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Article de presse: Dialogue de sourds au Sahara

Publié le 17/01/2022

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27 janvier 1977 - Le conflit du Sahara occidental revêt une gravité d'autant plus exceptionnelle que les positions des différentes parties " concernées ou intéressées " paraissent totalement inconciliables. " Tout est négociable ", disent les dirigeants de Rabat, à condition que l'on ne remette pas en question la marocanité des terres rendues à " la mère patrie ". Le gouvernement de Nouakchott tient le même langage. " Tout est négociable ", affirment de leur côté les responsables algériens, à la seule condition qu'on reconnaisse et qu'on applique le droit à l'autodétermination. C'est un dialogue de sourds. Les médiateurs qui se sont attaqués à ce dossier en ont fait l'amère expérience, qu'il s'agisse du roi Khaled d'Arabie saoudite, de M. Hosni Moubarak, vice-président égyptien, de M. Houphouët-Boigny, chef de l'Etat ivoirien, ou de M. Senghor, président du Sénégal, pour ne citer que les principaux. Pour les autorités chérifiennes, le Sahara occidental, ou du moins sa partie nord, est historiquement un territoire marocain. Nous n'avons pas attendu, disent-elles, la découverte d'un gisement de phosphate pour faire valoir nos droits sur cette région. Dès 1958, le roi Mohammed V, dans un discours prononcé à M'Hamid, avait assuré les tribus sahariennes de " sa détermination d'oeuvrer inlassablement par tous les moyens et avec toute son énergie pour le recouvrement du Sahara et de tout le territoire relevant historiquement du royaume ". L'allégeance c'est la souveraineté Pourquoi, dans ces conditions, le gouvernement de Rabat a-t-il demandé en 1966 aux Nations unies d'organiser un référendum d'autodétermination? C'était là pure tactique, répondent les Marocains. Il s'agissait de mettre l'Espagne au pied du mur. Mais il est bien évident que les populations ne pouvaient qu'opter pour le rattachement au royaume. N'avaient-elles pas participé dans les années 50 à la lutte de libération marocaine? Il ne pouvait en aucun cas être question de la création d'un Etat fantoche lié à l'Espagne ou à l'Algérie. Un tel dessein avait d'ailleurs été préventivement dénoncé par le roi Hassan II dans un discours prononcé le 8 juillet 1974, un mois et demi avant que Madrid n'annonce son intention d'organiser une consultation de la population. Et le souverain avait renouvelé cette mise en garde le 20 août 1974 en déclarant: " Le Maroc a toujours préféré la voie diplomatique, politique et pacifique pour recouvrer ses territoires, mais, s'il apparaît que cette voie est inefficace, il n'hésiterait pas à recourir à une autre méthode, malgré lui et avec regrets. " Rabat a trouvé dans le jugement rendu par le tribunal de La Haye à la fin de 1975 la confirmation de ses thèses. La Cour n'admettait-elle pas, avant l'arrivée du colonisateur marocain, l'existence d' " un lien juridique d'allégeance entre le Sultan et certaines tribus nomades " du Sahara occidental? Elle reconnaissait de même " l'existence de droits, y compris certains droits relatifs à la terre qui constituaient des éléments juridiques entre l'ensemble mauritanien et le territoire du Sahara occidental ". Le tribunal pouvait bien émettre par ailleurs des réserves, noter que rien ne prouvait à l'époque la reconnaissance internationale de " liens juridiques de souveraineté internationale entre le Sahara occidental et l'Etat marocain " et recommander finalement l'application du principe d'autodétermination. La cause était entendue et les juges, seulement chargés de