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ARTICLE DE PRESSE: Changement d'équipage en pleine tempête

Publié le 17/01/2022

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7 novembre 1995 - Ils sont une poignée, mardi matin, à " savoir ". Ils sont quelques-uns à pressentir. Ils sont une majorité à se préparer benoîtement à vaquer à leur quotidien ministériel. La matinée politique s'étire doucement. Sur une radio, Edouard Balladur devise de la protection sociale et se décerne les lauriers de la clairvoyance. Il est 10 h 50. Au 101, rue de l'Université, la mission parlementaire sur la Sécurité sociale s'accorde une pause. Pierre Méhaignerie, qui préside les auditions, en profite pour faire un point sur l'ordre du jour. Il confirme que Jacques Barrot, ministre du travail, interviendra devant les députés, à leur requête pressante, l'après-midi même. " A 14 heures précises ", indique-t-il. Au même moment, un huissier fait son entrée, une dépêche à la main. A la lecture de celle-ci, M. Méhaignerie corrige son propos : " Mes chers collègues, l'emploi du temps ne tient plus. Je crois que le gouvernement vient... de démissionner ! " " C'est une blague ! " s'exclament à l'unisson Jean-Yves Chamard (RPR) et Claude Bartolone (PS). Nicolas Sarkozy ne dit mot, plie ses affaires et file, coudes au corps, prévenir Edouard Balladur. Au même moment, à Brest, Charles Millon salue la Jeanne-d'Arc avant son départ. Discrètement, un de ses conseillers lui fait passer un petit mot : " Alain Juppé a présenté la démission de son gouvernement. " Le ministre de la défense tombe des nues. Un deuxième message lui parvient dans la minute. " Alain Juppé a été reconduit dans ses fonctions. " Le ministre respire. A l'ambassade d'Israël, où Valéry Giscard d'Estaing était venu signer le registre de condoléances ouvert après l'assassinat d'Itzhak Rabin, l'officier de sécurité s'agite. On vient de le prévenir que Jacques Chirac cherchait à joindre d'urgence l'ancien président de la République. La voiture rentre en trombe à son domicile. Dans les ministères, dans les partis, au Parlement, partout, les terminaux informatiques et les imprimantes des agences de presse émettent le signal d'urgence. La dépêche s'arrache. Elle entre dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, où une vingtaine de députés examinent les crédits du ministère des anciens combattants. Loïc Bouvard, qui préside la séance, attend patiemment la fin de l'intervention d'un orateur UDF pour annoncer l'interruption immédiate des travaux. L'hémicycle se vide, la salle des Quatre-Colonnes se remplit. Un député ironise : " La seule rupture de Chirac avec la pensée unique, c'est le remaniement en pleine session budgétaire. " Pierre Pasquini, ministre des anciens combattants, ne cache pas son ignorance : " Je pensais que le remaniement interviendrait en fin d'année. " Françoise de Panafieu, ministre du tourisme, passe en coup de vent, tendue. Elle se doutait bien de quelque chose, confie-t-elle. La veille, Alain Juppé lui avait fait savoir qu'il la recevrait à 15 heures. " C'est l'heure des questions au gouvernement. C'est donc qu'il n'y allait pas. Et moi non plus. Donc, c'était important ", avait-elle judicieusement conclu. Encore ignorante de son sort, elle affirme, toujours confiante : " Le remaniement est une bonne chose. " Michel Péricard, président du groupe RPR, avait deviné lui aussi. " Il y avait trop de signes : Alain Juppé m'a prévenu hier qu'il ne serait pas à la réunion du groupe RPR mardi matin, ni à la séance de questions mardi après-midi. " Peu charitable, il ajoute : " Certains ministres n'étaient pas à la hauteur des difficultés de notre pays. La politique, ce n'est pas très compliqué, mais cela demande un minimum d'expérience. " Son homologue de l'UDF, Gilles de Robien, juge plus prudent de s'enfermer dans son bureau, plutôt que de s'ébrouer dans les couloirs. Ce n'est pas le moment d'être injoignable au cas où on l'appellerait de Matignon. L'appel espéré ne viendra pas. La nouvelle vient juste de parvenir à Laurent Fabius, qui interrompt la réunion du groupe PS pour glisser un commentaire acide : " On n'a jamais vu un gouvernement imploser de cette façon. " Jean-Pierre Chevènement vient, lui aussi, humer l'air. " A en juger par les attroupements, les grenouilles demandent un roi ", commente le chef de file du Mouvement des citoyens, impérial. Il ne voit pas, à quelques mètres de là, la voiture du président de l'Assemblée nationale quitter la cour de l'hôtel