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Article de presse: Guerre civile au Congo

Publié le 17/01/2022

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30 juin 1960 - Le problème congolais n'a rien d'exceptionnel fondamentalement, il s'apparente à celui qui se pose dans d'autres pays africains ou, d'une manière générale, dans des Etats sous-développés engagés sur la dure voie de la décolonisation. En vérité, il a été grossi, déformé, par les multiples prismes de la guerre froide. Et, surtout, compliqué à souhait par tous ceux qui ont intérêt à se maintenir ou à s'introduire dans ce pays fabuleusement riche et stratégiquement bien situé. On a souvent dit-à l'étranger plus encore qu'en Belgique-que le Congo n'était pas mûr pour l'indépendance, qu'une période transitoire de dix à vingt ans aurait été nécessaire. C'est peut-être vrai, dans la mesure où une autorité neutre, telle que l'ONU, aurait pris en charge le territoire. En effet, l'administration coloniale belge, malgré toutes ses réalisations dans le domaine matériel, n'a rien fait, ou très peu, pour préparer une élite autochtone susceptible de prendre la relève. A la limite, on pouvait concéder que cela est humain et compréhensible. Dès lors on est tenté de poser la question de savoir comment la Belgique aurait réussi en dix ans là ou elle a échoué après une colonisation ininterrompue de quatre-vingts ans. Quoi qu'il en soit, il s'agit moins de savoir si le Congo aurait pu être mieux préparé à l'indépendance que d'établir dans quelle mesure son émancipation pouvait être, dans la pratique, différée. L'étude des rapports établis par des administrations belges à travers le Congo dans les années 1958 et 1959 fait ressortir clairement que la nationalisme congolais était devenu irrésistible. La Belgique, de toute évidence, n'avait pas la possibilité d'agir autrement, à moins d'avoir voulu s'engager dans une aventure ruineuse et sans issue. Une volonté d'indépendance Dans les pays voisins, la loi-cadre promulguée en 1956 était dépassée avant même son entrée en vigueur. Sur l'autre rive du Congo, à Brazzaville, le général de Gaulle s'écriait en août 1958 : " l'indépendance, quiconque la voudra pourra la prendre aussitôt. " Moins de deux ans plus tard, une quinzaine d'Etats de la Communauté accèdent à la souveraineté internationale. La déclaration du chef de l'Etat français avait eu un profond retentissement au Congo Belge. Deux mois après le discours de Brazzaville, Patrice Lumumba et ses amis, de retour de la conférence panafricaine d'Accra, constituent le Mouvement national congolais et exigent l'indépendance immédiate. La fièvre nationaliste s'empare brusquement de l'ancienne colonie belge. Les émeutes de Léopoldville, en janvier 1959, et celles de Stanleyville, en octobre, ne constituent-les rapports de l'administration coloniale en font foi-que des signes extérieurs, et relativement bénins, d'un mal plus profond, qui gagne de proche en proche tout le Congo. Bruxelles, contrairement à l'impression qui prévaut à l'étranger, est obligé d'opérer à chaud. Redoutable dilemme. Faut-il sévir ou céder? La Belgique n'est pas le Portugal. La survie de son régime ne dépend pas du maintien de ses colonies. Elle n'est pas non plus en mesure de soutenir, financièrement et militairement, une longue guerre. Les autorités belges avaient, en effet, voulu aller au-devant des événements elles parvinrent difficilement à les rattraper. L'offre d'une indépendance à une échéance indéterminée fut jugée insuffisante par les nationalistes. Huit mois après la déclaration du roi Baudouin, en septembre 1959, Bruxelles promet des élections communales pour la fin de l'année, un gouvernement central autochtone pour l'année suivante. C'est toujours insuffisant pour les appétits aiguisés des nationalistes. En octobre, la Belgique va encore plus loin : avant quatre ans, proclame-t-elle, le Congo sera indépendant. Mais, la " table ronde " de janvier 1960, les négociateurs belges n'hésitèrent pas et, d'accord avec l'ensemble des représentants congolais, fixèrent la date de l'indépendance au 1er juillet suivant. Le marché conclu à cette conférence n'était pas, malgré tout, désavantageux pour la Belgique. Celle-ci conservait, pour l'essentiel, la majeure partie de ses positions économiques, commerciales et financières. Sa présence culturelle et même politique était assurée par le maintien au Congo de ses fonctionnaires, de ses techniciens, de ses conseillers et des officiers Belges qui devaient continuer à encadrer la force publique. Quel état ? Le 29 juin 1960, Patrice Lumumba et son ministre des affaires étrangères, Justin