faire un constat, n'avaient pas à émettre de commentaires " politiques ". En droit marocain, affirme-t-on à Rabat, allégeance signifie et a toujours signifié souveraineté. Ce qui brouille les cartes, disent les autorités chérifiennes, c'est que le Maroc n'a pas été colonisé par une seule puissance mais par plusieurs, notamment la France et l'Espagne, qui ont dépecé son territoire. La restauration de la souveraineté nationale a dû se faire par étapes, et elle n'est pas terminée puisque Madrid occupe toujours les présides de Ceuta, de Mellila et des îles Chaffarines. C'est pour cette raison, dit-on à Rabat, que le Maroc a de tout temps émis une réserve à l'OUA sur le principe de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation, ce principe ne pouvant s'appliquer au royaume que lorsqu'il aurait retrouvé la plénitude de ses droits. Tout aurait dû se passer aussi normalement que lorsque nous avons récupéré en 1958 la province de Tarfaya, elle aussi colonisée par l'Espagne, disent les Marocains, si le gouvernement du président Boumediène n'avait des vues hégémoniques sur la région et ne souhaitait obtenir un débouché sur l'Atlantique. C'est Alger qui a créé le problème de toutes pièces, encourageant une poignée d'anciens opposants marocains et mauritaniens à se lancer dans l'aventure en leur promettant la direction d'un futur Etat croupion qui serait inféodé à son protecteur. Pour Rabat, le Polisario n'existe pas. Ce sont les Algériens qui l'ont développé en recrutant des " mercenaires ", qui l'ont armé et encadré. Dès le 25 novembre 1975, le roi Hassan II déclarait : " J'attends que l'Algérie me fasse la guerre. " Et, après les sanglantes batailles d'Amgala en février 1976, il sommait le président Boumediène de choisir " entre une guerre loyalement et ouvertement déclarée et une paix internationalement garantie ". Pour les dirigeants algériens, les arguments adverses ne constituent que des faux-semblants, des justifications embarrassées et mensongères destinées à camoufler une volonté de puissance connue depuis longtemps. Ce qui est en cause, estime le président Boumediène, c'est le droit à l'autodétermination, principe sacré, intangible, reconnu par toutes les instances internationales, un droit qui, dans le cas du Sahara occidental, a été bafoué. Dès le lendemain de l'accord de Madrid, le ministère algérien des affaires étrangères a publié un communiqué exprimant sa position sur ce point. " Le moment est venu, dit ce texte, de redire, avec toute la clarté nécessaire, que l'Algérie ne saurait renier l'acquisition la plus chère des peuples et le principe cardinal des Nations unies que représente le droit à l'autodétermination. Alger ne saurait entériner quelque solution que ce soit à l'élaboration et à la mise en oeuvre desquelles elle n'aurait pas été associée au titre de partie concernée et intéressée. " Ce droit à l'autodétermination, Alger rappelle qu'il a été proclamé en ce qui concerne le Sahara occidental par les Nations unies dans de multiples résolutions, par l'Organisation de l'Unité africaine mais aussi par plusieurs " sommets maghrébins " auxquels participaient le roi Hassan II et le président Ould Daddah. Un fait accompli Les populations n'ayant pas été consultées, l'accord tripartite de Madrid n'est pour Alger qu'un " fait accompli ", un partage digne des plus belles traditions coloniales. Les Sahraouis, fait-on remarquer, ont refusé ce dépeçage. Ils ont fui devant les " forces d'agression " et se sont ralliés massivement au Front Polisario, initialement créé, avec le soutien de la Mauritanie, pour lutter contre l'occupant espagnol, et qui poursuit