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Article de presse: La communauté algérienne en France

Publié le 22/02/2012

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17 octobre 1961 - En l'année 1954, la communauté algérienne de France est de plus de deux cent mille personnes, dont cent cinquante et un mille sept cent quatre-vingt-treize " actifs ". Plus des deux tiers d'entre eux travaillent dans la métallurgie et dans le bâtiment, mais on en trouve aussi dans les houillères, dans la chimie et dans le textile. La spécialisation varie selon les régions: on est plus souvent métallo à Paris, dans le bâtiment en Moselle et dans le textile dans le Rhône et le Nord. Par contre, la qualification ne varie pas: 94,7 % sont OS ou manoeuvres, 5 % sont ouvriers qualifiés et 0,15 % agents de maîtrise. Massivement, ils sont exclus du secteur tertiaire: 0,15 % d'entre eux sont employés. Quant aux salaires, 30 % seulement des ouvriers algériens touchent plus de 100 anciens francs de l'heure, alors que c'est le cas de 60 % des ouvriers français. En revanche, ils sont 74 % à travailler plus de quarante-cinq heures par semaine. Aux ouvriers, il faut ajouter bien sûr le réseau des petits patrons du commerce (épiciers, bistrotiers ou hôteliers) et quelques centaines d'étudiants. La politique La seule structuration du milieu est politique, et elle repose sur l'implantation du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Le MTLD est donc sans concurrent réel, et il a pour lui le poids de l'histoire. En 1954, il regroupe en France environ sept mille militants. Seulement, le MTLD est profondément divisé. Pendant que Messali est en résidence surveillée à Niort, s'est constitué peu à peu un appareil dont la base sociale est de moins en moins plébéienne. La majorité du comité central se présente comme attachée à la démocratie, hostile au " pouvoir personnel " de Messali. En France, les messalistes regroupent 90 % des militants-ne leur échappent guère que les étudiants,-mais la quasi-totalité de l'appareil est entre les mains des " centralistes ", c'est-à-dire des partisans du comité central. A la base, on est souvent dans l'expectative, attendant une initiative qui débloque la situation. Peu à peu, le bruit se répand qu'il y a du nouveau : les " lourds " ont décidé d'intervenir. Ceux que l'on appelle les " lourds " dans le jargon du parti, ce sont les anciens de l'Organisation spéciale (OS), la branche armée crée en 1947 par le MTLD et démantelée en 1950 par la police. Pourchassés, contraints à la clandestinité, ils sont un peu marginalisés, voire tenus à l'écart de la vie du parti. A la base, cependant, leur prestige reste grand. Politiquement, ils se sentent d'abord plus proches de Messali. Mais la manière dont celui-ci prétend s'adresser à la base par-dessus toutes les instances leur paraît mettre en jeu l'existence même du parti : ils constituent une troisième force, le Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (CRUA). Mais la scission ne pourra être évitée : les " lourds " dissolvent alors le CRUA, se réunissent clandestinement, à vingt-deux, en juin 1954, et déclenchent l'insurrection le 1er novembre. Le FLN est né. Tous les témoignages concordent, c'est avec enthousiasme que la communauté algérienne accueille le déclenchement des opérations. Ironie de l'histoire : c'est aux messalistes que tout le monde attribue l'initiative du soulèvement. Le gouvernement accrédite cette thèse en interdisant, dès le 4 novembre, le MTLD. De plus, la Fédération de France du FLN se constitue en grande partie autour d'anciens cadres centralistes dont l'hostilité passée à toute perspective insurrectionnelle est bien connue. Comment imaginer que ce soit eux qui représentent l'insurrection algérienne ? Il est évidemment plus logique d'en attribuer le mérite aux messalistes. Pendant de nombreux mois, c'est en profitant de ce clair-obscur que le FLN cherche, en Algérie, à gagner la base messaliste et que le MTLD-reconstitué sous le nom de Mouvement national algérien (MNA)-cherche à canaliser à son profit la sympathie pour l'insurrection. Les collectes pour soutenir les maquis témoignent de cette situation. Elles sont massives, et les exemples abondent, du commerçant au retraité qui confie spontanément la totalité de ses économies, parfois plusieurs millions d'anciens francs. Une partie de ces collectes est l'oeuvre du petit noyau qui commence à se réclamer du FLN, mais, pour l'essentiel, elle est l'oeuvre des messalistes. Divisions Porté par l'essor même de la révolution algérienne, le MNA se développe en France. En 1956, on peut estimer qu'il a dépassé les dix mille adhérents. Par contre, le FLN, en France, se met en place difficilement. Dès les premiers mois de 1955, Boudiaf a regroupé les cadres de l'est de la France (Forbach, Mulhouse, Sochaux). Et, à partir d'août, l'émigration massive en provenance du nord du Constantinois fournit au FLN des troupes fraîches. Pourtant, au début de l'année 1956, la wilaya de Paris ne compte encore que deux cents militants. Pendant toute cette période, la cohabitation est restée relativement pacifique entre FLN et MNA. A Lyon, à Grenoble, dans le dix-huitième arrondissement de Paris, des débats contradictoires ont pu avoir lieu dans les cafés tenus par les messalistes. Mais à partir de 1956, c'est une véritable guerre civile qui se développe entre le FLN et le MNA. Qui a commencé ? En Algérie, sans doute le FLN. Mais en France, c'est le MNA, avec l'assassinat, au printemps 1956, de Saïfi, un vieux militant, dont l'hôtel-restaurant, rue du Caire, a de tout temps abrité les illégaux. Pendant plus d'un an, la direction de la Fédération de France du FLN, qui craint l'engrenage, se refuse à riposter aux attentats messalistes. Mais les militants se rebiffent, exigent la formation de groupes armés, et en attendant bloquent les cotisations. A l'automne 1956, la direction cède. Très vite, les combats tournent à l'avantage du FLN. Très vite aussi, la violence n'est plus contrôlée par personne. Tour à tour, Filali au MNA, puis une partie de la direction de la Fédération de France du Front, tentent d'enrayer le processus. En vain. Cette " guerre civile " fera en tout quatre mille morts dans l'émigration. Au début de l'année 1957, le FLN fait à peu près jeu égal avec le MNA : entre dix mille et quinze mille militants de part et d'autre. En décembre 1957, le FLN est devenu prépondérant, mais le MNA reste fortement implanté dans le Nord, l'Est, le Centre (Clermont-Ferrand, Montluçon) et la région lyonnaise. Au début de l'année 1958, l'Est et la région lyonnaise rejoignent le FLN. Le plus étonnant reste sans doute que ces combats fratricides ne ralentissent pas le soutien à la révolution algérienne : c'est désormais 800 millions de francs, puis 1 milliard, que remet tous les mois la Fédération de France à la direction du FLN. Ce qui est bien plus, expliquent d'anciens dirigeants du Front, que l'aide financière qui arrive alors des Etats arabes. La communauté algérienne, elle, restera soudée face à la répression qui s'abat sur elle, et qui lui fera compter par milliers ses morts et ses martyrs. JACQUES KERGOAT Le Monde du 28-29 octobre 1984

