Article de presse: Carter, quatre années d'improvisation au nom de la morale
Publié le 17/01/2022
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Jimmy Carter peut également se targuer d'avoir mené à bien la première réforme de la fonction publique depuis un siècle etd'avoir procédé à la dérégulation des transports aériens et routiers et du système bancaire, c'est-à-dire à la suppression derèglements d'inspiration corporatiste qui entraînaient des prix excessifs pour les consommateurs et entravaient le développementde ces secteurs.
Mais trois grandes idées ont été abandonnées: la réforme fiscale a été renvoyée aux calendes grecques, alorsque Jimmy Carter avait qualifié en 1976 de " honte nationale " le système qui permet aux contribuables les plus fortunés debénéficier, avec l'aide de bons avocats-conseils, d'étonnantes réductions.
Le projet d'assurance-maladie pour tous les Américainsa été purement et simplement enterré en raison de la hausse démesurée des frais médicaux.
Le seul régime obligatoire quifonctionne dans tout le pays est celui de la cotisation minimale pour la retraite des vieux travailleurs (social security), institué parFranklin Roosevelt.
Enfin, l'idée d'une réforme d'ensemble du travail gouvernemental a été abandonnée.
Seules des mesurespartielles ont été prises, telles que les créations de ministères de l'éducation et de l'énergie.
C'est d'ailleurs dans le domaine de l'énergie que le bilan de l'action de Jimmy Carter est le plus décevant, au moins parcomparaison avec les efforts déployés et l'ambition affichée.
Le combat pour réduire la dépendance américaine vis-à-vis dupétrole importé est " l'équivalent moral d'une guerre ", affirmait Jimmy Carter au début de son mandat.
Il n'a été suivi ni parl'opinion, qui n'a évolué que très lentement, ni par le Congrès.
Le traité de paix israélo-égyptien
En politique étrangère, le principal succès de Jimmy Carter a été la signature, le 26 mars 1979, à Washington, du traité de paixisraélo-égyptien, rendu possible par les accords de Camp David de septembre 1976.
L'intervention personnelle, et en quelquesorte émotionnelle de Jimmy Carter, a été ici déterminante.
Le prix à payer a été cependant l'arrêt brutal de l'ouverture politiquevers les Palestiniens, voire vers l'OLP, esquissée un moment en 1977.
L'autre grande idée de Jimmy Carter-inspirée par Zbignew Brzezinski-a été la " carte chinoise ".
Des relations diplomatiquescomplètes ont été établies le 1 er janvier 1979, des actions parallèles entreprises, notamment l'aide aux maquis khmers rouges. Surtout, par la vente de 6 millions de tonnes de céréales et la fourniture de technologie, y compris du matériel pouvant avoir unusage militaire logistique, les Etats-Unis ont partiellement retrouvé en Asie la position que l'entrée des communistes à Pékin leuravait fait perdre en 1949.
Il faut encore citer à l'actif de Jimmy Carter la signature, le 16 juin 1978, du traité sur le canal de Panama, qui accorde à cepays la souveraineté progressive sur la voie d'eau océanique transocéanique (celle-ci sera totale en l'an 2000), et qui, mettant finà l'anomalie constituée par la " zone du canal ", supprime une des marques les plus voyantes et les plus gênantes de l'impérialismedes Etats-Unis en Amérique latine.
Le bilan de l'application de la " doctrine Carter " en Amérique latine reste cependant incertain.
Le président sortant souhaitaitfavoriser les gouvernements démocratiques de la région, faciliter la fin des dictatures et la tenue d'élections libres.
Cette politiquea grandement aidé (en République dominicaine) ou accompagné (en Equateur) le retour à la démocratie.
Mais elle s'est révéléeimpuissante à protéger une démocratie fragile (en Bolivie) et n'a pas vraiment ébranlé les deux régimes militaires autoritaires ducône sud du continent, le Chili et l'Argentine.
La " doctrine Carter " a été, en pratique, beaucoup moins appliquée à partir de1979, en raison de l'inefficacité des sanctions contre les gouvernements violateurs des droits de l'homme, et de la concurrencesoviétique, par exemple en Argentine.
L'attitude vis-à-vis de la révolution sandiniste au Nicaragua, mélange de méfiance et denon-ingérence, illustre ces ambiguïtés.
La politique étrangère de Jimmy Carter a été en fait parsemée d'hésitations, de zigzags, voire de retournements à 180 degrés.La campagne tous azimuts pour les droits de l'homme, qui avait démarré sur les chapeaux de roue avec la lettre envoyée à AndreïSakharov, en février 1977, un mois à peine après la prise de pouvoir de Jimmy Carter, a été mise assez rapidement sous leboisseau.
Des accommodements pour des raisons stratégiques dans deux cas particuliers (la Corée du Sud et l'Iran du Chah) luiavaient fait de toute façon perdre sa valeur universelle.
La lutte contre la prolifération nucléaire, prioritaire en 1977, ne l'a plus étéà partir de 1978.
La brigade de combat soviétique à Cuba, jugée inacceptable pendant l'été 1979, a été en quelque sorteacceptée, puisque oubliée.
L'affaire des otages de Téhéran, qui nécessitait que Jimmy Carter restât cloîtré à la Maison Blanche et lui consacrât la majeurepartie de son attention de novembre 1979 au printemps 1980, était soudain devenue secondaire en mai 1980, au momentd'ailleurs où s'effondrait dans les sondages le sursaut de popularité qu'elle avait provoqué chez les Américains, ceux-ci ayantd'abord resserré les rangs autour de leur président.
DOMINIQUE DHOMBRES Le Monde du 6 novembre 1980.
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