Bomboko, signaient un traité général d'amitié d'assistance et de coopération avec le gouvernement de Bruxelles, aux termes duquel le Congo reconnaissait une situation privilégiée à la Belgique dans les domaines diplomatique militaire et économique. Ce qu'il faut sans doute retenir de cette phase de l'histoire est que tous les leaders de l'ancienne colonie africaine, de quelque tendance qu'ils fussent, étaient d'accord à la fois sur le principe de l'indépendance et sur la nécessité d'une période plus ou moins longue de coopération avec la Belgique. Mais, au-delà des attitudes incohérentes des uns, des volte-face ou des flottements des autres, il existe un conflit de base qui, pris en fil conducteur, peut expliquer bien des choses dans la conjoncture congolaise. Il s'agit de la lutte engagée, comme dans d'autres pays sous-développés en Afrique et en Asie, entre " fédéralistes " et " unitaristes ", entre les conservateurs attachés aux formes ethniques ou tribales du pouvoir et les " progressistes " qui veulent créer un Etat centralisé semblable à ceux qui ont vu le jour en Europe. Ces derniers estiment que l'on pourrait difficilement mobiliser les forces nationales pour les mettre au service de la " révolution économique " en l'absence d'un gouvernement fortement centralisé. Les unitaires congolais ont en quelque sorte repris à leur compte la thèse de l'administration coloniale belge, qui les avait d'ailleurs longtemps soutenus contre les fédéralistes du Katanga (le parti Conakat de Moïse Tshombé) et du Bas-Congo (l'Abako du président Kasavubu). La tâche unificatrice de la Belgique n'avait pas été aisée. Il lui avait fallu quatre-vingts ans d'efforts et de pouvoir absolu pour amalgamer en un Etat grand comme toute l'Europe occidentale plus d'une centaine de tribus, appartenant à quatre races distinctes et ne parlant pas moins de quatre cents idiomes. Tout en soumettant le Congo à une législation unique, l'ancienne puissance coloniale avait cependant fait peu d'efforts pour détruire la vie tribale. Les trois quarts de la population indigène sont encore établis dans les centres coutumiers, vivant en collectivités dotées de la personnalité civile et menant chacune une existence autonome régie par la coutume. Par la force des choses, les différentes ethnies ont appris, toutefois, à coexister. La plupart des tribus ont conclu des alliances d'amitié, et il ne faudrait pas, à ce propos, s'imaginer que le conflit sanglant entre Luluas et Balubas soit un phénomène-type ou un facteur fondamental des relations intertribales au Congo. Les paricularismes classiques ont d'ailleurs tendance à disparaître dans les centres urbains, où environ un tiers des travailleurs sont concentrés. Au sein de la force publique (actuellement l'armée nationale congolaise), toutes les races se côtoient, et les soldats parlent la même langue, le lingala. Dans l'ensemble du pays, trois autres langues véhiculaires ont fini par s'imposer : le Kiswahili (à l'est principalement), le kiluba et le kikongo. Ce qui n'est pas trop mal comme résultat, quand on songe qu'en Belgique, par exemple, territoire quatre-vingt-dix fois plus petit que le Congo, deux cultures très différentes continuent de cohabiter au sein de la même nation. Malgré tout, le facteur déterminant de l'unité congolaise est bien l'interdépendance économique du territoire. Les différentes régions du pays ont été intimement liées par un ensemble de moyens de transport particulièrement riche, conçu pour un pays uni aux pouvoirs centralisés : un réseau de 16 000 kilomètres de voies navigables régulièrement exploitée, deux ports maritimes bien équipés pour desservir l'ensemble du territoire, trois grands ports intérieurs, plus de 5 000 kilomètres de voies ferrées, 150 000 kilomètres de routes et 30 000 kilomètres de lignes aériennes intérieures. Il est peut-être inutile de souligner que la majeure partie des populations du Congo se rend compte instinctivement, sans avoir besoin de s'adonner à de savantes études géopolitiques, que son ravitaillement et son bien-être dépendent dans une large mesure du maintien de l'unité congolaise. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, qu'à aucun moment (avant la généralisation de l'anarchie) les partis fédéralistes n'aient sérieusement prôné la sécession. Au contraire, le congrès du Cartel et des partis fédéralistes tenu à Kisantu en décembre 1959 a condamné " toute manifestation de tribalisme ou de régionalisme, toutes visées des séparatistes d'où qu'elles viennent et susceptibles de porter atteinte à l'intégralité et à l'unité du territoire national dans ses contours géographiques ". Même attitude unanime à la " table ronde " de Bruxelles, où furent jetées les bases du Congo indépendant. Même Moïse Tshombé, qui devait se faire par la suite le champion de la sécession Katangaise, s'était félicité que la " loi fondamentale " élaborée à la conférence permettrait que " le Congo indépendant de demain échappe à l'éclatement dont il est menacé ". La loi fondamentale, Constitution provisoire conçue et élaborée par des juristes belges, avait habilement concilié les aspirations des unitaristes et des fédéralistes. Le futur Etat était doté d'institutions centrales sans être pour cela monolithique. Il était pourvu d'assemblées et de gouvernements provinciaux aux pouvoirs relativement étendus, sans être fractionné en républiques fédérées. Les chefs de file des deux courants politiques, Patrice Lumumba et Joseph Kasavubu, acceptèrent le compromis en attendant les élections législatives qui devaient les départager. Le nouveau Parlement congolais aurait été alors chargé d'élaborer la Constitution définitive dans le sens qu'aurait indiqué l'électorat. La consultation nationale de mai 1960 devait consacrer le triomphe de Lumumba et de ses amis politiques. Le Mouvement national congolais, comme son nom l'indique, avait des ramifications dans l'ensemble du territoire, contrairement aux autres partis, tous d'inspiration tribale ou régionale. Le MNC a eu des élus dans cinq des six provinces. Les suffrages qui lui ont assuré un tiers des sièges à la Chambre des députés provenaient indistinctement de la majorité des ethnies. Pour obtenir ces résultats, Lumumba avait fait campagne pour un Congo unitaire et panafricain. Il ne dédaigna pas pour autant le langage " tribaliste ". Il tira avantage de conflits ethniques, s'alliant par exemple aux Luluas, ennemis des Balubas, quand ces derniers, sous l'impulsion d'Albert Kalondji (actuellement " roi " du Sud-Kasaï) lui refusèrent leur appui. Lumumba était parvenu à rallier de nombreuses ethnies minoritaires-qui constitueraient environ 60 % de la population-en faisant valoir que leur sécurité et leur liberté seraient mieux assurées au sein d'un Etat unitaire que dans des républiques quasi autonomes, où elles seraient à la merci des ethnies majoritaires. L'ancien leader du MNC profita également d'un conflit, d'ordre électoral, entre l'Abako du président Kasavubu et le Parti solidaire africain d'Antoine Gizenga pour attirer ce dernier, fédéraliste convaincu, dans le camp lumumbiste. Par sa personnalité et ses extraordinaires moyens de persuasion, Lumumba était de même parvenu à gagner à lui l'aile " gauche " de l'Abako, animée par Daniel Kanza, qui, au risque de passer pour un " traître " à la cause du Bas-Congo, rejoint le bloc des unitaristes. La rébellion du Katanga A l'aube de l'indépendance, il était pratiquement acquis que Lumumba, suivant les traces de l'homme qu'il admirait le plus, Kwame Nkrumah du Ghana, installerait à courte échéance, par le truchement de sa majorité parlementaire, un gouvernement central fort. En donnant la consigne à ses partisans de voter pour le président Kasavubu, il avait fait élire à la présidence de la République le leader mukongo uniquement pour passer le cap de l'indépendance avec un semblant d'unité nationale. Il ne cachait pas, en effet, son intention de doter le Congo d'un régime présidentiel dont il prendrait la tête, estimant qu'un pouvoir bicéphale ne convenait pas à un pays sous-développé en pleine période de décolonisation. La sécession du Katanga devait lui fournir l'occasion d'identifier sa campagne contre ses adversaires, en soulignant que " l'aboutissement logique du fédéralisme est le séparatisme ". Le président Kasavubu, se rendant compte qu'à travers Tshombé il était personnellement visé, s'opposa à l'utilisation de la force pour l'étouffement de la rébellion katangaise. Il préconisa, en revanche la négociation et la convocation d'une " table ronde " pour régler le problème des structures du Congo dans son ensemble. La manoeuvre avait un double objectif : d'une part, il écartait du débat constitutionnel un Parlement qui lui échappait, et, de l'autre, il se réservait des alliés à Elisabethville dans sa résistance à l'envahissant premier ministre. Comme gage de sa bonne volonté à l'égard des dirigeants Katangais (et avec l'accord de certaines ambassades étrangères à Léopoldville), il révoqua Lumumba, le fit par la suite arrêter et, suprême concession, le livra à Moïse Tshombé. Il espérait ainsi résorber pacifiquement le Katanga dans une fédération de républiques autonomes, à la création de laquelle il avait toujours aspiré. Ses calculs furent déjoués par la suite. Les dirigeants katangais, avec