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Article de presse: Hirohito, l'image d'un peuple

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

2 septembre 1945 - Du souverain demi-dieu au monarque constitutionnel, de l'orgueilleux chef militaire en uniforme sur son cheval blanc jusqu'au chef débonnaire du Japon industriel, portant cravate et complet-veston, depuis l'allié de Hitler jusqu'à celui des Américains, Hirohito aura parcouru dans sa vie d'extraordinaires distances et opéré de profonds retournements. Ce en quoi il aura été l'image même de son peuple tout entier. Cette personnalité singulière aura aussi témoigné d'une faculté peu commune de survivre aux catastrophes. Pendant plus de quarante ans, il aura été le seul rescapé de l'écroulement des fascismes. Dans l'écrasement de son pays, en 1945, il aura vu sauvés non seulement sa dynastie et son trône, mais son propre règne et lui-même. De tous les grands premiers rôles de la deuxième guerre mondiale, il aura été le dernier à quitter la scène. Et, dans l'histoire du Japon, son règne aura été le plus long depuis des siècles, et finalement l'un des plus réussis, rachetant les fautes de la guerre par les succès de la paix. Hirohito naquit à Tokyo, le 29 avril 1901. Il était le petit-fils du glorieux empereur Meiji, fondateur du Japon moderne, qui régna jusqu'en 1912, et le fils premier-né de l'empereur Taisho. Le " nouveau Japon " n'avait alors qu'un peu plus de trente ans, et bien des traditions de l'âge féodal réglaient encore la vie du palais. Ses précepteurs l'éduquèrent à la dure, comme un enfant de samouraï de jadis, et lui imposèrent les mille formalités qui régentaient la vie d'un futur tennô (le mot, appellation courante et officielle de l'empereur, veut dire Seigneur du Ciel). Ils l'entouraient en même temps d'une adulation qui faisait de lui un être à demi sacré. Pas un geste de lui qui ne fût codifié par de minutieux préceptes, pas une occupation qui ne fût minutée montre en main. Le langage même qu'on lui apprenait à parler et à entendre n'était pas le japonais de ses sujets. Il recevait enfin de ses maîtres un enseignement fortement nationaliste et militariste. Le Japon venait de battre la Russie tsariste, à la stupeur de l'Occident, et le précepteur impérial n'était autre que le général Nogi, le vainqueur de Port-Arthur, alors à la retraite. Une fois seulement dans cette jeunesse emprisonnée les portes s'ouvrirent sur le grand air : pour couronner son éducation - il avait vingt ans, - on l'envoyait faire un grand voyage en Europe. Le séjour en Angleterre fut l'événement de sa vie. Il découvrit aussi la vie de famille. La reine le traitait comme son fils. Le roi George V le visitait en pantoufles à l'heure du breakfast. A Paris, guidé par un de ses suivants, il prit le métro et, fait plus inouï encore, il acheta lui-même son billet : c'était la première fois que ses mains touchaient de l'argent. De retour au Japon six mois plus tard, il découvrit aussitôt que le bon temps était fini. Le pays traversait une crise. Crise économique, crise politique aussi, marquée par l'assassinat du premier ministre par un fanatique d'extrême droite enfin, crise au palais même : l'empereur son père était atteint d'un grave dérangement mental. Il fallut mettre le malade à l'écart, et le prince impérial fut nommé régent. Un événement heureux, du moins, s'annonçait, son mariage avec une jeune fille de la noblesse, la princesse