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Article de presse: Fragile Cambodge

Publié le 17/01/2022

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3 décembre 1997 - Le Cambodge commence à surmonter le traumatisme de l'épreuve de force du 5 juillet au cours de laquelle Hun Sen avait chassé de la tête du gouvernement le prince Norodom Ranariddh, alors que ce dernier se trouvait en France. Toutefois, de nombreux nuages voilent encore l'horizon, entre autres l'amorce d'une campagne en vue du renouvellement, en 1998, de l'Assemblée nationale élue en 1993 sous l'égide de l'ONU. A la surprise générale, le roi s'est réinstallé dans son palais de Phnom Penh, mercredi 3 décembre, pour la première fois depuis la fin de février. Il a aussitôt annoncé qu'il comptait y passer deux mois et y recevoir " tout le monde " . Norodom Sihanouk, qui vient de fêter ses soixante-quinze ans, avait passé les mois de septembre et d'octobre au Cambodge. Mais, dans un geste interprété comme une volonté de garder ses distances à l'égard du nouveau gouvernement cambodgien, dominé par la personnalité de Hun Sen, il avait séjourné à Siem Reap, la ville des temples d'Angkor, et refusé d'exercer toute fonction officielle. Il n'avait pas même participé en novembre à Hanoï, en dépit des pressions de Jacques Chirac, au sommet de la francophonie, dont il est pourtant le doyen. Des politiciens exilés regagnent aussi la capitale cambodgienne. A la suite d'un accord avec le gouvernement, cinq moniteurs des Nations unies les accueillent sur place. Revenu le 27 novembre après six mois d'absence, Sam Rainsy, l'opposant le plus déterminé à Hun Sen, a déclaré qu'à la " confrontation " , il préférait désormais la " négociation avec le gouvernement " . Il a aussitôt commencé à réorganiser son mouvement, le Parti de la nation khmère (PNK) et réactivé les syndicats ouvriers du textile. Jeudi 4 décembre, Sam Rainsy, un ancien ministre des finances qui a survécu à un attentat le 30 mars dernier, est allé présider un meeting à Kompong-Cham, fief de Hun Sen, dans l'est cambodgien. Certains exilés ont repris leur place sur les bancs de l'Assemblée, et même au sein du gouvernement. La vie a un peu repris depuis la paralysie provoquée par l'épreuve de force du 5 juillet, le départ précipité d'étrangers et la suspension de plusieurs programmes d'aide. La récolte de riz est bonne. Un petit festival du Ramayana a marqué, à Angkor, le début d'une saison touristique qui s'annonce, cependant, médiocre. Si le taux d'expansion risque d'être nul en 1997, la légère reprise des affaires, ces dernières semaines, laisse prévoir une relance de la croissance en 1998. Le banditisme a reculé à Phnom Penh et sur les routes, notamment à la suite du démantèlement de barrages tenus par des miliciens, des policiers et des soldats. Sur le plan militaire, la fin des pluies devrait relancer les combats dans l'extrême nord où des partisans de Ranariddh et les Khmers rouges de Ta Mok et Pol Pot continuent de se retrancher sans présenter pour autant une réelle menace. Le gouvernement a aussi marqué quelques points, récemment, dans la lutte contre le trafic des drogues. En revanche, le contrôle des recettes de la contrebande du bois demeure un sujet de discorde entre Phnom Penh et le FMI qui a suspendu son aide voilà deux mois. Élections à risques L'Assemblée nationale a voté une loi sur les partis politiques plutôt bien accueillie. Elle devrait adopter, dans les prochaines semaines, une loi électorale confiant le contrôle du scrutin à une commission élue à la majorité simple par les députés. La prochaine première séance du Conseil supérieur de la magistrature devrait permettre la réunion du Conseil constitutionnel, dont trois des membres sur neuf sont désignés par le premier. L'Union européenne pourrait accorder au Cambodge l'équivalent de 11 millions de dollars pour la préparation d'élections (la moitié des dépenses prévues). Hun Sen souhaite qu'elles aient lieu en mai. Elles sont prévues pour novembre au plus tard. La perspective de cette épreuve électorale incite à la prudence. Le roi est sur ses gardes. L'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean), qui a proposé sa médiation, n'accueillera pas le Cambodge dans ses rangs avant des élections. La communauté internationale demeure dans l'expectative. Car les risques de dérapage sont jugés sérieux. Sam Rainsy n'est pas revenu au Cambodge pour légitimer le pouvoir de Hun Sen. Ce dernier s'appuie sur un PPC (Parti du peuple cambodgien, héritier du PC fondé en 1951) qui contrôle l'armée et l'administration et reste la seule formation politique à afficher une certaine unité. Le Funcinpec, mouvement royaliste de Ranariddh, est divisé en plusieurs factions, dont trois sont alliées à Hun Sen au sein du gouvernement. Le PNK de Sam Rainsy ne fait que renaître après les bouleversements de juillet. Les autres mouvements ne bénéficient que d'une audience fort limitée. L'exigence d'élections " libres et honnêtes " s'accompagne aujourd'hui d'une notion nouvelle et plus subjective : la crédibilité. Le PPC, qui a l'ambition de demeurer le parti dominant au sein d'une coalition gouvernementale, à l'exemple de ce qui existe en Malaisie depuis trois décennies, aurait donc besoin de changer d'image. Paradoxalement, en ravivant fatalement les tensions, une campagne électorale ne devrait pas faciliter une telle opération. En dépit des concessions faites récemment par Hun Sen, notamment à l'ONU, le PPC devrait continuer de souffrir de préjugés défavorables qu'il n'a peut-être pas les moyens de combattre. Au sortir d'un quart de siècle de crises aiguës, le Cambodge est donc loin d'avoir retrouvé le chemin de la normalisation. JEAN-CLAUDE POMONTI Le Monde du 9 décembre 1997

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