des arrière-pensées analogues, avaient accepté d'entrer dans le jeu du président Kasavubu d'abord pour se débarrasser de leur principal ennemi, Lumumba, et ensuite pour gagner le temps nécessaire à la consolidation de leur sécession (tant dans le domaine militaire que financier). Profitant de l'affaiblissement du gouvernement central de Léopoldville, qui, après la rupture avec les lumumbistes, n'avait plus le contrôle, très théorique, que de trois provinces, Elisabethville avait tenté d'imposer ses vues " confédéralistes ". D'où l'échec des palabres et des " tables rondes " organisées par les deux capitales. Après la conférence de Tananarive, qui avait provoqué la création d'une poussière d'Etats par des " dirigeants " régionaux en mal de pouvoir, le président Kasavubu, se ravisant, tenta, en vain, un rapprochement avec le gouvernement Gizenga de Stanleyville. Un tel accord aurait été possible au début de l'année. L'assassinat de Lumumba et de ses compagnons avait, entre-temps, modifié du tout au tout la situation. L'enjeu congolais Au Congo, les interventions des grandes et des petites puissances, du bloc oriental et du bloc occidental, de l'Afrique neutraliste et " modérée ", des monopoles financiers et des trusts économiques n'ont cessé depuis l'indépendance de peser sur le cours des événements. C'est là que réside, en réalité, le véritable drame congolais. Le Congo " ce magnifique gâteau africain ", comme le désignait naguère le roi Léopold II, avant de l'offrir en toute propriété à l'Etat belge, est l'un des territoires les plus riches d'Afrique. Outre son opulente agriculture industrielle (café, thé, cacao, caoutchouc, fruits de palme, quinquina, tabac, etc.) et ses exploitations forestières, son sous-sol recèle des réserves minières apparemment inépuisables. Un géologue a qualifié un jour le Katanga de " scandale minéralogique " tant sont variés et riches les minerais qui y sont enfouis. Les régions méridionales du Congo constituent une source majeure du cuivre dans le monde. Elles fournissent en outre 73 % du cobalt, 80 % des diamants industriels de la production mondiale. Elles contribuent-et ce fait est peut-être encore plus important,-dans une proportion de 60 %, aux besoins du monde occidental en uranium. Des concentrés de zinc, du radium, du germanium, du cadmium et divers métaux précieux sont également produits au Congo. Les bénéfices tirés de ces exploitations sont, comme on peut l'imaginer, particulièrement substantiels. L'Union minière du Katanga-dont les concessions s'étendent sur 34 000 km2, un territoire grand comme la Belgique et le Luxembourg réunis-a, en cinquante ans d'exploitation, multiplié par huit cents son capital initial (de 10 millions à 8 milliards de francs belges). Ses bénéfices nets pour les années 1956-1959 se sont élevés à plus de 20 milliards de francs belges. Elle contrôle ou participe au capital d'un vaste réseau d'entreprises industrielles et commerciales tant au Katanga qu'à l'étranger, notamment en Angola, où elle est intéressée dans le grand trust diamantifère Diamang. Sorte d'Etat dans l'Etat, l'Union minière appartient en majeure partie à des intérêts belges, britanniques et américains. La Société générale de Belgique, qui détient une part minoritaire dans le trust, monopolise pour sa part 70 % de toutes les activités économiques du Congo à travers une multitude de compagnies industrielles, agricoles et commerciales qu'elle contrôle directement ou indirectement. Il serait cependant erroné de penser que cette influence est monolithique ou cohérente. Les milieux politiques belges sont divisés, les groupes de pression du lobby financier congolais sont souvent en conflit. Certains d'entre eux, appuyés par le colonat européen et les éléments autonomistes du Katanga, jouent franchement la carte de la sécession, estimant que celle-ci leur permettrait de " sauver les meubles ". D'autres milieux financiers, surtout ceux dont les intérêts se trouvent concentrés dans les cinq autres provinces du Congo, oeuvrent pour l'unité du territoire dans un cadre fédéral. Cette façon de voir les choses serait partagée par certains éléments dirigeants de l'Union minière elle-même, qui accuseraient de " myopie " leurs collègues partisans de la sécession du Katanga. En effet, soutiennent-ils, le régime du parti Conakat (de Moïse Tshombé), par son caractère " minoritaire et dictatorial ", est condamné à disparaître à courte ou à longue échéance. L'Union minière se serait alors inutilement attiré l'hostilité des Balubas du Katanga, qui constituent la majorité de la population (environ un million sur un million sept cent mille habitants) et