Article de presse: De Gaulle chef de parti
Publié le 22/02/2012
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14 avril 1947 - Le 14 avril 1947, le général de Gaulle publie sous le simple titre de " déclaration " un communiqué dans lequel il annonce : " Aujourd'hui est créé le Rassemblement du peuple français. J'en prends la direction. " Il précise: " Il a pour but de promouvoir et de faire triompher par-dessus nos divisions l'union de notre peuple dans l'effort de rénovation et la réforme de l'Etat. " Telle est la date officielle de naissance du RPF, le seul parti politique jamais fondé par de Gaulle lui-même. Cette date est à la fois un aboutissement et un début. Le Général avait quitté le pouvoir le 20 janvier 1946, estimant que le " jeu des partis " ne lui permettait pas d'exercer comme il le souhaitait ses fonctions de chef du gouvernement. Se rendant vite compte que personne dans les forces politiques ne songe à le rappeler, que même le MRP l'abandonne, qu'aucun mouvement d'opinion en faveur de son retour ne se déclenche, de Gaulle commence à piaffer d'impatience et se résout à forcer le destin. Il le fait progressivement. Le 16 juin 1946 à Bayeux, dans le Calvados, célébrant le deuxième anniversaire de la libération de cette sous-préfecture où il avait prononcé sa première allocution sur le sol français, le général esquisse les règles de conduite d'un Etat de façon si précise que ce texte prendra le nom de " Constitution de Bayeux " et contiendra presque tous les principes de la Constitution de la Ve République de 1958. Dès le lendemain de ce discours se crée, à l'initiative de René Capitant, une Union gaulliste pour la IVe République regroupant vingt-deux députés de divers partis. De Gaulle n'a toutefois aucune responsabilité dans cette initiative. Il fait savoir qu'il s'oppose au projet de Constitution d'octobre 1946.
Celui-ci est cependant adopté par 53 % des suffrages exprimés mais seulement 35 % des inscrits et devient la Constitution de la IVe République contre laquelle de Gaulle ne cessera de lutter pendant douze ans.
Aux élections de novembre 1946, les " gaullistes " n'existent pas en tant que force politique organisée. En janvier 1947, Vincent Auriol est élu président de la République.
De Gaulle envisage dès l'hiver 1946 de fonder une organisation.
Jacques Soustelle, le colonel Rémy, Jacques Baumel sont chargés de préparer discrètement ce projet et de recruter des partisans parmi les anciens résistants. Mais ses proches lui conseillent d'attendre une occasion favorable pour se découvrir. Le 30 mars 1947, à l'occasion d'une cérémonie en mémoire de la Résistance à Bruneval, en Seine-Maritime, il laisse prévoir la création du RPF en concluant ainsi son discours : " Le jour va venir où, rejetant les jeux stériles et réformant le cadre mal bâti où s'égare la nation et se disqualifie l'Etat, la masse immense des Français se rassemblera sur la France. " De la foule immense de quelque cinquante mille personnes, fusent quelques rares " de Gaulle au pouvoir ". Et le 7 avril, à Strasbourg, sur la place de Broglie, la foule est aussi nombreuse mais plus vibrante. Du balcon de l'hôtel de ville, de Gaulle annonce la création du Rassemblement du peuple français. C'est une véritable déclaration de guerre à la IVe République, un sévère réquisitoire contre le comportement des partis politiques. Il lance : " Il est temps que se forme et s'organise le Rassemblement du peuple français qui, dans le cadre des lois, va promouvoir et faire triompher, par-dessus les différences des opinions, le grand effort de salut commun et la réforme profonde de l'Etat. " M. Jacques Soustelle devient le secrétaire général du RPF et André Malraux le délégué à la propagande. Enfin, le 24 avril, de Gaulle donne à Paris une conférence de presse, la première depuis 1945, où il développe les raisons de son initiative. La gauche réagit vivement et les modérés sont sans enthousiasme. Mais l'opinion publique n'y est pas hostile. C'est donc à elle qu'il s'adresse au moyen de meetings qui regroupent des foules immenses, à Bordeaux, à Lille, à Rennes, etc. Les adhésions se multiplient et atteignent à la fin de l'année, selon les chiffres fournis par le RPF, un million et demi. Dans la réalité, les adhésions seront moins nombreuses, mais dès le début le RPF se classe parmi les tout premiers partis politiques français.
Le gouvernement et les autres partis s'inquiètent de cette montée en puissance. Le président du conseil, Paul Ramadier (SFIO), interdit à la radio de retransmettre les discours de de Gaulle. Au Parlement, l'intergroupe gaulliste a du mal à se constituer. Si le monde institutionnel rejette de Gaulle, l'opinion l'accepte de plus en plus et, en octobre 1947, aux élections municipales, un véritable raz de marée soulève les candidats du RPF, qui recueillent 38,7 % des voix contre 28,9 % pour les communistes, 13,4 % pour les socialistes et 9,3 % pour le MRP. Tous les partis traditionnels reculent.
Les socialistes, qui dirigent le gouvernement, tentent de minimiser le mouvement en n'y voyant qu'une réaction anticommuniste du corps électoral, puisque le général avait-entre autres thèmes-fait campagne contre les " séparatistes ". De Gaulle demande aussitôt l'instauration du scrutin majoritaire pour les élections législatives et la dissolution de l'Assemblée nationale.
Guy Mollet, au nom de la SFIO, pour s'opposer à la fois aux communistes et aux gaullistes, invente la troisième force, qui allie les socialistes, les radicaux et le MRP, ce dernier étant le maillon faible de la nouvelle coalition. Devant les progrès du RPF, le gouvernement imaginera pour les élections législatives de 1951 un mode de scrutin dit des " apparentements ", qui sera refusé par le RPF puisque celui-ci dénonce le " jeu des partis ". C'est donc un demi-échec au soir du 17 juin 1951 : 119 sièges seulement contre 103 aux communistes et 283 aux élus de la Troisième Force (dont 85 MRP, 94 radicaux et 104 socialistes). En voix, le PC avec 26,4 % des suffrages distance le RPF, qui n'en recueille que 22,3 %.
Le Rassemblement et de Gaulle voient leurs espoirs brisés. Leurs élus sont peu à peu séduits par les " délices et les poisons du système ". En 1953, après une lente agonie, le RPF cessera en fait d'exister. La véritable " traversée du désert " du général commencera alors pour ne se terminer qu'en mai 1958 avec son retour au pouvoir et la création de l'Union pour la nouvelle République.
ANDRE PASSERON
Le Monde du 12 février 1985
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