Nord inaugure le communisme dynastique
Publié le 22/02/2012
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8 octobre 1997 - La désignation, mercredi 8 octobre, de Kim Jong-il, fils et héritier de Kim Il-sung, au poste de secrétaire du Parti des travailleurs contribue à normaliser les instances dirigeantes de la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Après la mort en 1994 de son père Kim Il-sung, le régime a en effet connu trois années de vacance des deux fonctions suprêmes de l'appareil étatique : celles de secrétaire général du parti et de chef de l'Etat.
Si le poste de chef de l'Etat n'est toujours pas pourvu, du moins Kim Jong-il a-t-il désormais officiellement en main les rênes du pays, avec l'aval du parti et de l'armée, dont il est le commandant suprême, seule fonction qu'il ait occupée au cours de ces trois années et dont il avait été investi du vivant de son père.
Ce premier transfert dynastique du pouvoir dans un régime communiste renforcera-t-il les chances de survie d'un régime à bout de souffle qui préside aux destinées d'un pays en quasi-banqueroute économique ? Les interrogations restent entières : Kim Jong-il sera-t-il un Deng Xiaoping mettant son pays sur la voie des réformes ou bien s'enlisera-t-il dans le sillon idéologique paternel au risque de connaître un jour le sort d'un Ceausescu ?
Économie de subsistance
La période de deuil de trois ans a été un sursis pour Kim Jong-il, lui permettant de consolider son pouvoir. Cette succession dynastique a été préparée depuis l'entrée de Kim Jong-il au secrétariat du parti en 1973. Elle a été mise en oeuvre par son père et la vieille garde du régime soutenue par une partie de la jeune élite qui forme aujourd'hui l'entourage de Kim. Celui-ci a cultivé ses liens avec l'armée (1,4 million d'hommes) et récemment rajeuni le haut commandement militaire. S'il y a eu des résistances, la succession semble aujourd'hui ne plus rencontrer d'opposition. Déjà aux abois, le régime ne peut guère espérer survivre à une lutte interne pour le pouvoir. Selon les réfugiés provenant de l'élite du régime, aucun signe de crise politique n'est apparent. Officiellement aux commandes, Kim Jong-il va-t-il faire évoluer la ligne politique de la RPDC ? La nature totalitaire du régime ne semble pas devoir changer. Au cours des trois années de deuil, la propagande a porté à son comble le culte voué à Kim Il-sung en reportant les vertus du père sur le fils.
Selon la plupart des observateurs de la RPDC à Séoul et à Tokyo, la détérioration de la situation économique et la famine ne mettent pas, pour l'instant, le régime en danger. Il ne fait guère de doute que la population souffre durement de la pénurie alimentaire. Mais l'encadrement rigide du pays, l'isolement des provinces les unes des autres, la répression policière (il y aurait 200 000 prisonniers politiques), l'endoctrinement et l'endurance d'un peuple rude et mobilisé depuis un demi-siècle par une idéologie où se mêlent idéaux socialistes, patriotisme exacerbé et valeurs confucéennes de respect de l'autorité, assurent au régime une relative stabilité.
Y a-t-il des oppositions ? Vraisemblablement. L'augmentation du nombre des réfugiés qui passent clandestinement en Chine et les défections de personnalités appartenant à l'élite témoignent d'une dilution de la confiance à la base comme au pinacle du régime. Selon des réfugiés, serait en outre apparue une dissidence de jeunes, plus individuelle qu'organisée, qui se traduirait par une petite délinquance. La banqueroute économique et la pénurie alimentaire ont enfin commencé à subvertir de l'intérieur le système collectiviste : une économie secondaire parallèle à celle de l'Etat, quasiment paralysée est apparue depuis un an. Les marchés libres alimentant une économie de subsistance fleurissent un peu partout. Si la nature du régime ne paraît pas devoir évoluer et si, pour l'instant, Kim Jong-il semble tenir en main le pays, le kimilsungisme (et notamment la doctrine d'autosuffisance, juche) est à bout de souffle. Autant que les catastrophes naturelles, ce sont le collectivisme (par la démobilisation de la paysannerie) et une culture intensive épuisant les terres par une utilisation excessive d'engrais chimiques conjuguée à une déforestation inconsidérée qui ont conduit le pays à la famine.
Le dilemme de Kim Jong-il, qui fut déjà celui de son père, est de dégager le pays de l'ornière sans provoquer l'effondrement d'un régime largement bâti sur l'ignorance des réalités extérieures dans laquelle est maintenue la population. Une tâche qui tient de la quadrature du cercle : le nouveau secrétaire tient sa légitimité d'un régime qui a conduit le pays à un fiasco économique, mais le réformer en suivant le modèle de la Chine équivaut à accélérer sa propre chute. La seule évolution notable du régime est d'ordre diplomatique. Confronté à l'effondrement de l'Union soviétique et à l'évolution de la Chine, Kim Il-sung a compris que la seule chance de survie de son régime était la menace potentielle qu'il représentait avec un programme nucléaire qui pouvait permettre à la RPDC de se doter de l'arme atomique.
En jouant de cette menace, Pyongyang a amené les Etats-Unis à la table de négociation et à l'accord de 1994 sur la fourniture de deux centrales nucléaires à eau légère (limitant les risques de détournement de l'énergie à des fins militaires) et d'une aide économique en échange de l'arrêt du programme nucléaire. Kim Jong-il a poursuivi la partie d'échecs entamée par son père. Avec succès puisque les centrales sont en construction. La RPDC ne survit en outre aujourd'hui que grâce à l'aide alimentaire internationale. Etablir des contacts avec les Etats-Unis était le premier objectif des dirigeants nord-coréens, mais ceux-ci ont besoin pour relancer l'économie de l'aide financière et technologique des Coréens du Sud et des Japonais. Après avoir été suspendus plusieurs années, les pourparlers avec les Japonais ont repris en vue de la normalisation des relations entre les deux pays. Pyongyang entend obtenir de Tokyo des indemnisations pour les dommages de guerre.
Une reprise du dialogue à haut niveau avec la Corée du Sud est l'autre grande question de l'" ère " Kim Jong-il. L'élection en décembre du successeur du président Kim Young-sam (que Pyongyang refusait de considérer comme un interlocuteur depuis la mort de Kim Il-sung, estimant qu'il avait manqué d'égards au défunt) pourrait être l'occasion pour Kim Jong-il de relancer l'idée d'un sommet entre les dirigeants des deux Corées qui était sur le point de se réaliser lorsque Kim Il-sung est mort.
PHILIPPE PONS
Le Monde du 10 octobre 1997
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