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Article de presse: Kadar : faire oublier le passé

Publié le 17/01/2022

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9 décembre 1961 - Janos Kadar est nommé président du conseil hongrois. Sa biographie officielle est courte il s'est, il est vrai, refusé au culte de la personnalité et a découragé les fabricants de légendes dorées. Il naquit en 1912 à Salgotarjan. Il travaille ensuite à Budapest dans la métallurgie, s'inscrit aux Jeunesses communistes à l'âge de dix-neuf ans, milite dans la clandestinité et connaît une première fois la prison. A la libération, il est secrétaire du comité du parti pour la ville de Budapest et, un peu plus tard, secrétaire du comité central. Sans doute était-il à cette époque rempli d'illusions il croyait que l'idéal auquel il avait voué sa vie devenait réalité. Les hommes qu'il admirait, Rakosi, Rajk, exerçaient le pouvoir. Devinait-il la tragédie qui se préparait dans le sérail ? Rakosi, le chef du parti était résolu à éliminer les prétendus agents de l'ennemi qui s'étaient infiltrés dans l'état-major du PC. La victime exemplaire choisie, Lazlo Rajk, alors ministre de l'intérieur, avait combattu dans la clandestinité pendant la guerre, tandis que Rakosi se trouvait à Moscou il avait donc les caractéristiques du titiste. Il tomba en deux temps. Il dut d'abord-août 1948-abandonner le ministère de l'intérieur où, maître de la police, il possédait une part du pouvoir pour prendre en charge les affaires étrangères qui n'avaient aucune importance. Huit mois plus tard, il était arrêté. M. Kadar, qui était de ses amis, lui succéda à l'intérieur. Il fut alors prié de remplir une mission peu glorieuse. Il dut visiter en prison son ami et prédécesseur, l'exhorter à avouer ce qu'exigeaient les enquêteurs pour rendre service au parti, moyennant quoi il serait, certes, condamné à mort, mais il aurait la vie sauve. M. Kadar se rendait-il compte qu'il jouait ou qu'on lui faisait jouer une sinistre comédie ? Rajk fut bel et bien pendu. L'homme qui l'avait convaincu de reconnaître ses " crimes " fut lui-même happé par la machine infernale. Arrêté en 1951, il refusa toutefois de s'humilier. Evoquant cette période, il dira à un ami : " La prison sous Horthy ou sous la Gestapo c'était insupportable, mais sous Rakosi c'était bien pire. " Réhabilité après la mort de Staline, il fut de ceux qui chassèrent du pouvoir les chefs communistes qui s'étaient à jamais perdus. En 1956, les insurgés lui faisaient confiance. Il s'était prononcé pour le retour d'Imre Nagy, porte-parole d'un communisme national, à la tête du gouvernement. Lui-même était vice-président de ce gouvernement et il prenait la tête de l'appareil d'un parti dont il confessait les crimes. Les Hongrois ne mettaient pas en doute la parole de cette victime de la terreur qui promettait déjà un socialisme à visage humain. Mais M. Kadar s'effrayait de l'ampleur que prenait l'insurrection. Tandis que Nagy s'identifiait aux rebelles, il se retirait-de son plein gré ou à l'invitation de ses alliés ?-chez les Soviétiques. Il y constituait en secret un gouvernement ouvrier et paysan qui eut pour tâche première de rétablir l'ordre (et de justifier l'intervention des chars soviétiques). Il fit un coup d'Etat contre le gouvernement légal dont il était vice-président et entreprit de mater ceux-là mêmes qui, quelques jours plus tôt, le soutenaient, et dont il disait que les aspirations étaient légitimes. Pour remplir la mission qu'il s'était assignée ou qu'on lui avait assignée, il accepta le concours de ses ennemis de la veille, les staliniens mal repentis. Soutenu par ceux qu'il détestait, en guerre contre ceux qu'il avait cru aimer, avait-il d'autre instrument de pouvoir que les blindés russes ? N'était-il pas condamné à pratiquer une terreur qu'il avait réprouvée ? Cette période fut terrible pour cette partie de la population qui, dans l'insurrection, s'estimait kadariste. Il ne restait rien de l'indépendance que la Hongrie avait entrevue en octobre 1956. Rien de la démocratisation espérée. Imre Nagy était jugé à huit clos, condamné à mort, exécuté. Les opposants étaient châtiés. Le pays était " normalisé ". BERNARD FERON Le Monde du 16 novembre 1978

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