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Article de presse: Eisenhower, un homme d'Etat sincère

Publié le 22/02/2012

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25 janvier 1956 - Dès 1948, avec une modestie qui n'était pas feinte, le général Eisenhower avait dit et fait dire qu'il ne nourrissait aucune ambition politique. Sauf dans des circonstances exceptionnelles, affirmait-il, les militaires de carrière ne doivent pas briguer les grandes charges de l'Etat. En janvier 1952, de son quartier général de Rocquencourt, il faisait diffuser un communiqué déclarant qu' " en l'absence d'un appel très net au devoir politique ", il ne se porterait pas candidat à la présidence. L'appel est venu, avec une netteté indiscutable, pendant qu'aux Etats-Unis se multipliaient les groupes " Ike for president ". Et les circonstances étaient assez exceptionnelles qui avaient conduit les GI au seuil d'un troisième hiver sur le front de Corée. Le général Eisenhower attend toutefois un signe plus visible. En février 1952, bien que ses fonctions l'aient retenu loin de la scène américaine pendant plusieurs années, son nom remporte une victoire éclatante dans l'élection primaire du Connecticut contre les adversaires qui s'appellent Taft, Stassen, MacArthur. Au mois de juin, redoutable épreuve, il affronte sa première conférence de presse de civil. Cinq cents journalistes le mitraillent de questions. La veille, son village natal lui avait fait un accueil enthousiaste-mais c'était comme une fête de famille. Cette fois-ci, le test devient plus sérieux. Et le candidat à la présidence, devant un public assez surpris, étale au grand jour son ignorance des problèmes qui lui sont soumis. Pris de court, il fournit des réponses, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles sont insuffisantes... Et pourtant son prestige déjà considérable ne cesse de s'accroître. Son sourire optimiste et sa simplicité lui gagnent de nouveaux supporters, et le slogan " I like Ike " se répand à travers les quarante-huit Etats de la Confédération. Il vole de succès en succès jusqu'à Chicago, où, en juillet, la convention républicaine l'investit officiellement candidat. Dès la convention républicaine de 1952, Eisenhower avait cautionné des hommes tels que MacCarthy et Jenner. On pouvait dès lors redouter qu'il ne devînt prisonnier de la " vieille garde " et des ultras de son propre parti. Il semble que le candidat, peu familier des choses politiques, ait alors cédé aux " patrons " du parti. Mais sitôt entré à la Maison Blanche, il devait entreprendre de se dégager de leur tutelle. Très prudent au cours des premières semaines de son mandat, " Ike " s'opposa de plus en plus fermement aux " chasseurs de sorcières ", notamment dans l'affaire des brûleurs de livres. Le maccarthysme avait triomphé sous les démocrates-il devait décroître sous l'influence du général-président, dont l'un des premiers actes avait pourtant été de refuser la grâce de Julius et Ethel Rosenberg. S'il fit quelques concessions en demandant, par exemple, un renforcement de la législation anticommuniste, il obtint néanmoins une atténuation très sensible de l'hystérie qui sévissait lors de son entrée à la Maison Blanche. Si MacCarthy s'est en grande partie discrédité lui-même, l'hostilité du président Eisenhower à son endroit a encouragé le courant libéral qui s'efforçait de résister aux abus de la " chasse aux sorcières ". C'est ainsi que au bout du compte, le Sénat osa infliger un blâme à l'élu du Wisconsin. La guerre froide nourrissait le maccarthysme, et celui-ci à son tour interdisait la " normalisation " des rapports avec le bloc communiste. Toute détente internationale était impossible tant que le démagogue du Wisconsin terrorisait à l'intérieur le Congrès, les diplomates, les hauts fonctionnaires et les chefs militaires. La " détente " devait s'instaurer simultanément sur les deux fronts. Elu sur la promesse de se rendre en personne en Corée, connaissant mieux que personne le visage hideux de la guerre, " Ike ", jouant habilement à la fois de la menace et de la conciliation, parvint à conclure un armistice après la mort de Staline. La bonne volonté d' " Ike " C'est pourtant lui qui, quatre mois après son élection, avait déclaré à New-York devant l'American Legion : " Nous ne reconnaîtrons jamais les positions soviétiques en Europe orientale et en Asie. " Dulles prêchait la croisade, l'amiral Radford rêvait de reconquête, James Burnham étalait complaisamment les théories du roll-back (refoulement), la " libération " des satellites était à l'ordre du jour. Peut-on penser que telles n'étaient pas les intentions du Parti républicain, qui n'avait cessé de dénoncer la politique de containment (endiguement) suivie par les démocrates? Fort heureusement, l'exercice du pouvoir leur rendit un sens plus aigu des réalités, au moment même où la diplomatie soviétique commençait de s'assouplir. Mais il fallut le prestige du président Eisenhower pour faire accepter une politique de modération, qui ne serait pas immédiatement interprétée comme une politique d' " apaisement ". Il s'appuya sur le refus britannique pour rejeter la demande française de raid contre les assaillants de Dien-Bien-Phu et ne s'opposa pas au compromis négocié à Genève par Mendès France. En 1955, il accepta même de s'asseoir à la table de conférence avec les Russes, et nul ne songea à l'accuser d'avoir pactisé avec le diable. Tout n'était certes pas parfait dans les rapports entre l'Amérique et ses alliés, mais on ne saurait oublier l'insistance avec laquelle le président Eisenhower demanda à ses concitoyens de renoncer à l'idée du leadership américain. Notre ambition, répéta-t-il à plusieurs reprises, n'est pas de diriger le monde libre, mais d'être pour nos alliés de " bons partenaires ". Cependant, la crise de Suez et son opposition radicale à l'intervention franco-anglo-israélienne contre l'Egypte devaient mettre cette même alliance à rude épreuve. Il employa, à l'endroit de Mollet et Eden, un ton comminatoire pour les persuader de mettre fin à cette entreprise. Il crut ensuite pouvoir exploiter la popularité que cette attitude lui avait value dans le monde arabe pour lancer la " doctrine " à laquelle il a donné son nom et qui visait à constituer l'ensemble du Moyen-Orient en prolongement du pacte atlantique. Le résultat en fut une nouvelle flambée de nationalisme dans divers pays, qui conduisit entre autres à des crises sévères en Jordanie et à la chute de la monarchie irakienne. Pour éviter la contagion, " Ike " déplaça à plusieurs reprises la VIe flotte et fit débarquer les " marines " au Liban en pleine guerre civile. Finalement, une grave crise mondiale fut évitée de peu. Cette tension n'était pas encore entièrement résorbée qu'une autre menace éclatait, celle-là dans le détroit de Formose, où, pour défendre les îles Quemoy et Matsu, tenues par les nationalistes et continuellement bombardées par les forces de Pékin, Foster Dulles n'hésita pas à pratiquer sa stratégie favorite du " bord du gouffre ". Finalement, sans doute sur les conseils soviétiques, les Chinois interrompirent leur offensive. A cette époque, on sentait encore le contrecoup du lancement par les Soviétiques d'une première fusée intercontinentale et du premier Spoutnik. Tirant la conclusion de ce déséquilibre stratégique, réel ou supposé, le Kremlin adressa à la fin de 1958 son premier ultimatum sur Berlin. La réaction de la Maison Blanche fut moins ferme que l'on aurait pu s'y attendre, peut-être parce que Dulles voyait son énergie chaque jour davantage minée par le cancer qui allait bientôt l'emporter. Après sa mort, Eisenhower alla jusqu'à inviter Khrouchtchev aux Etats-Unis et à reconnaître, après une longue discussion avec lui à Camp-David, que la situation à Berlin était " anormale ". Le chef du gouvernement soviétique en conçut des espoirs dont il devait constater quelques mois plus tard le caractère illusoire. Ce fut, après la destruction d'un avion espion U-2 au-dessus de la Russie, le sommet manqué de Paris en mai 1960. Malgré toute sa bonne volonté, Eisenhower, qui avait été en quelque sorte sommé par M. " K " de faire des excuses, s'y refusa, ce qui provoqua une brutale reprise, sous toutes les latitudes, de la guerre froide. Sensiblement affecté à l'étranger par une série de fausses manoeuvres, le prestige d' " Ike " restait très élevé parmi ses concitoyens, qui l'auraient certainement réélu si un amendement constitutionnel, introduit après la mort de Roosevelt, ne lui avait pas interdit de solliciter à nouveau leurs suffrages.

