Article de presse: Charlie Parker

1949 - Comme celle de Sidney Bechet, la réputation de Charles Parker, en France, s'est consolidée par sa venue au festival que Charles Delaunay avait organisé à Paris quatre ans après la Libération. Bechet incarnait la tradition néo-orléanaise, bénéficiait de la vogue du mouvement revivaliste, et Parker symbolisait la révolution be-bop qui venait de s'accomplir à New-York. Bechet se fixa en France. Parker, au contraire, n'y fit que deux courtes apparitions. Presque toutes les anecdotes relatives à ses brefs passages sont fausses, pour ne pas qualifier celles qui n'évoquent que de prétendus retours. On raconte qu'il fit de nombreuses " jams " à Montmartre, en 1949, à l'occasion du fameux festival : c'est absurde, il est resté trop peu de temps pour cela, il lui suffisait d'aller chaque soir au Club Saint-Germain. On se régale aussi d'une politesse ou plaisanterie de Parker rencontrant Sartre en ce club-là justement, et qui aurait dit au philosophe : " Je suis heureux de vous voir, j'aime votre façon de jouer ". Sartre perçut tout autre chose : " Je voudrais pouvoir venir étudier au Conservatoire national ". Delaunay entendit Parker, l'année suivante, émettre le même voeu. Les témoins présumés de ce qui eût pu être un bon mot ne l'ont jamais rapporté sans malice. Ils en ont, d'ailleurs, inventé d'autres, notamment : " Cher monsieur Sartre, j'ai bien connu votre père ". La biographie écrite par Ross Russel ne cesse, au long des chapitres, d'être trompeuse sur le Parker " européen ". Ainsi Delaunay aurait retrouvé Parker en novembre 1950 à Orly, alors qu'il ne le revit qu'en décembre pour lui proposer de jouer au Salon du jazz. Le grand oiseau ne manifesta aucune envie d'y paraître et s'envola le lendemain pour New-York. Il ne visita pas non plus l'extraordinaire Musée de la drogue à Bruxelles, chez Raoul : l'histoire a été inventée de toutes pièces par Red Rodney qui n'était pas, du reste, au JATP, en 1951, date qu'il cite pour l'aventure. Non, Parker, hélas ! n'a pas fréquenté Paris et l'Europe comme ses admirateurs alors rêvaient qu'il le fît. La distance qu'il garda à l'égard du Vieux Continent n'est pas pour rien sans doute dans la force qu'y conservera plus tard sa légende. LUCIEN MALSON Mars 1985