son combat pour l'indépendance par l'autodétermination. Le Front est donc un mouvement de libération, dans toute l'acception du terme, et c'est à ce titre qu'Alger lui fournit une aide inconditionnelle. " Nous avons nous-mêmes été aidés quand nous luttions pour notre liberté, disent les Algériens. Il est normal que nous fassions de même aujourd'hui pour un peuple à qui l'on refuse le droit de choisir son destin. " Pour Alger, deux considérations sont de nature à éclairer l'action menée par le Maroc. Tout d'abord le royaume est animé d'une volonté expansionniste. On rappelle volontiers à Alger que Rabat a longtemps revendiqué le territoire mauritanien et que l'ancien chef du parti de l'Istiqlal, Allal El Fassi, s'était fait le chantre d'un " Grand Maroc " allant jusqu'au fleuve Sénégal. Ce que la monarchie n'a pu arracher de force dans les années 60, explique-t-on, elle s'emploie à l'obtenir aujourd'hui par la ruse. La possibilité d'un arrangement L'alliance avec Nouakchott aboutit en fait à placer de plus en plus la faible Mauritanie dans la mouvance du royaume. Alger soupçonne aussi son voisin de ne pas avoir abandonné ses prétentions sur Tindouf. L'accord d'Ifrane de 1972 reconnaissant à l'Algérie la possession de ce territoire, pour lequel les deux pays s'étaient battus en 1963, n'a toujours pas été ratifié et des voix s'élèvent au Maroc pour dénoncer ce traité et réclamer, là encore, le " retour à la mère patrie ". Où s'arrêteront ces revendications territoriales? s'interroge-t-on à Alger. Le gouvernement de M. Boumediène se demande aussi si la situation crée dans la région par l'initiative marocaine ne constitue pas une occasion pour certains pays arabes et occidentaux de mettre en difficulté la révolution algérienne et tout au moins de la circonscrire. Dans une interview au quotidien communiste l'Humanité, le chef de l'Etat algérien déclarait ainsi en novembre 1975: " Tout ce qui est fait actuellement vise à contenir la révolution algérienne: parce que nous clamons très haut ce que d'autres n'osent pas dire, parce que nous avons choisi un non-alignement qui n'est pas passif mais qui fait la différence entre le progrès et la réaction. L'heure est peut-être venue, où le peuple algérien doit faire la preuve qu'il est capable de défendre sa révolution. Si on arrive à nous tordre le cou, c'est que notre révolution n'est pas authentique. " C'est dans cette optique que l'on interprète à Alger le soutien diplomatique d'abord, matériel ensuite, accordé par la France à Nouakchott et à Rabat en dépit d'une neutralité " proclamée ". Le fossé séparant les adversaires paraît donc bien profond. La diplomatie n'a certes jamais perdu ses droits dans cette affaire et les protagonistes sont en fait toujours restés en relation. Il serait imprudent d'exclure totalement la possibilité d'un arrangement. L'histoire est pleine de surprenants revirements. A court terme, une solution pacifique paraît peu probable. Rabat et Alger sont trop engagés, et tout recul risquerait d'avoir des répercussions sur la stabilité de régimes caractérisés chacun par un pouvoir personnel important du chef de l'Etat. C'est grâce au Sahara que le roi Hassan II a pu normaliser la vie politique marocaine. En sens inverse, la menace brandie par le souverain d'user du " droit de suite " et d'attaquer l'Algérie en cas de nouvelle violation des frontières marocaines ou mauritaniennes par le Polisario a ressoudé autour du président Boumediène une opinion publique assez peu mobilisée et plus préoccupée par les difficultés économiques et sociales que connaît le pays. DANIEL JUNQUA Le Monde du 2 décembre 1977

