Article de presse: Combat de coqs aux Malouines
Publié le 17/01/2022
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2 avril 1982 - Une semaine après le début des combats, André Fontaine s'interroge sur les raisons qui ont amené la Grande-Bretagne et l'Argentine à s'affronter militairement.
Aux Communes, Denis Healey, porte-parole de l'opposition travailliste, a fait remarquer que, pour peu que les Argentins et les Britanniques continuent à se couler mutuellement leurs bateaux, on aurait bientôt tué davantage de monde pour les Malouines qu'elles ne comptent d'habitants.
On ne pouvait mieux souligner le caractère absurde et, à la limite, humiliant pour l'espèce humaine de cette guerre pour rien, où deux pays, déjà aux prises avec d'énormes difficultés économiques, engloutissent, au sens propre du mot, ce qui leur reste de fortune.
Le Sheffield, orgueil de la Royal Navy, qu'un seul missile français, tiré à des dizaines de kilomètres de distance, a suffi à envoyer par le fond, avait coûté aux contribuables britanniques la bagatelle de 20 millions de livres, autrement dit 200 millions de francs (nouveaux, bien entendu).
Et c'est une faible consolation que de se dire que la bataille en cours a permis à nos amis d'outre-Manche, pour la première fois, de se servir de leurs bombardiers stratégiques Vulcan, jadis porteurs de la bombe atomique nationale et qu'ils avaient dû mettre au rancart parce que ces appareils sont désormais incapables de percer les défenses soviétiques.
Quant aux dirigeants argentins, déjà endettés jusqu'à l'os, ils se voient obligés de dévaluer le peso, d'augmenter les impôts et le prix des carburants tandis que les capitaux s'enfuient vers des lieux plus sûrs.
Il est toujours déplaisant d'avoir l'air de renvoyer dos à dos deux plaideurs également convaincus de leur bon droit, surtout lorsque l'un d'eux, en l'occurrence l'Argentine, a décidé de régler tout seul, par un coup de dés, un différend qui l'oppose à la Grande-Bretagne depuis cent quarante-neuf ans. Il va de soi que, si on la laissait faire, tous les irrédentistes du monde-et Dieu sait si, de l'Himalaya à l'Amérique centrale en passant par le Proche-Orient, il y en a !-s'en verraient singulièrement encouragés.
De part et d'autre, au départ, on a commis une erreur de calcul. Le général Galtieri et ses pairs ne connaissaient pas Margaret Thatcher.
Ils ne pensaient pas que la Grande-Bretagne, qui avait en trente ans abandonné sans grand drame, dans l'ensemble, 99 % de son empire, et qui se préparait, pour moderniser ses défenses, à se priver de l'essentiel de sa flotte, allait rassembler une armada de bric et de broc pour reprendre provisoirement le contrôle de quelques îlots sans intérêt économique, dont elle est manifestement hors d'état d'assurer durablement la protection.
La " dame de fer " s'est imaginé, de son côté, qu'il était possible de faire céder les militaires de Buenos-Aires, pour lesquels elle ne doit éprouver qu'une faible estime, sans pour autant vraiment risquer des vies, au moins britanniques : autrement dit, de faire une omelette sans casser d'oeufs. Sans doute pensait-elle que cette coterie, dont l'impopularité et l'échec économique étaient avérés, s'effondrerait dès que l'Union Jack ferait son apparition dans les parages à la poupe de l'Invincible.
Qui mieux qu'elle, qui pourtant incarne si bien, face à l'Angleterre du déclin accepté, l'orgueil millénaire d'Albion, aurait dû comprendre la force des réactions que peut inspirer à un peuple le sentiment de l'honneur bafoué ? Et il lui aurait suffi de lire les excellentes études du Royal Institute of Strategic Studies pour savoir que les forces armées argentines disposaient d'équipements de premier ordre.
De chaque côté, on se cramponne à ses positions : pas de cessez-le-feu sans retrait des troupes argentines, dit Margaret Thatcher, que le succès des conservateurs aux élections locales du 5 mai encourage dans sa fermeté. Pas de retrait sans reconnaissance de la souveraineté argentine, répondent les militaires de Buenos-Aires, encouragés de leur côté par la destruction du Sheffield et par l'imminence de l'hiver austral.
ANDRE FONTAINE
Le Monde du 8 mai 1982
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