« l'année 1956, la wilaya de Paris ne compte encore que deux cents militants.

Pendant toute cette période, la cohabitation estrestée relativement pacifique entre FLN et MNA.

A Lyon, à Grenoble, dans le dix-huitième arrondissement de Paris, des débatscontradictoires ont pu avoir lieu dans les cafés tenus par les messalistes.

Mais à partir de 1956, c'est une véritable guerre civilequi se développe entre le FLN et le MNA. Qui a commencé ? En Algérie, sans doute le FLN.

Mais en France, c'est le MNA, avec l'assassinat, au printemps 1956, deSaïfi, un vieux militant, dont l'hôtel-restaurant, rue du Caire, a de tout temps abrité les illégaux.

Pendant plus d'un an, la directionde la Fédération de France du FLN, qui craint l'engrenage, se refuse à riposter aux attentats messalistes.

Mais les militants serebiffent, exigent la formation de groupes armés, et en attendant bloquent les cotisations.

A l'automne 1956, la direction cède. Très vite, les combats tournent à l'avantage du FLN.

Très vite aussi, la violence n'est plus contrôlée par personne. Tour à tour, Filali au MNA, puis une partie de la direction de la Fédération de France du Front, tentent d'enrayer le processus.En vain.

Cette " guerre civile " fera en tout quatre mille morts dans l'émigration. Au début de l'année 1957, le FLN fait à peu près jeu égal avec le MNA : entre dix mille et quinze mille militants de part etd'autre.

En décembre 1957, le FLN est devenu prépondérant, mais le MNA reste fortement implanté dans le Nord, l'Est, leCentre (Clermont-Ferrand, Montluçon) et la région lyonnaise.

Au début de l'année 1958, l'Est et la région lyonnaise rejoignent leFLN. Le plus étonnant reste sans doute que ces combats fratricides ne ralentissent pas le soutien à la révolution algérienne : c'estdésormais 800 millions de francs, puis 1 milliard, que remet tous les mois la Fédération de France à la direction du FLN.

Ce quiest bien plus, expliquent d'anciens dirigeants du Front, que l'aide financière qui arrive alors des Etats arabes. La communauté algérienne, elle, restera soudée face à la répression qui s'abat sur elle, et qui lui fera compter par milliers sesmorts et ses martyrs. JACQUES KERGOAT Le Monde du 28-29 octobre 1984. »

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