Article de presse: Eduardo Frei : un démocrate-chrétien
Publié le 17/01/2022
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11 septembre 1973 - Catholique militant, humaniste sincèrement préoccupé par l'amélioration des masses chiliennes marginalisées, libéral foncièrement hostile au communisme et même à toute forme de " socialisation ", Eduardo Frei, président de 1964 à 1970, a été d'abord un avocat des pauvres, des humbles, des laissés-pour-compte de la croissance, dans un Chili dont le niveau culturel moyen est certes plus élevé que celui de certains de ses voisins mais qui n'en connaît pas moins les défis du sous-développement économique et social.
" Nous n'avons pas beaucoup de temps à perdre si nous voulons éviter à ce pays une catastrophe provoquée par la misère et l'injustice ", disait-il en 1954, à la veille de son élection à la magistrature suprême. Leader d'un parti démocrate-chrétien qui accédait pour la première fois au pouvoir en Amérique latine, Eduardo Frei se réclamait alors d'une " révolution dans la liberté " : il se proposait de multiplier les réformes de structures tout en respectant rigoureusement la légalité constitutionnelle.
Etudiant, il donnait des leçons pour vivre. Politicien, il ne s'est jamais enrichi. Président, il continua de résider dans sa modeste maison d'un quartier résidentiel de Santiago. Après la parenthèse du gouvernement d'unité populaire de Salvador Allende, un ami de jeunesse, et le putsch des généraux de septembre 1973, il reprit son métier d'avocat, s'efforçant sans illusion de maintenir l'unité d'un Parti démocrate-chrétien traumatisé par le coup d'Etat, et tentant, avec moins de succès encore, de justifier son comportement pour le moins ambigu à l'égard de l'expérience socialiste de Salvador Allende.
" Un jour, disait Gabriela Mistral, Frei sera président du Chili. Moi, je serai morte, mais je me retournerai dans ma tombe pour l'applaudir... " Rapprocher ce salut des invectives désespérées lancées par Pablo Neruda, en septembre 1973, à la veille de sa mort misérable, donne la mesure de l'évolution d'un Eduardo Frei tellement choqué par la victoire électorale de la gauche en septembre 1970 qu'il n'a pas été totalement absent des " manoeuvres ", ourdies à l'intérieur comme à l'extérieur, pour éviter dans un premier temps l'accession de Salvador Allende à la présidence, et pour contribuer dans un second temps à sa chute.
Les réformes engagées par Frei, chef d'Etat digne et sobre, n'était pas minces. En particulier dans le domaine de la terre (sa réforme agraire devait être reprise et dynamisée par Allende), et dans une esquisse sérieuse de nationalisation de l'industrie du cuivre. Elles étaient insuffisantes pour bouleverser des structures encore largement archaïques. Et l'aile gauche de la démocratie chrétienne, emmenée par Tomic, exigeait une relance, saluait la victoire d'Allende, défiant ainsi un Eduardo Frei tenté par un " blocage " constitutionnel du succès socialiste. En vain. Mais c'est un Frei morose, inquiet et ayant basculé dans une opposition totale qui annonçait son soutien à Pinochet dès le lendemain du putsch dramatique de septembre 1973.
Peut-être le leader de la démocratie chrétienne espérait-il encore que les militaires feraient appel à lui qui se considérait publiquement " en réserve de l'Etat ". Espoir rapidement déçu.
" Les militaires ont sauvé le pays " affirmait Eduardo Frei, un mois après le coup d'Etat. Trois ans plus tard, en 1976, il rédigeait un violent réquisitoire-dont la publication n'était pas autorisée au Chili-contre la junte militaire. Il dénonçait le " caractère fasciste " des groupes au pouvoir. Toujours aussi sévère à l'égard de l'expérience Allende, il admettait cependant dans ce pamphlet que " chacun avait sa responsabilité " dans la situation du pays. La sienne a manifestement tourmenté Eduardo Frei dans les dernières années de sa vie.
MARCEL NIEDERGANG
Le Monde du 24-25 janvier 1982
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