de leur parti nationaliste, le Balukabat, dirigé par Jason Sendwe, allié du gouvernement de Stanleyville. L'internationalisation du conflit Minoritaire, cette tendance au sein de l'Union minière aurait gagné du terrain depuis la mort de Lumumba, le danger d'un raz de marée nationaliste ayant disparu. Si la Belgique n'a jamais été jusqu'à reconnaître l'indépendance du Katanga-en raison peut-être du refus persistant de ses alliés de la suivre dans cette voie,-elle n'avait rien fait pour colmater la brèche entre Elisabethville et Léopoldville. Dès le premier jour de la sécession, Moïse Tshombé a bénéficié d'un appui belge tant dans les domaines économiques et financiers que militaires. A plus d'une reprise, et dans des documents officiels, Bruxelles s'est déclaré ouvertement favorable aux thèses " confédérales " défendues par le chef de l'Etat katangais. A l'autre extrême de l'éventail politique, l'URSS se tenait aux côtés de Patrice Lumumba, lui fournissant moyens de transport, armes et techniciens pour balayer les régimes séparatistes du Kantanga et du Sud-Kasaï. Cour-circuitée par le Kremlin, l'ONU, au contraire, se mit en travers des projets du premier ministre congolais. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France accordèrent leur appui au président Kasavubu et au colonel Mobutu, qui, pour des raisons étrangères à la guerre froide, étaient disposés à la fois à " liquider " politiquement Lumumba et à épargner le Katanga, devenu provisoirement l'un des bastions de la résistance occidentale à la pénétration soviétique. L'Afrique, de même, se divisa en deux camps. Les " neutralistes " prirent fait et cause pour Lumumba, les " modérés " rejoignant pour l'essentiel les positions occidentales. Pour expliquer l'internationalisation du problème congolais, il faudrait sans doute remonter à l'intervention des para-commandos belges en juillet 1960, envoyés de la métropole pour protéger la population européenne des excès dont s'étaient rendus coupables les mutins de la force publique. Si justifiée que cette intervention ait pu l'être sur le plan humain, elle était manifestement illégale. Seul Patrice Lumumba, en sa qualité de ministre de la défense, avait le droit, aux termes des accords conçus avec Bruxelles, de faire appel à l'aide militaire belge pour mater la rébellion militaire, d'ailleurs dirigée aussi bien contre lui que contre les officiers blancs. Or Lumumba (comme le président Kasavubu) était hostile à l'arrivée des paras commandos belges. A partir du moment où une puissance se permettait de passer outre à la volonté d'un gouvernement indépendant, membre des Nations unies, toutes les interventions étrangères devenaient possibles. C'est par ce biais que l'URSS a pu manifester concrètement ses dispositions à venir en aide à Patrice Lumumba. Ce dernier n'était ni communiste ni socialiste. Nationaliste, au départ bien disposé à l'égard de l'Occident (il lança des appels à l'aide, répétés, aux Etats-Unis avant de se tourner vers Moscou), il finit par accepter l'aide soviétique, suivant ainsi l'exemple de ses prédécesseurs dans le camp neutraliste. L'évolution de la politique de Patrice Lumumba au cours de l'été 1960 illustre bien les raisons qui incitent l'URSS à appuyer sans réserve tous les mouvements anticolonialistes. L'ancien premier ministre avait, au lendemain de l'intervention des paras commands belges, rompu les relations diplomatiques avec la Belgique, revendiqué les bases militaires de Kitona et de Kamina, menacé les sociétés belges travaillant au Congo et, s'en prenant à toutes les puissances occidentales qui avaient fait front commun avec Bruxelles, s'était promis de venir en aide aux peuples africains voisins (Rhodésie, Angola, etc...) dans leur lutte contre le colonialisme. Il remettait en cause l'équilibre économico-politique non seulement du Congo, mais de toute l'Afrique centrale. Il menaçait de priver l'Occident de ses bases et de ses sources de matières premières. La fougue du nationalisme exaspéré rejoignait ainsi les objectifs du communisme mondial. La lutte " diplomatique " entre l'Est et l'Ouest n'a heureusement pas eu de prolongements sur les champs de bataille. Mais le tort causé à la paix civile au Congo est immense, peut-être irréparable. La révocation de Lumumba, sa mort, la suspension de la vie constitutionnelle et parlementaire, les arrestations arbitraires et les exécutions sommaires de part et d'autre ont provoqué une coupure entre " fédéralistes " et " unitaristes ", qui ne servira à la longue ni les intérêts des Congolais ni les puissances qui ont contribué à la provoquer. ERIC ROULEAU Le Monde du 14-18 juin 1961

