Article de presse: Jiang Zemin, un apparatchik à l'autorité mal assurée
Publié le 22/02/2012
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19 février 1997 - En septembre 1989, la bourgade de Nanniwan, obscure commune du centre-nord de la Chine, dans la région qui fut le berceau du communisme, reçut un visiteur inattendu : Jiang Zemin, ancien maire de Shanghaï, promu trois mois plus tôt, fin juin, secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC). Inattendu parce qu'on aurait pu penser que l'homme avait alors d'autres chats à fouetter, nommé qu'il était pour tenter de redonner une légitimité à la direction politique d'un Deng Xiaoping qui venait de cautionner l'écrasement du "Printemps de Pékin" par les chars.
M. Jiang trouva pourtant le temps d'effectuer le pèlerinage à Nanniwan, lieu microscopique qui tient une place énorme dans la légende du régime pour la raison qu'il fut, dans les années 30, le site d'expérimentation, sous la caution de Mao et d'autres grands grognards rouges, d'une forme spécifiquement communiste de mise en valeur des régions pauvres par la contrainte exercée à l'encontre de populations appelées à exprimer leur enthousiasme volontariste. L'ancêtre du goulag chinois, en quelque sorte. M. Jiang, de mémoire locale, est le dernier haut dirigeant en date à avoir traîné là ses guêtres.
Ce geste résume le personnage. Appelé par Deng Xiaoping à être le troisième dauphin du patriarche, les deux premiers Hu Yaobang et Zhao Ziyang ayant été éliminés, M. Jiang s'est empressé de faire acte d'allégeance à un passé mythologique auquel ses plus récentes fonctions à la tête de la seule ville de Chine pouvant prétendre à une certaine modernité, ne le reliaient guère. En même temps, cet apparatchik bon teint, appliqué à ne pas donner prise à la critique, se retrouvait un peu lui-même : orphelin de la guerre civile des années où la Chine hésitait entre plusieurs options politiques, M. Jiang est, comme beaucoup de ses collègues d'un âge équivalent, un enfant du système communiste, dont plusieurs observateurs familiers ont fait remarquer que la génération des successeurs était encore plus acharnée à préserver l'héritage que celle des fondateurs. Car il en va de leur raison d'être.
C'est peu dire que M. Jiang manque notoirement du charisme dont étaient pourvus les deux chefs historiques dont il lui revient d'assumer le legs en tant que "noyau" selon l'expression forgée par Deng Xiaoping de la "troisième génération" dirigeante de la République populaire de Chine. Au passage, on relèvera dans cette expression qu'elle fait purement et simplement disparaître de l'historiographie le personnage auquel M. Jiang est volontiers comparé, celui de Hua Guofeng, éphémère successeur de Mao balayé par M. Deng peu après son intronisation.
Opportunisme
Issu d'une famille intellectuelle de la province du Jiangsu fauchée par la guerre, il est le premier chef du régime à provenir d'une de ces régions côtières traditionnellement plus ouvertes aux influences extérieures que celles du pays profond d'où étaient originaires Mao et Deng. Ce trait a son importance en Chine, et le rapproche d'un Zhou Enlai, fils d'une maison de notables de la province orientale passé au communisme par nationalisme plutôt que pour l'idéal d'égalitarisme social. La ressemblance s'arrête là : M. Jiang n'a aucune des qualités qui impressionnèrent ceux qui approchèrent Zhou, même s'il partage avec lui un opportunisme certain.
Admis à l'âge de vingt ans au Parti communiste, en 1946, M. Jiang poursuit des études d'ingénieur à Shanghaï avant de partir pour un séjour, obligé à l'époque, en Union soviétique, où il effectue un stage de formation à l'usine automobile "Staline" de Moscou. De retour en Chine, il entame une carrière de technocrate qui le conduit à diriger le ministère de l'industrie électronique, avant de prendre la tête de la municipalité de Shanghaï en 1985. C'est en raison de la fermeté avec laquelle il empêche la grande métropole orientale de basculer dans la contestation politique, lors de la crise de 1989 à Pékin, que M. Deng le choisit pour succéder à son deuxième dauphin, limogé, Zhao Ziyang.
Ses activités officielles l'amènent à côtoyer les leaders du monde capitaliste : au Japon, aux Etats-unis et en Indonésie pour les sommets de l'APEC (Forum de la coopération économique Asie-Pacifique), puis en France, en septembre 1994. M. Jiang a aussi réparé, par une visite d'Etat à Moscou avant de gagner Paris, la fâcheuse impression qu'avait laissée son précédent passage dans ce qui était encore l'Union soviétique, en 1991, où il avait refusé de prendre en compte les changements politiques en cours.
Il marque également des points sur le plan intérieur avec la promotion de plusieurs de ses amis shanghaïens à de hautes fonctions au sein de la direction, au point paraît-il que M. Deng en aurait pris ombrage : une telle pratique va en effet à l'encontre de l'habitude de l'ancien "Petit Timonier" consistant à soigneusement répartir les responsabilités entre hommes d'origines géographiques et politiques diverses, de manière à mieux les contrôler. Car la fidélité aux options de M. Deng que M. Jiang affiche n'est sans doute pas à toute épreuve. En témoignent plusieurs de ses interventions destinées à flatter l'arrière-garde conservatrice dont, privé qu'il est de lettres de créances bien établies au sein de la caste militaire, il sait qu'il aura besoin à l'avenir. Si, toutefois, ce caméléon se révèle d'une longévité politique plus grande qu'une simple figure de transition.
FRANCIS DERON
Le Monde du 21 février 1997
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