Article de presse: La conférence des Nations unies sur la population
Publié le 22/02/2012
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5-13 septembre 1994 - La conférence internationale sur la population et le développement, qui s'était ouverte le lundi 5 septembre, a terminé ses travaux mardi 13 septembre sur un consensus assez large des 182 pays représentés. Toutefois, à l'image du Vatican et de Malte, neuf Etats d'Amérique du Sud et centrale ont présenté des réserves portant sur la sexualité et la défense de la vie. D'autre part, une douzaine d'Etats musulmans, tout en approuvant l'ensemble du document, ont marqué une réticence à tout ce qui pouvait autoriser la sexualité hors mariage en se référant à la loi islamique (la charia).
Il n'est guère de pays en développement qui, aujourd'hui, ne juge nécessaire de ralentir la croissance de sa population. Tel est le premier constat à l'issue de la conférence du Caire. La conversion spectaculaire de l'Iran à la planification familiale en témoigne, le pays des ayatollahs n'hésitant pas à vanter ses réussites en ce domaine. Aujourd'hui, seuls quelques groupes obsédés par l' " impérialisme " ou l'avortement voient encore dans les politiques démographiques une manière de " domestiquer " les pays en voie de développement.
Mais tout le monde en est d'accord aussi aujourd'hui, pas question de fixer des objectifs chiffrés. On en connaît les risques, comme les stérilisations massives en Inde. La Chine même souligne que " l'enfant unique " n'est pas une obligation.
On est donc amené à laisser aux intéressés une - relative - liberté de choix, même si récompenses et sanctions ne manquent pas en bien des pays. La mise en oeuvre de cette planification familiale est laissée, par raison et par conviction, au choix " des couples et des individus " : on doit s'efforcer de fournir à tous, " au plus tard en 2015, accès à une gamme complète de moyens sûrs ".
Ensuite, la conférence a choisi de porter l'effort en priorité sur les femmes, qui portent le fardeau des naissances, en subissent les effets dans leur corps et dans leur vie. Le rapport avait adopté une approche combinée : les relations entre hommes et femmes, l'éducation (la baisse de la fécondité dans beaucoup de pays commence par les femmes les plus instruites) et surtout la santé " de la sexualité et de la reproduction ".
Cette approche ne manque pas de raison : la planification familiale est plus efficace quand elle peut s'appuyer sur une infrastructure sanitaire générale. En ajoutant le traitement de la stérilité, en réduisant la mortalité infantile et maternelle, on donne aux femmes l'idée que même dans la pauvreté elles peuvent avoir une prise sur leur vie et celle de leur famille, qu'il n'est pas nécessaire de multiplier les naissances pour garder quelques enfants. " Le meilleur contraceptif, c'est peut-être l'espoir ", disait un démographe.
Ici, on a fixé des objectifs chiffrés, en proposant de réduire d'un tiers la mortalité des enfants de moins de cinq ans, et de moitié la mortalité maternelle d'ici à l'an 2000. A cette orientation a contribué aussi la volonté, sous l'influence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), de lutter contre l'expansion du sida : la pandémie donne une autre ampleur au problème des maladies sexuellement transmissibles et elle commence à toucher davantage les femmes que les hommes, au moins en Afrique.
Même dans la pauvreté Cette approche sanitaire - quasiment médicale - a permis d'évoquer de façon précise la sexualité et l'avortement, ce qui est sans doute une première dans une conférence réunissant des politiques et non des médecins. Mais en voulant trop accorder aux femmes, le programme d'action a sans doute péché par excès d'audace. En évoquant la sexualité extramatrimoniale et l'avortement, le texte heurtait des tabous sociaux et surtout religieux. Les catholiques, entraînés par le Vatican, aussi bien que des Etats musulmans menés par l'Iran, n'étaient pas prêts à accepter des concepts jugés contraires à la foi.
Le Saint Siège qui, en matière d'avortement, s'est battu avec acharnement contre toute formulation du texte final pouvant être interprétée comme permissive, a donné le ton. Il s'est en effet abstenu d'entériner les chapitres 7 portant sur " les droits en matière de procréation " et 8 qui concerne " la santé " et qui incorpore l'avortement. Dans un communiqué lu lors de la séance plénière finale, le Saint Siège affirme que " la vie humaine, qui doit être défendue et protégée, commence au moment de la conception " et qu'il n'était donc pas question " de fermer les yeux à l'égard de politiques favorisant l'avortement ".
L'attitude du Vatican, qui, depuis l'arrivée du pape Jean-Paul II conduit une politique militante, n'a pas manqué d'influencer les pays d'Amérique du Centre et du Sud où les évêques ont mené une vraie campagne. Neuf pays de cette région (Salvador, Honduras, Argentine, République dominicaine, Equateur, Venezuela, Nicaragua, Costa Rica, Pérou), auxquels s'est associé Malte, ont en effet émis des réserves sur tout ce qui pouvait être interprété comme moralement permissif.
Les termes comme " droits en matière de procréation ", " santé sexuelle et de la procréation " ou " diverses formes de familles " ont notamment été cités par ces pays opposés à toute forme de sexualité en dehors du mariage. Selon eux le terme famille devait être compris comme " mariage entre un homme et une femme ".
Le drapeau de la religion Les pays islamiques asiatiques (Pakistan, Bangladesh, Indonésie), d'Afrique subsaharienne, ainsi que le Maroc et la Tunisie, qui rassemblent près des trois quarts des musulmans de la Terre, ont adhéré sans réserve au texte. La mention dans les principes généraux de la déclaration du Caire de l'importance des valeurs " morales, éthiques et religieuses " leur a suffi.
Mais, comme les pays catholiques, une douzaine de pays musulmans du Moyen-Orient ont émis des réserves. Un nouveau lobby, réuni derrière le drapeau de la religion.
Les Etats musulmans du Moyen Orient ont souligné qu'avortement et sexualité extramatrimoniale étaient contraires à leurs législations. Au nom de la charia, ils ont ajouté une nouvelle réserve concernant l'appel du texte à agir en faveur de l'égalité entre l'homme et la femme, ils ont préféré le terme " équité " à celui d' " égalité " : en matière d'héritage, la législation islamique accorde à l'homme le double de la part de la femme.
Le Vatican, en revanche, n'a pas manqué de marquer d'une croix blanche ce chapitre sur les droits de la femme. Le Saint Siège a, en effet, exprimé son " adhésion au consensus " sur une grande partie du document. Un progrès par rapport au refus catégorique lors des précédentes conférences sur la population à Bucarest en 1974 et à Mexico en 1984. Toutefois, à la différence des Etats islamiques les plus durs qui utilisent sans problèmes les moyens de contraception modernes, le Vatican a réitéré son opposition totale aux contraceptifs, à la stérilisation et même à l'usage du préservatif comme moyen de lutter contre le sida.
Si on peut tirer un bilan un peu mitigé de la conférence sur les femmes et la famille, la déception a été générale sur tout ce qui touche au développement. Rien n'a été dit au-delà de la reconnaissance d'un " droit au développement ", qui n'engage personne. Toutefois se forge petit à petit un espoir de voir les aides des grands bailleurs de fonds s'orienter vers une approche plus globale des politiques de population et vers une vision moins schématique de l'évolution démographique. La baisse de la fécondité va aussi de pair avec l'amélioration des conditions de vie.
ALEXANDRE BUCCIANTI, GUY HERZLICH - Le Monde du 15 septembre 1994
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