Article de presse: Douze jours qui ébranlèrent l'Iran
Publié le 22/02/2012
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Samedi 10 février.
La veille, à 22 h 30, les djavidan (immortels) de la garde impériale donnent, sans le savoir, le signal dusoulèvement.
Ils descendent dans sept camions de la caserne de Saltanabad pour " corriger " les homafars (techniciens de l'armée de l'air)coupables de regarder à la télévision le film sur le retour de Khomeiny.
La fusillade, intense, se poursuit jusqu'à l'aube.
Deshomafars sans armes bravent les fusils-mitrailleurs qui les déciment et parviennent en criant " Allah Akbar! " jusqu'aux djavidan,qu'ils étranglent de leurs mains.
Une clameur envahit la ville : les habitants du quartier ne cessent de psalmodier " Allah Akbar "alors que la fusillade reprend.
Les Fedayin Khalq ont rassemblé vers 9 heures 100000 personnes à l'université pour un défilé politique.
Soudain desmessagers surgissent en criant : " C'est le massacre! L'armée tire! " La foule se répand dans la rue.
Les militants aguerris desmouvements de guérilla seront le fer de lance de l'insurrection.
Celle-ci prend de court Khomeiny, qui avait interdit le recours auxarmes, l'heure du Djihad (guerre sainte) n'ayant pas encore sonné.
Les autres occupent les points stratégiques.
La capitale sehérisse de barricades.
La radio annonce la proclamation de la loi martiale et du couvre-feu à 16h30.
La radio pirate des religieux s'empresse de dénoncer ces mesures " illégales et illégitimes ".
16 h 30.
Le soleil brille.
La ville en fièvre défie le couvre-feu.
Comme obéissant à un mot d'ordre, rues, places et avenues se couvrent de brasiers : les pneus qui brûlent en dégageant unefumée dense et noire-à la fois écran protecteur et signe de ralliement-font leur apparition.
Pas un quartier n'échappe à l'émeute.Dans la nuit, des commissariats de police sont attaqués, pillés, incendiés.
Dimanche 11.
Vers 5 heures, quelque 50 000 personnes cernent la manufacture d'armes, près de la place Jaleh où se produisitle massacre du " vendredi noir ".
Les assiégés savent que, même s'ils tirent, ils n'empêcheront pas la foule de donner l'assaut et deles massacrer à leur tour.
Ils parlementent et cèdent en échange de la vie sauve.
C'est alors la curée : rejoints en hâte par desmollahs en kaftan, mitraillette en bandoulière, les militants des mouvements de guérilla emportent les armes pour les mettre àl'abri, mais en utilisent quelques-unes pour attaquer d'autres cibles.
Des messagers à motocyclette font la liaison et lancent desmots d'ordre qu'on se passe de bouche à oreille : " A la radio! ", " A la police militaire! "...
Casernes, bâtiments administratifs, palais impériaux, tombent les uns après les autres.
Lundi 12.
Dans son premier bulletin, la radio donne lecture d'un communiqué des Fedayin Khalq annonçant qu'ils contrôlentl'aéroport.
La dernière journée des " trois glorieuses " est consacrée à réduire les ultimes poches de résistance des partisans du chah.
Unecourse de vitesse commence aussitôt entre les religieux et les autres mouvements politiques.
Mais les premiers ont l'habiletéd'investir immédiatement les centres du pouvoir : police, SAVAK, médias, justice.
L'épuration
En moins de vingt jours, le climat se détériore considérablement.
Khomeiny annonce que le " criminel Bakhtiar " s'est enfui à l'étranger.
L'épuration de l'armée commence.
Militaires et hommes politiques sont jugés sommairement et exécutés aussitôt sur le toit de lachambre où dort Khomeiny, de crainte qu'en parlant ils ne compromettent les religieux qui ont collaboré avec l'ancien régime.Des comités révolutionnaires fleurissent sous l'impulsion de mollahs connus comme " conservateurs " mais subitement animés d'unactivisme inquiétant.
Des jeunes surpris à boire sont fouettés, les caves des grands hôtels saccagées et des homosexuels fusillés.Les minorités ethniques et religieuses prennent peur.
Les intellectuels s'inquiètent.
PAUL BALTA Le Monde du 5-6 février 1984.
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