de Lassay pour l'Elysée, où il est attendu à déjeuner. Prévenu le matin, Philippe Séguin a quelques candidats à défendre auprès du président de la République. Dans les ministères, l'angoisse gagne. La rumeur se répand que le nouveau gouvernement ne comprendrait qu'une trentaine de membres, alors qu'ils étaient quarante et un à se partager les portefeuilles et que quatre arrivées sont déjà prévues. Chacun fait son calcul. J'ajoute quatre, je retire donc... treize. Certains sont rassérénés. Les ministres " régaliens " (défense, intérieur, affaires étrangères, justice) ont reçu l'assurance qu'on ne les toucherait pas. Charles Millon peut se consacrer tranquillement au dossier qui lui tient le plus à coeur, ce mardi : la candidature de Rhône-Alpes, la région qu'il préside, à l'organisation des Jeux olympiques. A Bercy, Jean Arthuis respire. Son ami René Monory, président du Sénat, lui a appris qu'il était maintenu dans ses fonctions de ministre de l'économie. Un coup de téléphone d'Alain Juppé lui confirme la bonne nouvelle quelques instants plus tard. Ceux qui sont encore dans l'incertitude redoutent la sonnerie de l'interministériel. Son silence vaut garantie de survie, puisque le premier ministre convoque un à un, à Matignon, les ministres dont il a décidé de se séparer. Dans les états-majors des partis de la majorité, en revanche, on s'agite. Valéry Giscard d'Estaing a enfin eu sa conversation avec Jacques Chirac, qui l'a assuré que le " noyau dur " de ses proches (Hervé de Charette, Charles Millon, Jean-Pierre Raffarin) reste au gouvernement, avec la place et le rang qui conviennent. Cette fois, l'ancien chef de l'Etat ne s'oppose pas à la nomination d'Alain Lamassoure, pressenti pour le ministère du budget. Au Parti républicain, on attend fébrilement que l'avion de ligne qui ramène François Léotard d'Israël atterrisse. Les premières précisions sur les entrants et les sortants irritent au plus haut point les dirigeants du PR, qui estiment leur parti fort mal servi. Pendant que Philippe Séguin plaide avec un bonheur inégal la cause de ses poulains menacés, François Fillon, Jean de Boishue, auprès du président de la République, son homologue du Sénat, René Monory, s'active en vain, au nom du CDS, en faveur de Claude Goasguen, ministre de la réforme de l'Etat, dont l'éviction est inattendue. L'intervention conjointe d'Alain Madelin et de Jean Arthuis arrache d'extrême justesse un strapontin ministériel pour François d'Aubert, ministre du budget dans l'équipe sortante et qui figurait sur la liste des condamnés en début d'après-midi. Au début de l'après-midi, le Palais-Bourbon retrouve son agitation. A 15 heures, les députés se précipitent dans l'hémicycle où les attend déjà le président de l'Assemblée nationale. La jubilation qu'affiche Philippe Séguin tranche avec l'austérité de son propos. " C'est la première fois depuis le début de la Ve République que la démission du gouvernement intervient au cours de la discussion budgétaire ", souligne-t-il, avant de préciser que " toutes diligences ont été faites pour déterminer les conséquences juridiques de cette situation sur l'organisation de nos travaux ". Dans les couloirs, l'enthousiasme n'est guère au rendez-vous. Jean-Pierre Thomas (UDF-PR) juge que, " en plein milieu de session budgétaire, tout cela fait quand même désordre ". Revenu de ses espoirs ministériels, Gilles de Robien a le commentaire amer. Sur la volonté de nommer une équipe restreinte : " S'il s'agit simplement de faire des économies de secrétaires d'Etat, cela me paraît bien dérisoire. " Sur les chances de la nouvelle équipe : " Toute la question est de savoir si ce remaniement permettra de rattraper le péché originel de la composition du premier gouvernement Juppé, qui ne reflétait pas l'ensemble de la majorité. " Nicole Catala (RPR) se dit, elle aussi, " déroutée " par le choix de la date et pressent déjà qu'il sera " essentiellement machiste ". La première pensée de Simone Rignault (RPR) va également " aux filles " ministres, dont le sort prévisible " [l]'attriste ", même si, ajoute-t-elle, " le problème, c'est que la féminité n'est pas une compétence ". Pendant ce temps, à l'hôtel Matignon, les ministres condamnés se succèdent dans le bureau du premier ministre. Les retards s'accumulent sur le calendrier des rendez-vous, et les huissiers sont contraints de faire patienter dans l'antichambre. En fin d'après-midi, tous les sièges sont occupés. Par des femmes. RECIT DE LA SEQUENCE FRANCE Le Monde du 9 novembre 1995

