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Article de presse: Guy Mollet, un socialiste paradoxal

Publié le 17/01/2022

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6 février 1956 - Le paradoxe du destin de Guy Mollet n'est-il pas d'être le premier chef de gouvernement de gauche de la IVe République à avoir été davantage critiqué par ses propres amis que par ses adversaires et d'avoir cependant bénéficié d'une longévité exceptionnelle-sous cette République-de seize mois à l'Hôtel Matignon ? Un autre paradoxe n'est-il pas d'avoir été choisi aux élections législatives du 2 janvier 1956 comme le chef du parti de gauche vainqueur, la SFIO, après l'expérience du gouvernement de centre-droit d'Edgar Faure et d'avoir ensuite pratiqué une politique approuvée par ce même centre-droit ? Guy Mollet a dû sa longévité à la fois à la division interne des partis et à l'impossibilité de constituer une majorité en raison des résultats du scrutin proportionnel. Il a été maintenu en équilibre comme chef de gouvernement de minorité, aidé par des forces qui lui accordaient un soutien à éclipses, mis à part les poujadistes qui venaient de remporter un succès important mais éphémère. Leader du principal des partis constituant le Front républicain (SFIO, Parti radical, UDSR et Républicains sociaux), c'est lui qui forme le gouvernement que quittera bientôt Pierre Mendès France, mais où François Mitterrand demeurera. Sans équipe réelle, sans véritable programme, il doit d'abord s'attaquer au problème algérien. Dès le 6 février, se rendant à Alger sur la suggestion de Pierre Mendès France pour y installer le général Catroux comme ministre résidant, il y est accueilli par des jets de tomates lancées par le petit peuple, qui a l'impression d'être abandonné par la France. Sous la protection de l'armée, il voit bien ses illusions s'effondrer et sa candeur surprise par cette révolte à la fois populaire et patriotique. Il nomme à Alger un homme autoritaire et nationaliste, son ami socialiste Robert Lacoste. Les gaullistes républicains sociaux, avec M. Jacques Chaban-Delmas, entrent alors au gouvernement. Voulant réconcilier les communautés européenne et musulmane, Guy Mollet doit d'abord régler les rapports de la première avec la métropole. Il obtient donc du Parlement-y compris des communistes-le vote de pouvoirs spéciaux et l'envoi du contingent, tout en développant des contacts diplomatiques secrets avec les " fellaghas " du FLN. Ces efforts sont contrariés par l'arraisonnement, le 22 octobre 1956, par l'armée et par les services secrets français, de l'avion transportant le leader indépendantiste Ben Bella. Le 5 novembre, il ordonne l'expédition de Suez de concert avec les Britanniques, après la nationalisation du canal par Nasser, qui est pour lui d'autant plus l'incarnation du mal qu'il héberge des rebelles algériens. Le gouvernement avait unanimement approuvé l'entreprise. Il se révèle comme un ami des Anglais et surtout comme un ferme soutien d'Israël. L'expédition, stoppée par la défection des Britanniques après les pressions américaines et soviétiques, aggravera encore la situation en Algérie. Une sorte d'engrenage fatal s'y engage qui aboutira un an plus tard, le 13 mai 1958, au retour de de Gaulle. Ce sera, dira plus tard Pierre Mauroy, " une des périodes les plus noires pour les militants socialistes ". C'est Suez qui a entraîné aussi la défection du soutien communiste. La Pravda traitait alors Guy Mollet de " laquais des Américains ". Condamné par les modérés, abandonné par les radicaux, sous le prétexte de projets financiers, Guy Mollet démissionne le 21 mai 1957. Il avait pourtant appliqué une bonne partie de son programme : l'indépendance accordée à la Tunisie et au Maroc, une loi-cadre pour l'Afrique noire, le développement des lois sociales, la troisième semaine de congés payés, l'instauration de la vignette-automobile. Il signe aussi le traité de Rome. L'histoire et notamment ses propres amis socialistes ont été sévères pour l'ancien professeur d'anglais du lycée d'Arras, aux yeux pâles derrière de grosses lunettes, fumant toujours une cigarette anglaise sous une mince moustache blonde. Souvent habile, doté d'une volonté calculatrice, tacticien éprouvé, à l'éloquence métallique, il avait cependant une expérience insuffisante du pouvoir. Député d'Arras depuis 1945, trop impliqué dans les problèmes internes à son parti, il fut surtout la victime des institutions de la IVe République. N'est-ce pas aussi pour cela qu'à cinquante-trois ans, en juin 1958, il a accepté d'être ministre d'Etat auprès de de Gaulle, dont il avait admis le retour, accroissant ainsi un peu plus le trouble et l'incompréhension de ses propres " camarades " socialistes? Durant son passage au pouvoir, il a voulu être le guide intègre d'un parti social-démocrate avant de s'opposer en 1965 à la " grande fédération " socialo-centriste souhaitée par Gaston Defferre. A la tête de la SFIO jusqu'en 1969, il s'est montré habile à prendre des virages parfois déconcertants, se heurtant fréquemment aux autres leaders socialistes. Revenu ensuite à des études doctrinales, contesté par ses propres amis, il est mort à Paris en 1975. ANDRE PASSERON Octobre 1985

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