« toute la clarté nécessaire, que l'Algérie ne saurait renier l'acquisition la plus chère des peuples et le principe cardinal des Nationsunies que représente le droit à l'autodétermination.

Alger ne saurait entériner quelque solution que ce soit à l'élaboration et à lamise en oeuvre desquelles elle n'aurait pas été associée au titre de partie concernée et intéressée.

" Ce droit à l'autodétermination,Alger rappelle qu'il a été proclamé en ce qui concerne le Sahara occidental par les Nations unies dans de multiples résolutions,par l'Organisation de l'Unité africaine mais aussi par plusieurs " sommets maghrébins " auxquels participaient le roi Hassan II et leprésident Ould Daddah. Un fait accompli Les populations n'ayant pas été consultées, l'accord tripartite de Madrid n'est pour Alger qu'un " fait accompli ", un partagedigne des plus belles traditions coloniales.

Les Sahraouis, fait-on remarquer, ont refusé ce dépeçage.

Ils ont fui devant les " forcesd'agression " et se sont ralliés massivement au Front Polisario, initialement créé, avec le soutien de la Mauritanie, pour luttercontre l'occupant espagnol, et qui poursuit son combat pour l'indépendance par l'autodétermination.

Le Front est donc unmouvement de libération, dans toute l'acception du terme, et c'est à ce titre qu'Alger lui fournit une aide inconditionnelle.

" Nousavons nous-mêmes été aidés quand nous luttions pour notre liberté, disent les Algériens.

Il est normal que nous fassions de mêmeaujourd'hui pour un peuple à qui l'on refuse le droit de choisir son destin.

" Pour Alger, deux considérations sont de nature àéclairer l'action menée par le Maroc.

Tout d'abord le royaume est animé d'une volonté expansionniste.

On rappelle volontiers àAlger que Rabat a longtemps revendiqué le territoire mauritanien et que l'ancien chef du parti de l'Istiqlal, Allal El Fassi, s'était faitle chantre d'un " Grand Maroc " allant jusqu'au fleuve Sénégal.

Ce que la monarchie n'a pu arracher de force dans les années 60,explique-t-on, elle s'emploie à l'obtenir aujourd'hui par la ruse. La possibilité d'un arrangement L'alliance avec Nouakchott aboutit en fait à placer de plus en plus la faible Mauritanie dans la mouvance du royaume.

Algersoupçonne aussi son voisin de ne pas avoir abandonné ses prétentions sur Tindouf. L'accord d'Ifrane de 1972 reconnaissant à l'Algérie la possession de ce territoire, pour lequel les deux pays s'étaient battus en1963, n'a toujours pas été ratifié et des voix s'élèvent au Maroc pour dénoncer ce traité et réclamer, là encore, le " retour à lamère patrie ".

Où s'arrêteront ces revendications territoriales? s'interroge-t-on à Alger. Le gouvernement de M.

Boumediène se demande aussi si la situation crée dans la région par l'initiative marocaine ne constituepas une occasion pour certains pays arabes et occidentaux de mettre en difficulté la révolution algérienne et tout au moins de lacirconscrire.

Dans une interview au quotidien communiste l'Humanité, le chef de l'Etat algérien déclarait ainsi en novembre 1975:" Tout ce qui est fait actuellement vise à contenir la révolution algérienne: parce que nous clamons très haut ce que d'autresn'osent pas dire, parce que nous avons choisi un non-alignement qui n'est pas passif mais qui fait la différence entre le progrès etla réaction.

L'heure est peut-être venue, où le peuple algérien doit faire la preuve qu'il est capable de défendre sa révolution.

Si onarrive à nous tordre le cou, c'est que notre révolution n'est pas authentique.

" C'est dans cette optique que l'on interprète à Algerle soutien diplomatique d'abord, matériel ensuite, accordé par la France à Nouakchott et à Rabat en dépit d'une neutralité" proclamée ". Le fossé séparant les adversaires paraît donc bien profond.

La diplomatie n'a certes jamais perdu ses droits dans cette affaireet les protagonistes sont en fait toujours restés en relation.

Il serait imprudent d'exclure totalement la possibilité d'un arrangement. L'histoire est pleine de surprenants revirements.

A court terme, une solution pacifique paraît peu probable.

Rabat et Alger sonttrop engagés, et tout recul risquerait d'avoir des répercussions sur la stabilité de régimes caractérisés chacun par un pouvoirpersonnel important du chef de l'Etat.

C'est grâce au Sahara que le roi Hassan II a pu normaliser la vie politique marocaine.

Ensens inverse, la menace brandie par le souverain d'user du " droit de suite " et d'attaquer l'Algérie en cas de nouvelle violation desfrontières marocaines ou mauritaniennes par le Polisario a ressoudé autour du président Boumediène une opinion publique assezpeu mobilisée et plus préoccupée par les difficultés économiques et sociales que connaît le pays. DANIEL JUNQUA Le Monde du 2 décembre 1977. »

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