« Ce qu'il faut sans doute retenir de cette phase de l'histoire est que tous les leaders de l'ancienne colonie africaine, de quelquetendance qu'ils fussent, étaient d'accord à la fois sur le principe de l'indépendance et sur la nécessité d'une période plus ou moinslongue de coopération avec la Belgique. Mais, au-delà des attitudes incohérentes des uns, des volte-face ou des flottements des autres, il existe un conflit de base qui,pris en fil conducteur, peut expliquer bien des choses dans la conjoncture congolaise.

Il s'agit de la lutte engagée, comme dansd'autres pays sous-développés en Afrique et en Asie, entre " fédéralistes " et " unitaristes ", entre les conservateurs attachés auxformes ethniques ou tribales du pouvoir et les " progressistes " qui veulent créer un Etat centralisé semblable à ceux qui ont vu lejour en Europe. Ces derniers estiment que l'on pourrait difficilement mobiliser les forces nationales pour les mettre au service de la " révolutionéconomique " en l'absence d'un gouvernement fortement centralisé.

Les unitaires congolais ont en quelque sorte repris à leurcompte la thèse de l'administration coloniale belge, qui les avait d'ailleurs longtemps soutenus contre les fédéralistes du Katanga(le parti Conakat de Moïse Tshombé) et du Bas-Congo (l'Abako du président Kasavubu). La tâche unificatrice de la Belgique n'avait pas été aisée.

