Article de presse: Huit jours de tuerie
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
17 septembre 1970 - C'est à la lueur de plusieurs foyers d'incendie, de fusées éclairantes et de balles traçantes qu'un appareil de la Croix-Rouge internationale, à bord duquel nous avions pris place, a réussi non sans mal à décoller d'Amman jeudi soir. De violents combats se déroulaient à proximité de l'aérodrome. Les forces royales bombardaient sans discontinuer le gigantesque camp de réfugiés de Djebel-Wahadate. Entre deux explosions assourdissantes, on pouvait distinguer la pétarade dérisoire des mitraillettes avec lesquelles se défendent les résistants palestiniens.
Alors que des milliers, peut-être des dizaines de milliers, de blessés attendent des secours, les hôpitaux ne sont pas pleins, et notre avion est reparti aux trois quarts vide. Des équipes médicales venues de l'étranger ne parviennent pas à atteindre les principaux quartiers sinistrés. Djebel-Akhdar et Djebel-Hussein, où sont retranchés des fedayins dans de misérables bidonvilles, continuent à être les cibles favorites de l'artillerie lourde, qui tire jour et nuit. Le cessez-le-feu n'est respecté par aucune des deux forces antagonistes.
Il n'est pas possible de se déplacer à Amman, y compris dans les secteurs dits " épurés " des fedayins, sans risquer d'essuyer le feu de l'une des deux parties, ou des deux à la fois. La méfiance réciproque et la nervosité sont telles que même les ambulances ne sont plus épargnées. Deux d'entre elles ont été détruites ces derniers jours.
Amman, habituellement grouillante de vie, est depuis neuf jours une ville morte. La population, épouvantée, se terre. Rare sont les maisons qui n'ont pas été atteintes par un engin explosif quelconque.
Beaucoup ont été partiellement détruites nombre d'immeubles ont été rasés au sol. Les survivants n'osent pas sortir de chez eux, bien qu'ils manquent d'eau et de nourriture, et que les conditions sanitaires se dégradent sérieusement.
Dans certains quartiers de la capitale l'odeur de la poudre se mêle à la puanteur. La paralysie de tous les moyens de communication et de transmission, y compris le téléphone, retarde considérablement l'évacuation des victimes. Des voitures blindées de l'armée se sont chargées de ramasser les cadavres par groupes de cinquante, les corps sont inhumés dans des fosses communes, qui occupent jusqu'ici environ 1 hectare de terrains vagues à l'entrée méridionale de la ville.
La tragédie est que le roi Hussein peut difficilement s'arrêter à mi-chemin.
" Si je devais avoir le sentiment que le contrôle de la situation m'échappait, nous disait-il, je n'hésiterais pas à demander le secours de puissances amies. " Une nette victoire lui est, en effet, nécessaire pour conserver le soutien de son armée ainsi que son trône. Il est persuadé que les fedayins sont plus que jamais décidés à lui ravir le pouvoir et que tout compromis auquel il souscrirait en désespoir de cause ne constituerait pour eux qu'une ruse de guerre, qu'un répit qui leur permettrait de repartir à l'assaut de la monarchie.
Quant aux dirigeants de la résistance, ils sont de toute évidence divisés. Les uns, comme M. Abou Ayyad, souhaitent avant tout mettre fin au carnage, et d'autres, dont ceux qui résident à Damas et à Bagdad, sont décidés à poursuivre le combat jusqu'à son terme.
Peut-être pensent-ils qu'ils n'ont plus le choix : après la cassure intervenue entre l'opinion palestinienne et le roi, accepter les conditions de ce dernier les discréditerait.
ERIC ROULEAU
Le Monde du 20 septembre 1970
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