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Article de presse: Censure

Publié le 17/01/2022

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1er avril 1966 - A la suite d'un premier vote favorable à la sortie du film (acquis par 14 voix contre 8 et une abstention), M. Bourges, secrétaire d'Etat à l'information, avait renvoyé la " Religieuse " devant la commission de contrôle. Simple affaire de routine, disaient les uns. Pas du tout, répliquaient les autres, certains membres vont se déjuger, et la commission prononcera, lors du second vote, l'avis défavorable qu'espère le gouvernement. Pronostic erroné. Du moins en partie. Par 12 voix contre 8 et 3 abstentions, la commission de contrôle confirmait mardi soir son premier vote. On put croire que cette fois tout était réglé. Mais la commission de contrôle n'émet en matière de censure qu'un avis consultatif. Le secrétaire d'Etat chargé du cinéma est toujours libre de ne pas en tenir compte et de prendre, comme on dit, ses responsabilités. M. Bourges a pris les siennes. Il a interdit le film de Jacques Rivette. On reste atterré devant une telle décision. Atterré par la gravité du coup qu'elle porte à la liberté d'expression et plus encore peut-être par sa signification profonde. Selon l'avis (répété) de la commission de contrôle, la " Religieuse " devait être simplement interdit aux " moins de dix-huit ans ". En prononçant l'interdiction totale, le secrétaire d'Etat à l'information assimile donc à des mineurs de moins de dix-huit ans l'ensemble des spectateurs français. C'est là le vrai problème et le scandale. Nous refuser le droit de voir la Religieuse, c'est sous-entendre que nous ne sommes pas capables de prendre par nous-mêmes la mesure d'une oeuvre cinématographique. C'est nous interdire la possibilité d'un jugement personnel. C'est nous mettre en tutelle et nous " protéger " malgré nous. Nous protéger contre quoi au fait ? Contre un ouvrage infamant, bas, laid, vulgaire, obscène ? Pas le moins du monde. Contre un film dont tous ceux qui l'ont vu reconnaissent la réussite et l'austère beauté et qui est la fidèle transcription cinématographique d'un chef-d'oeuvre de la littérature française vieux de deux siècles, qui a sa place dans la plus modeste des bibliothèques municipales et que l'Eglise d'ailleurs n'a pas mis à l'index. Ainsi donc, en 1966, Diderot est encore pour certains bon à mettre au bûcher. Curieuse manière de défendre la grandeur de l'Eglise ! Et c'est pour ne pas choquer ces esprits sourcilleux que l'on interdit la " Religieuse ". On croit rêver ! JEAN DE BARONCELLI Le Monde du 2 avril 1966

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