« s'opposa pas au compromis négocié à Genève par Mendès France.

En 1955, il accepta même de s'asseoir à la table deconférence avec les Russes, et nul ne songea à l'accuser d'avoir pactisé avec le diable. Tout n'était certes pas parfait dans les rapports entre l'Amérique et ses alliés, mais on ne saurait oublier l'insistance avec laquellele président Eisenhower demanda à ses concitoyens de renoncer à l'idée du leadership américain.

Notre ambition, répéta-t-il àplusieurs reprises, n'est pas de diriger le monde libre, mais d'être pour nos alliés de " bons partenaires ". Cependant, la crise de Suez et son opposition radicale à l'intervention franco-anglo-israélienne contre l'Egypte devaient mettrecette même alliance à rude épreuve.

Il employa, à l'endroit de Mollet et Eden, un ton comminatoire pour les persuader de mettrefin à cette entreprise.

Il crut ensuite pouvoir exploiter la popularité que cette attitude lui avait value dans le monde arabe pourlancer la " doctrine " à laquelle il a donné son nom et qui visait à constituer l'ensemble du Moyen-Orient en prolongement dupacte atlantique.

Le résultat en fut une nouvelle flambée de nationalisme dans divers pays, qui conduisit entre autres à des crisessévères en Jordanie et à la chute de la monarchie irakienne.

Pour éviter la contagion, " Ike " déplaça à plusieurs reprises la VI e flotte et fit débarquer les " marines " au Liban en pleine guerre civile.

Finalement, une grave crise mondiale fut évitée de peu. Cette tension n'était pas encore entièrement résorbée qu'une autre menace éclatait, celle-là dans le détroit de Formose, où,pour défendre les îles Quemoy et Matsu, tenues par les nationalistes et continuellement bombardées par les forces de Pékin,Foster Dulles n'hésita pas à pratiquer sa stratégie favorite du " bord du gouffre ". Finalement, sans doute sur les conseils soviétiques, les Chinois interrompirent leur offensive.

A cette époque, on sentait encorele contrecoup du lancement par les Soviétiques d'une première fusée intercontinentale et du premier Spoutnik.

Tirant laconclusion de ce déséquilibre stratégique, réel ou supposé, le Kremlin adressa à la fin de 1958 son premier ultimatum sur Berlin. La réaction de la Maison Blanche fut moins ferme que l'on aurait pu s'y attendre, peut-être parce que Dulles voyait son énergiechaque jour davantage minée par le cancer qui allait bientôt l'emporter. Après sa mort, Eisenhower alla jusqu'à inviter Khrouchtchev aux Etats-Unis et à reconnaître, après une longue discussion aveclui à Camp-David, que la situation à Berlin était " anormale ".

Le chef du gouvernement soviétique en conçut des espoirs dont ildevait constater quelques mois plus tard le caractère illusoire. Ce fut, après la destruction d'un avion espion U-2 au-dessus de la Russie, le sommet manqué de Paris en mai 1960.

Malgrétoute sa bonne volonté, Eisenhower, qui avait été en quelque sorte sommé par M.

" K " de faire des excuses, s'y refusa, ce quiprovoqua une brutale reprise, sous toutes les latitudes, de la guerre froide. Sensiblement affecté à l'étranger par une série de fausses manoeuvres, le prestige d' " Ike " restait très élevé parmi sesconcitoyens, qui l'auraient certainement réélu si un amendement constitutionnel, introduit après la mort de Roosevelt, ne lui avaitpas interdit de solliciter à nouveau leurs suffrages. CLAUDE JULIEN Le Monde du 30-31 mars 1969. »

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