Nagako, avec laquelle on l'avait fiancé depuis six ans et que - moeurs du temps - il avait rencontrée dix fois à peine. On commençait les préparatifs des noces princières quand survint une affreuse catastrophe : le grand tremblement de terre de septembre 1923 qui détruisit complètement Tokyo et Yokohama. Le mariage n'eut lieu qu'en 1924. Le joyau, le miroir et le glaive L'année suivante, à la Noël, l'empereur Taisho expirait, et Hirohito était immédiatement proclamé empereur du Japon, héritier et gardien des trois trésors du trône : le joyau, le miroir et le glaive. Les cérémonies du couronnement se déroulèrent à Kyoto, l'ancienne capitale, en 1928, entourées d'un cérémonial fabuleux par son faste et son ancienneté : tel le " banquet divin " où le nouvel empereur s'enferma dans une cabane d'écorce pour y partager son auguste repas avec un hôte invisible, son ancêtre, la déesse du Soleil... Chaque règne impérial, au Japon, prend un nom, qui deviendra aussi celui du souverain lui-même dans l'histoire, après sa mort. Augures et lettrés choisirent donc pour Hirohito un nom d'heureux présage, et ce fut : Showa, ou " Paix éclairée ". Cruelle ironie, car, en fait de paix, déjà commençait, en politique extérieure, la longue série d'agressions qui conduiraient de la conquête de la Mandchourie à la guerre de Chine et à Pearl-Harbor, et, à l'intérieur, l'étranglement des libertés démocratiques à travers une suite de complots et d'assassinats politiques perpétrés par les " superpatriotes " d'extrême droite. Hirohito eut-il un rôle actif dans l'aventure militaire japonaise ? Y eut-il une " conspiration impériale " conduite autour de lui et avec lui au palais même pour la conquête de la moitié du monde ? L'auteur qui a soutenu cette thèse extrême, le journaliste américain Bergamini, n'a apporté aucune preuve sérieuse à l'appui. Dira-t-on à l'inverse que l'empereur ne fut qu'une marionnette entre les mains des chefs de guerre qui avaient usurpé son autorité ? C'est la thèse que fit prévaloir MacArthur, voulant disculper complètement Hirohito pour assurer la stabilité du trône et du pays. Les spécialistes japonais pensent plutôt que la vérité est entre les deux. Certes, les documents ne manquent pas qui montrent l'empereur freinant et réprouvant les excès de ses conseillers. Au début de l'affaire de Mandchourie, le ministère démissionna sur un blâme du souverain. La rébellion militaire de février 1936 à Tokyo provoqua sa colère, et ce fut en partie grâce à sa fermeté qu'elle fut matée. L'alliance militaire proposée par Hitler suscita longtemps sa méfiance et ne fut acceptée qu'avec l'illusion qu'elle assurait un équilibre de forces entre l'Axe et les anglo-saxons. Trois mois avant Pearl-Harbor, l'empereur bombardait de questions - et, pour lui, questionner, c'était blâmer - son premier ministre et ses états-majors qui glissaient vers la guerre. Un jour, comme ils conféraient devant lui, il leur signifia son opinion d'une manière bien japonaise, qui trahissait aussi sa timidité : il leur lut un poème sur la paix, écrit par l'empereur Meiji. Aux deux conférences qui précédèrent l'attaque surprise, il ne desserra plus les dents. Mais, et là fut sans doute son erreur ou sa faute, jamais il n'a dit non. Son immense autorité aurait pu tout arrêter. Au lieu de cela, chaque grave événement, y compris la déclaration de guerre (que personnellement il avait voulue antérieure à l'attaque), fut couvert par un solennel