« Dans les états-majors des partis de la majorité, en revanche, on s'agite.

Valéry Giscard d'Estaing a enfin eu sa conversationavec Jacques Chirac, qui l'a assuré que le " noyau dur " de ses proches (Hervé de Charette, Charles Millon, Jean-Pierre Raffarin)reste au gouvernement, avec la place et le rang qui conviennent.

Cette fois, l'ancien chef de l'Etat ne s'oppose pas à la nominationd'Alain Lamassoure, pressenti pour le ministère du budget.

Au Parti républicain, on attend fébrilement que l'avion de ligne quiramène François Léotard d'Israël atterrisse.

Les premières précisions sur les entrants et les sortants irritent au plus haut point lesdirigeants du PR, qui estiment leur parti fort mal servi. Pendant que Philippe Séguin plaide avec un bonheur inégal la cause de ses poulains menacés, François Fillon, Jean de Boishue,auprès du président de la République, son homologue du Sénat, René Monory, s'active en vain, au nom du CDS, en faveur deClaude Goasguen, ministre de la réforme de l'Etat, dont l'éviction est inattendue.

L'intervention conjointe d'Alain Madelin et deJean Arthuis arrache d'extrême justesse un strapontin ministériel pour François d'Aubert, ministre du budget dans l'équipesortante et qui figurait sur la liste des condamnés en début d'après-midi. Au début de l'après-midi, le Palais-Bourbon retrouve son agitation.

A 15 heures, les députés se précipitent dans l'hémicycle oùles attend déjà le président de l'Assemblée nationale.

La jubilation qu'affiche Philippe Séguin tranche avec l'austérité de sonpropos.

" C'est la première fois depuis le début de la V e République que la démission du gouvernement intervient au cours de la discussion budgétaire ", souligne-t-il, avant de préciser que " toutes diligences ont été faites pour déterminer les conséquencesjuridiques de cette situation sur l'organisation de nos travaux ". Dans les couloirs, l'enthousiasme n'est guère au rendez-vous.

Jean-Pierre Thomas (UDF-PR) juge que, " en plein milieu desession budgétaire, tout cela fait quand même désordre ".

Revenu de ses espoirs ministériels, Gilles de Robien a le commentaireamer.

Sur la volonté de nommer une équipe restreinte : " S'il s'agit simplement de faire des économies de secrétaires d'Etat, celame paraît bien dérisoire.

" Sur les chances de la nouvelle équipe : " Toute la question est de savoir si ce remaniement permettra derattraper le péché originel de la composition du premier gouvernement Juppé, qui ne reflétait pas l'ensemble de la majorité.

" Nicole Catala (RPR) se dit, elle aussi, " déroutée " par le choix de la date et pressent déjà qu'il sera " essentiellementmachiste ".

La première pensée de Simone Rignault (RPR) va également " aux filles " ministres, dont le sort prévisible" [l]'attriste ", même si, ajoute-t-elle, " le problème, c'est que la féminité n'est pas une compétence ". Pendant ce temps, à l'hôtel Matignon, les ministres condamnés se succèdent dans le bureau du premier ministre.

Les retardss'accumulent sur le calendrier des rendez-vous, et les huissiers sont contraints de faire patienter dans l'antichambre.

En find'après-midi, tous les sièges sont occupés.

Par des femmes. RECIT DE LA SEQUENCE FRANCE Le Monde du 9 novembre 1995. »

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