Il lui avait fallu quatre-vingts ans d'efforts et de pouvoir absolu pouramalgamer en un Etat grand comme toute l'Europe occidentale plus d'une centaine de tribus, appartenant à quatre races distincteset ne parlant pas moins de quatre cents idiomes. Tout en soumettant le Congo à une législation unique, l'ancienne puissance coloniale avait cependant fait peu d'efforts pourdétruire la vie tribale.

Les trois quarts de la population indigène sont encore établis dans les centres coutumiers, vivant encollectivités dotées de la personnalité civile et menant chacune une existence autonome régie par la coutume.

Par la force deschoses, les différentes ethnies ont appris, toutefois, à coexister. La plupart des tribus ont conclu des alliances d'amitié, et il ne faudrait pas, à ce propos, s'imaginer que le conflit sanglant entreLuluas et Balubas soit un phénomène-type ou un facteur fondamental des relations intertribales au Congo.

Les paricularismesclassiques ont d'ailleurs tendance à disparaître dans les centres urbains, où environ un tiers des travailleurs sont concentrés. Au sein de la force publique (actuellement l'armée nationale congolaise), toutes les races se côtoient, et les soldats parlent lamême langue, le lingala.

Dans l'ensemble du pays, trois autres langues véhiculaires ont fini par s'imposer : le Kiswahili (à l'estprincipalement), le kiluba et le kikongo.

Ce qui n'est pas trop mal comme résultat, quand on songe qu'en Belgique, par exemple,territoire quatre-vingt-dix fois plus petit que le Congo, deux cultures très différentes continuent de cohabiter au sein de la mêmenation. Malgré tout, le facteur déterminant de l'unité congolaise est bien l'interdépendance économique du territoire.

Les différentesrégions du pays ont été intimement liées par un ensemble de moyens de transport particulièrement riche, conçu pour un pays uniaux pouvoirs centralisés : un réseau de 16 000 kilomètres de voies navigables régulièrement exploitée, deux ports maritimes bienéquipés pour desservir l'ensemble du territoire, trois grands ports intérieurs, plus de 5 000 kilomètres de voies ferrées, 150 000kilomètres de routes et 30 000 kilomètres de lignes aériennes intérieures.

Il est peut-être inutile de souligner que la majeure partiedes populations du Congo se rend compte instinctivement, sans avoir besoin de s'adonner à de savantes études géopolitiques,que son ravitaillement et son bien-être dépendent dans une large mesure du maintien de l'unité congolaise. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, qu'à aucun moment (avant la généralisation de l'anarchie) les partis fédéralistes n'aientsérieusement prôné la sécession. Au contraire, le congrès du Cartel et des partis fédéralistes tenu à Kisantu en décembre 1959 a condamné " toute manifestationde tribalisme ou de régionalisme, toutes visées des séparatistes d'où qu'elles viennent et susceptibles de porter atteinte àl'intégralité et à l'unité du territoire national dans ses contours géographiques ".

Même attitude unanime à la " table ronde " deBruxelles, où furent jetées les bases du Congo indépendant.

Même Moïse Tshombé, qui devait se faire par la suite le championde la sécession Katangaise, s'était félicité que la " loi fondamentale " élaborée à la conférence permettrait que " le Congoindépendant de demain échappe à l'éclatement dont il est menacé ". La loi fondamentale, Constitution provisoire conçue et élaborée par des juristes belges, avait habilement concilié les aspirationsdes unitaristes et des fédéralistes.

Le futur Etat était doté d'institutions centrales sans être pour cela monolithique.

Il était pourvud'assemblées et de gouvernements provinciaux aux pouvoirs relativement étendus, sans être fractionné en républiques fédérées. Les chefs de file des deux courants politiques, Patrice Lumumba et Joseph Kasavubu, acceptèrent le compromis en attendantles élections législatives qui devaient les départager.

Le nouveau Parlement congolais aurait été alors chargé d'élaborer la. »

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