rescrit impérial adressé à la nation. Sur tout ce qui s'est fait, il a laissé apposer son auguste sceau, l'empreinte rouge d'un énorme sceau carré, pesant trois kilos, et tout en or. Et c'est en son nom que plus de trois millions de Japonais sont morts, criant une dernière fois " Tenno banzai! ". La défaite, pourtant, allait lui donner l'occasion de se racheter. S'il n'avait pas su ou pas voulu empêcher la venue de la guerre, il fut certainement celui qui en voulut et qui en imposa la fin. Les grands raids incendiaires de 1945 furent décisifs pour susciter en lui une neuve fermeté, une volonté solide d'arrêter la tragédie. La capitulation Encore fallait-il avoir raison des résistances du parti de la guerre. Un événement incroyable lui donna soudain l'argument irrésistible pour mater ces forcenés : la bombe atomique du 6 août, à Hiroshima. Quelques jours après, au fond de l'abri anti-aérien du palais, devant ses chefs militaires et civils en larmes et muets, enfin, Hirohito, retrouvant l'audace des timides, déclarait : " Il faut accepter l'inacceptable. Je mets fin à cette guerre de ma propre autorité. " Pour la première fois, il avait ordonné. Le Japon capitulait. Alors s'ouvrit pour l'empereur vaincu Hirohito une vie nouvelle, on pourrait dire une deuxième existence. Elle commençait dans l'angoisse. Serait-il traduit devant le tribunal des crimes de guerre, avec les membres du cabinet de Pearl-Harbor? Serait-il forcé d'abdiquer en faveur de son fils aîné Akihito, le prince héritier, alors âgé de douze ans? MacArthur ne lui demanda heureusement ni l'un ni l'autre, en dépit des pressions de certains alliés. Mais les humiliations commencèrent à pleuvoir. L'empereur du Japon, le vrai, c'était maintenant MacArthur, Hirohito s'imposa d'aller lui faire visite à son quartier général, devenu le palais d'en face, proche et rival du sien. Il fut reçu par un MacArthur en manches de chemise, cou nu, les mains sur les hanches : voir la célèbre photo de la rencontre, qui fit scandale au Japon. " Que l'empereur se démocratise! ", disaient les occupants. Il publia donc un rescrit impérial surprenant, pour annoncer à son peuple qu'il n'était plus un dieu, ou ne l'avait même jamais été. " Qu'il se rapproche de ses sujets ", enjoignait encore le SCAP, le commandement suprême des puissances occupantes, en fait des Américains. Hirohito entreprit donc une série de sorties, à Tokyo ou en province, souvent avec l'impératrice, visitant le Japon ruiné et lamentable à travers ses cités anéanties et ses campagnes appauvries. Une nouvelle Constitution acheva cette démocratisation de l'ancien Fils du Ciel. Elle faisait de lui non plus même le chef de l'Etat, mais le simple " symbole de l'unité nationale ", disait-elle, ajoutant que la souveraineté résidait maintenant dans le peuple lui-même. Transformé en monarque constitutionnel, Hirohito n'avait plus qu'un rôle à peu près nul dans les affaires publiques, et toute action politique lui était interdite. Présider l'ouverture des Chambres, investir le premier ministre choisi par elles, recevoir les ambassadeurs étrangers, c'était à peu près tout. On ne lui laissait vraiment plus guère que les expositions de chrysanthèmes, ou la présidence du concours annuel de poésie au palais, touchante tradition venue d'avant l'an mil et aussi ses recherches en biologie marine auxquelles il consacra jusqu'à sa mort une partie de son temps. ROBERT GUILLAIN Le Monde du 9 janvier 1989

