Article de presse: Fidel Castro, le rebelle victorieux
Publié le 17/01/2022
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1er janvier 1959 - Le duel à " suspense " qui opposait depuis deux ans Fidel Castro et Batista s'est brusquement terminé jeudi, à l'aube, et l'avocat rebelle, dont la puissante silhouette, la figure barbue, les cigares emplissaient régulièrement les pages des grandes revues internationales, a remporté sur le tenace " sergent " -dictateur la victoire qu'il ne cessait de promettre au peuple cubain dans son maquis de la sierra Maestra. En fait, l'aventure " fidéliste " ne connaît pas de précédent dans le monde des Caraïbes.
Fils spirituel de Jose Marti, " apôtre " de l'indépendance cubaine, qui, comme lui, avait mené le combat de la liberté depuis la province d'Oriente, Fidel Castro est un révolutionnaire idéaliste et pur. Jeté à corps perdu dans l'action, il s'est révélé au cours de sa " geste " comme un combattant de valeur et un excellent organisateur.
Rien ne le prédestine pourtant à son métier de rebelle. Il est né en 1927 en Oriente. Fils d'un riche planteur et d'une mère sortie de l'aristocratie cubaine, il est élevé par les jésuites. A l'université de droit il commence à s'occuper de politique, et se trouve notamment mêlé à un complot d'exilés contre Trujillo, maître tout-puissant de la République dominicaine. Il fait alors connaissance, pour la première fois, avec l'exil, où il est l'animateur à Mexico et à New-York de groupes d'étudiants réfugiés. Revenu à La Havane pour passer ses examens de droit, il devient avocat et se fait tout de suite la réputation d'un " défenseur du pauvre et de l'opprimé ". C'est un grand jeune homme très blanc de peau, à l'oeil rêveur, de moeurs frugales.
Il a déjà organisé l'opposition estudiantine contre Batista, mais son coup d'éclat il le fera le 26 juillet 1953 dans sa province natale, l'Oriente.
A la tête d'une poignée d'étudiants mal armés, véritables " desperados ", il se lance à l'assaut de la caserne Moncada, à Santiago-de-Cuba. Après l'échec, il est traqué par la police et ne doit la vie sauve qu'à l'intervention de l'archevêque de Santiago, qui lui évite une exécution brutale. Condamné à l'internement, puis à l'exil, il reste loin de son pays. Mais un mouvement est né ( " 26 de Julio " ), et le jeune avocat est devenu le symbole populaire de l'opposition au régime Batista, dont le caractère répressif s'accentue.
En décembre 1956, Fidel Castro et quatre-vingts compagnons débarquent sur une plage de l'Oriente. Surpris par des soldats, une douzaine d'hommes, dont Fidel Castro, réussissent à se réfugier dans le maquis de la sierra Maestra. C'est peu en face de l'armée puissante, de la police impitoyable et des pouvoirs dictatoriaux de Batista. Mais le premier noyau de l'insurrection est né des milliers de volontaires accourent, tandis que la résistance clandestine s'organise dans toute l'île.
Des raids sur le palais gouvernemental, des escarmouches avec les troupes de Batista, l'enlèvement spectaculaire de Fangio, au cours du Grand Prix de La Havane, attirent l'attention du monde sur l'avocat barbu, qui a juré de ne se raser que lorsqu'il aurait chassé de La Havane son adversaire de toujours. Mais la capitale ne bouge pas, et la grève générale d'avril 1958 échoue les élections truquées de novembre ne sont pas entièrement boycottées. Désormais, Fidel Castro a pour objectif d'empêcher la prochaine récolte de canne à sucre pour asphyxier le gouvernement il ne se fie plus qu'à la puissance des armes. Et, presque miraculeusement, son offensive de Noël réussit, les troupes de Batista reculent devant les rebelles, et la riche province centrale de Las Villas est investie par ses camarades qui contrôlent 80 % des ports sucriers du pays.
Mais la fuite précipitée de Batista et de ses amis ne règle pas tout.
C'est que le schéma classique du " golpe " (putsch), coup d'Etat à la façon caraïbe, n'a plus rien à voir avec la vague révolutionnaire qui submerge l'île.
Les intentions de Fidel Castro ont été maintes fois proclamées.
L'armée et ses chefs, qui ont entièrement lié leur sort au régime Batista, doivent faire leur reddition inconditionnelle afin que l'avenir du pays ne soit pas soumis au bon vouloir des officiers, éternels " golpistas ". De ce côté, comme de celui des civils, le maquisard est bien décidé à ne pas se laisser " voler sa victoire " au-devant de laquelle volent d'ailleurs les différents partis ou formations politiques cubains. Les communistes, qui ont dénoncé Batista puis collaboré officiellement et ensuite officieusement avec le dictateur, tiennent en effet à participer à cette victoire. Et pourtant hier encore ils " retenaient " les syndicats sous leur contrôle, posaient des conditions à leur participation à la résistance, exigeant nombre de postes dans le futur gouvernement provisoire d'union.
Aujourd'hui, les partisans du riche ex-président Socarras, les militants du P.C., ceux des anciens partis révolutionnaires authentique ou orthodoxe, comptent moins que la vague populaire qui soutient Fidel Castro. Celui-ci, toutefois, pour mettre en oeuvre les profondes réformes sociales et économiques qu'il a élaborées, devra compter avec eux. Les modifications de structure envisagées doivent en effet porter atteinte aux privilèges exorbitants qui tiennent à ce que toute l'économie cubaine reste monoproductrice l'industrie sucrière représente en effet 80 % des activités cubaines. En outre Fidel Castro voudrait porter atteinte aux intérêts des hommes d'affaires américains, en demandant que la participation des capitaux étrangers aux entreprises cubaines ne dépasse pas 50 %.
JACQUES GRIGNON-DUMOULIN
Le Monde du 3 janvier 1959
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