Article de presse: Emmenée par Solidarité, la droite remporte les législatives en Pologne

21 septembre 1997 - Rien n'est tout à fait joué, l'orientation politique que va prendre la Pologne reste indécise, mais la leçon du scrutin législatif de dimanche 21 septembre est claire : les ex-communistes du Parti social-démocrate ont subi un grave revers, et devraient perdre le pouvoir qu'ils exercent depuis quatre ans. La victoire revient à la coalition de droite (AWS), formée autour du syndicat Solidarité, qui fait nettement mieux (33,8) % que ne le laissaient prévoir les sondages. Les sociaux-démocrates arrivent en seconde position (26,8 %) et les centristes-libéraux de l'Union de la liberté obtiennent 13,4 % des voix, un résultat qui fait d'eux un partenaire quasi-obligé pour former une majorité. Quant au Parti paysan, il s'effondre (moins de 7 % des voix), perd cent députés et l'essentiel de la capacité de marchandage dont il a usé et abusé au cours de la précédente législature. Commentant, dimanche soir, ces résultats, le président Kwasniewski a fait valoir que la future majorité devrait s'organiser autour d'une des deux grandes formations arrivées en tête, manière de dire que la défaite de ses amis sociaux-démocrates n'était pas définitive. La position du président, dont les pouvoirs, aux termes de la nouvelle Constitution, ne sont pas très étendus, va devenir plus difficile, et M. Kwasniewski doit regretter aujourd'hui d'avoir si nettement pris position pour la coalition sortante dans une adresse à la nation prononcée à l'avant-veille du scrutin. En toute logique, le futur gouvernement devrait naître d'une alliance entre l'AWS et l'Union de la liberté : l'une et l'autre sont issues de l'ancienne opposition au régime communiste. L'Union de la liberté avait répété pendant la campagne qu'elle souhaitait former une majorité avec l'AWS, et son président, Leszek Balcerowicz a salué la victoire du camp " issu de Solidarité ". Tout serait donc simple si l'AWS, et tout particulièrement son président, Marian Krzaklewski, étaient dans les mêmes dispositions. Mais les relations personnelles entre M. Krzaklewski et M. Balcerowicz sont détestables. M. Krzaklewski manifeste à l'égard de l'Union une hauteur sinon une aversion où beaucoup détectent un complexe à l'égard des grandes figures de l'opposition dont il ne fut pas. L'AWS, conglomérat de nombreuses petites formations que M. Krzaklewski a eu le mérite de réunir autour de Solidarité, comprend un certain nombre de militants farouchement hostiles aux centristes-libéraux, accusés d'avoir permis, par leur comportement, le retour des communistes au pouvoir, voire d'être hostiles à l'Eglise. Bref le mariage sera tout sauf facile, d'autant que M. Krzaklewski a dès dimanche soir fait valoir que quiconque voudra s'allier à l'AWS, " vainqueur incontesté ", devra se rallier à l'essentiel de son programme ce qui lui a aussitôt valu un reproche " d'arrogance " de la part de Bronislaw Geremek, un des principaux responsables de l'Union de la liberté. Hurlements de joie M. Krzaklewski ne peut cependant trouver assez de sièges pour constituer une majorité sans le concours de l'Union de la liberté. Les autres partenaires possibles, le ROP (droite radicale, qui a échappé de peu à l'élimination pure et simple) et le Parti paysan, réduit à la portion congrue, ne font pas le poids. Le système électoral polonais induit une forte distorsion au profit des vainqueurs : les formations qui n'atteignent pas 5 % des voix sont éliminées et leurs voix sont réparties entre les formations arrivées en tête. Resterait la solution, déjà évoquée avant le vote par M. Krzaklewski, d'un gouvernement minoritaire, qui mettrait l'Union de la liberté dans la position délicate de laisser gouverner l'AWS sans participer au pouvoir, alors qu'elle a le vif désir de revenir aux affaires. Un tel gouvernement serait en tous cas faible et sans doute éphémère. Théoriquement, si M. Krzaklewski pose des conditions inacceptables, l'Union de la liberté peut s'engager dans une tout autre voie, l'alliance avec les sociaux-démocrates, qui disposent d'une " carotte " de première grandeur : ils peuvent, pour sauver une partie au moins de leur pouvoir, offrir le poste de premier ministre à Leszek Balcerowicz (qui n'a aucune chance d'avoir une telle responsabilité en cas d'alliance avec l'AWS). Mais ce serait là, pour l'Union, aller contre la logique de l'élection, encourir le reproche, très grave pour elle, d'avoir trompé les électeurs sur ses intentions. Ce serait aussi oublier à quel point le passé est encore présent dans les esprits : les hurlements de joie entendus au siège de l'Union à l'annonce de la défaite des anciens communistes veulent dire quelque chose, et on imagine vraiment mal, dans les circonstances présentes, que les dirigeants de l'Union prennent le risque d'engager leur parti sur une route si risquée. Celui-ci y perdrait son unité péniblement retrouvée, qui lui a permis d'obtenir un résultat très honorable, après plusieurs années difficiles. Les ex-communistes devraient donc se retrouver dans l'opposition, tout en demeurant puissants, car leur échec relatif ne saurait dissimuler le fait qu'ils ont accru leur part relative dans l'électorat par rapport à 1993, où la division de la droite leur avait offert la victoire sur un plateau. En quatre années, ils se sont si profondément enracinés dans l'administration, ont pris le contrôle, direct ou indirect, de tant de secteurs de l'économie et de la vie publique, qu'ils resteront un acteur de première grandeur de la scène politique et devraient donner bien du fil à retordre à une nouvelle majorité dont les deux partenaires risquent de se regarder longtemps avec la plus grande méfiance. Lech Walesa, qu'on a vu, dimanche soir, au siège de l'AWS, pourrait s'efforcer d'arrondir un peu les angles entre les deux partis " héritiers " de Solidarité, comme il l'a fait tout au long de la campagne. Quant à l'Eglise, elle peut se féliciter d'avoir opté cette fois pour la réserve et la discrétion : le résultat du vote est beaucoup plus conforme à ses attentes que lorsqu'elle s'était engagée, soutanes au vent, dans la bataille. JAN KRAUZE Le Monde du 23 septembre 1997