« autorité ? C'est la thèse que fit prévaloir MacArthur, voulant disculper complètement Hirohito pour assurer la stabilité du trône etdu pays.

Les spécialistes japonais pensent plutôt que la vérité est entre les deux. Certes, les documents ne manquent pas qui montrent l'empereur freinant et réprouvant les excès de ses conseillers.

Au débutde l'affaire de Mandchourie, le ministère démissionna sur un blâme du souverain.

La rébellion militaire de février 1936 à Tokyoprovoqua sa colère, et ce fut en partie grâce à sa fermeté qu'elle fut matée.

L'alliance militaire proposée par Hitler suscitalongtemps sa méfiance et ne fut acceptée qu'avec l'illusion qu'elle assurait un équilibre de forces entre l'Axe et les anglo-saxons. Trois mois avant Pearl-Harbor, l'empereur bombardait de questions - et, pour lui, questionner, c'était blâmer - son premierministre et ses états-majors qui glissaient vers la guerre.

Un jour, comme ils conféraient devant lui, il leur signifia son opinion d'unemanière bien japonaise, qui trahissait aussi sa timidité : il leur lut un poème sur la paix, écrit par l'empereur Meiji.

Aux deuxconférences qui précédèrent l'attaque surprise, il ne desserra plus les dents. Mais, et là fut sans doute son erreur ou sa faute, jamais il n'a dit non.

Son immense autorité aurait pu tout arrêter.

Au lieu decela, chaque grave événement, y compris la déclaration de guerre (que personnellement il avait voulue antérieure à l'attaque), futcouvert par un solennel rescrit impérial adressé à la nation.

Sur tout ce qui s'est fait, il a laissé apposer son auguste sceau,l'empreinte rouge d'un énorme sceau carré, pesant trois kilos, et tout en or.

Et c'est en son nom que plus de trois millions deJaponais sont morts, criant une dernière fois " Tenno banzai! ". La défaite, pourtant, allait lui donner l'occasion de se racheter.

S'il n'avait pas su ou pas voulu empêcher la venue de la guerre, ilfut certainement celui qui en voulut et qui en imposa la fin.

Les grands raids incendiaires de 1945 furent décisifs pour susciter enlui une neuve fermeté, une volonté solide d'arrêter la tragédie. La capitulation Encore fallait-il avoir raison des résistances du parti de la guerre.

Un événement incroyable lui donna soudain l'argumentirrésistible pour mater ces forcenés : la bombe atomique du 6 août, à Hiroshima.

Quelques jours après, au fond de l'abri anti-aérien du palais, devant ses chefs militaires et civils en larmes et muets, enfin, Hirohito, retrouvant l'audace des timides, déclarait :" Il faut accepter l'inacceptable.

Je mets fin à cette guerre de ma propre autorité.

" Pour la première fois, il avait ordonné. Le Japon capitulait. Alors s'ouvrit pour l'empereur vaincu Hirohito une vie nouvelle, on pourrait dire une deuxième existence.

Elle commençait dansl'angoisse.

Serait-il traduit devant le tribunal des crimes de guerre, avec les membres du cabinet de Pearl-Harbor? Serait-il forcéd'abdiquer en faveur de son fils aîné Akihito, le prince héritier, alors âgé de douze ans? MacArthur ne lui demanda heureusementni l'un ni l'autre, en dépit des pressions de certains alliés.

Mais les humiliations commencèrent à pleuvoir. L'empereur du Japon, le vrai, c'était maintenant MacArthur, Hirohito s'imposa d'aller lui faire visite à son quartier général,devenu le palais d'en face, proche et rival du sien.

Il fut reçu par un MacArthur en manches de chemise, cou nu, les mains sur leshanches : voir la célèbre photo de la rencontre, qui fit scandale au Japon. " Que l'empereur se démocratise! ", disaient les occupants. Il publia donc un rescrit impérial surprenant, pour annoncer à son peuple qu'il n'était plus un dieu, ou ne l'avait même jamais été." Qu'il se rapproche de ses sujets ", enjoignait encore le SCAP, le commandement suprême des puissances occupantes, en faitdes Américains.

Hirohito entreprit donc une série de sorties, à Tokyo ou en province, souvent avec l'impératrice, visitant le Japonruiné et lamentable à travers ses cités anéanties et ses campagnes appauvries. Une nouvelle Constitution acheva cette démocratisation de l'ancien Fils du Ciel.

Elle faisait de lui non plus même le chef del'Etat, mais le simple " symbole de l'unité nationale ", disait-elle, ajoutant que la souveraineté résidait maintenant dans le peuple lui-même. Transformé en monarque constitutionnel, Hirohito n'avait plus qu'un rôle à peu près nul dans les affaires publiques, et touteaction politique lui était interdite.

Présider l'ouverture des Chambres, investir le premier ministre choisi par elles, recevoir lesambassadeurs étrangers, c'était à peu près tout.

On ne lui laissait vraiment plus guère que les expositions de chrysanthèmes, ou laprésidence du concours annuel de poésie au palais, touchante tradition venue d'avant l'an mil et aussi ses recherches en biologiemarine auxquelles il consacra jusqu'à sa mort une partie de son temps. ROBERT GUILLAIN. »

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