Article de presse: La Chine en conflit avec la communauté internationale

12 mars 1996 - Jamais, depuis la mort de Mao en 1976, la Chine n'avait fait autant parler d'elle qu'en 1996. Pékin a paru multiplier les contentieux avec la communauté internationale dans plusieurs domaines. Une première catégorie relève des grands principes de gouvernement : démocratie, droits de l'homme, respect des peuples et cultures allogènes. " Sonné " par la réaction des Occidentaux à la crise de Tiananmen en 1989, le régime de Pékin s'est ressaisi. Il a appris à faire la part du feu face à ses critiques. Ceux-ci, au reste, se font moins mordants. Les opposants au régime de Pékin pèsent moins sur les gouvernements occidentaux, et les autorités chinoises accueillent avec philosophie les condamnations occidentales à l'encontre de leurs actes. La question du Tibet demeure pourtant très sensible. Pékin éprouve un vif courroux du fait que le dalaï-lama soit désormais reçu presque partout au plus haut niveau. Une autre catégorie de conflits découle du processus d'intégration de la Chine dans le système mondial. Elle concerne les différends commerciaux ainsi que les risques que cette puissance fait peser sur la sécurité internationale quand elle vend des technologies sensibles à des pays considérés comme problématiques. Troisième catégorie de querelles, celles qui touchent à la notion de " souveraineté nationale ". Taïwan et Hongkong en ont été, ces derniers temps, les points de focalisation. Les manoeuvres et tirs de missiles à blanc dans le détroit de Taïwan en février et mars 1996, puis la prise de contrôle effective de Pékin à Hongkong, ont illustré un puissant souci de régler les comptes du passé que ne tempère guère l'intégration à la communauté internationale. Au moins ces deux dernières actions ont-elles eu le mérite de contribuer à relativiser la thèse selon laquelle une rationalité purement économique prévaudrait, pour Pékin, sur des considérations politiques. Il est vrai que la Chine, quand elle était faible, jouait la carte pragmatique. Elle a d'abord jugé opportun de maintenir Hongkong en l'état colonial, pour les avantages qu'elle en tirait. Elle a composé avec les puissances qui l'avaient humiliée. Durant la guerre froide, la Chine a apporté son soutien à des guérillas, à des mouvements de " libération ", à des agitations antigouvernementales, dans son créneau très particulier, entre l'URSS et l'Occident. Mais, dans le même temps, elle conservait sa marge de manoeuvre. Elle préférait, au demeurant, traiter avec les hommes à poigne de la planète. A présent, ses ambitions semblent différentes. Le début d'enrichissement que la Chine connaît a sensiblement modifié la donne. La fierté nationale a refait surface. Hier, mortifiés, les Chinois perdaient leur identité. On entendait souvent cette réflexion amère : " La Chine, ça ne peut pas marcher, nous sommes trop nombreux... " La patrie, recours suprême Maintenant, les conversations tournent plutôt autour de thèmes sinon enthousiastes pour l'avenir du pays, du moins dégagés d'un certain fatalisme atavique. Mal canalisé, ce regain d'optimisme peut mener à un sérieux dérapage, dont ne pâtiraient pas que les Chinois. Or le gouvernement a tendance à détourner tout sentiment de malaise éprouvé par l'individu vers une adhésion à la " patrie ", conçue comme recours suprême, qu'il incarnerait exclusivement. Dès lors, il devient de plus en plus difficile de faire la part entre deux issues possibles : soit un nationalisme exprimant un réel renouveau, soit la dangereuse dérive d'un pouvoir accroché à une conception passéiste de lui-même, avec les débordements qui peuvent en découler. FRANCIS DERON Le Monde du 11 janvier 1997