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Article de presse: Brasilia, capitale de l'espérance

Publié le 22/02/2012

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21 avril 1960 - Le monde entier assistait, incrédule, à cet événement historique : la naissance d'une capitale. Construite en un temps record, Brasilia était le fruit de la volonté d'un président, Juscelino Kubitschek, des plans d'un urbaniste, Lucio Costa, des dessins d'un architecte, Oscar Niemeyer, et du travail acharné de plusieurs milliers de " candangos " venus du Nordeste, du Goias et du Minas-Gerais. Le Brésil, enfin, réalisait son rêve séculaire : construire au milieu de l'immense plateau central désert une capitale. Une capitale futuriste, pour un pays neuf, en quête d'une unité et d'un symbole. Rééquilibrer le Centre-Ouest, pauvre et sous-peuplé, par rapport à la côte sud-est, plus riche et plus habitée. Prendre enfin possession d'un territoire grand comme seize fois la France. Au service de cette noble idée, Lucio Costa avait tracé son " plan pilote ", simple et audacieux. L'idée de base était inspirée " du geste premier de celui qui désigne un site ou s'en approprie deux axes se croisant à angle droit, soit le signe de la croix lui-même ". Autour de ces axes, véritables épines dorsales de la ville, s'ordonnaient les différentes fonctions urbaines. Fonction de communication, par la construction d'autostrades, la distinction entre les pistes centrales de vitesse et les pistes latérales réservées à la circulation locale, la suppression des croisements par la superposition des voies. Fonction d'habitation, par la création d'une suite de grands carrés semblables ( " les quadras " ) disposés sur les deux côtés de la bande routière et entourés chacun d'une large ceinture de grands arbres. Entre deux quadras, un petit centre commercial. A la confluence de quatre quadras, une église et une école secondaire, un cinéma, une maison de la jeunesse, des terrains de sport. Quelques secteurs isolés, entourés de bois et de champs, seraient réservés à la construction de maisons individuelles. Les fonctions professionnelles feraient l'objet d'une stricte délimitation : quartier des banques, quartier des ministères, place du Parlement, quartier des grands commerces, campus de l'université. Enfin, la retenue des eaux de la rivière Paranoa permettrait la création d'un vaste lac artificiel, au bord duquel seraient installés les clubs de divertissement pour les fins de semaines. En bref, ce bel ordonnancement géométrique devrait créer une ville qui, tout en " étant monumentale, est commode, efficiente, accueillante et intime. Elle est en même temps large et concise, bucolique et urbaine, lyrique et fonctionnelle ". Oscar Niemeyer avait ensuite dessiné la silhouette des principaux édifices. Les " candangos " avaient fait le reste, tout le reste, malgré les conditions matérielles difficiles. Ainsi était née, en ce mois d'avril 1960, cette ville qu'André Malraux avait baptisée " la capitale de l'espérance ". Que reste-t-il, quinze ans plus tard, de ces nobles intentions et de ces généreuses prophéties ? La réponse, à vrai dire, varie en fonction des objectifs et des habitants. La décision de créer Brasilia pour désenclaver l'intérieur du pays a certainement été judicieuse. Brasilia, située à 1 000 kilomètres de Sao-Paulo, 1 200 de Rio-de-Janeiro, 2 000 de l'Amazonie, 1 500 de Bahia, devient peu à peu le centre d'une véritable toile d'araignée où convergeront et d'où partiront routes, lignes aériennes et voies ferrées. Certes, il reste beaucoup à faire pour relier convenablement l'ensemble des régions à la capitale. Mais la construction de la route Belém-Brasilia, récemment achevée, montre l'influence bénéfique de telles liaisons, qui permettent la fixation de noyaux de peuplement et la mise en valeur de territoires auparavant déserts. Dans un rayon de 200 kilomètres autour de la capitale, et jusque dans les Etats de Goias et du Minas-Gerais, l'influence bénéfique de Brasilia est évidente : des villes sont nées, de nouveaux circuits se sont organisés, des emplois ont été créés. Si la façade atlantique du Brésil, principalement dans sa partie sud, continue à rassembler la majeure partie de la population urbaine et l'essentiel de l'activité industrielle et des services, il est non moins vrai que la création de Brasilia a constitué la première étape d'une politique d'aménagement du territoire. Mais plus que ces débuts encourageants dans le long processus de rééquilibrage régional, c'est la rapidité de la croissance démographique de Brasilia qui étonne. Le plan de Lucio Costa avait été conçu dans l'optique d'une population de six cent mille habitants à la fin du vingtième siècle. Quinze ans après sa fondation, près de huit cent mille personnes habitent ce coin de " serrado " jusqu'alors désertique. Les lumieres de Brasilia Le succès démographique de Brasilia est d'ailleurs la cause principale de ses problèmes. Une fois de plus, les mirages de la ville ont attiré en masse les habitants du Nordeste et de l'intérieur du pays, alléchés par la perspective d'un emploi, d'un logement décent et des lumières de la capitale. " Nous croyons, écrivait Niemeyer au mois de juin 1960, que Brasilia sera une ville d'hommes libres et heureux, sans discriminations sociales et économiques; d'hommes qui sentent la vie dans toute sa grandeur et toute sa fragilité d'hommes qui comprennent la valeur des choses simples et pures-un geste d'amour, un mot d'affection, une pensée de solidarité. " Quinze ans de réalités quotidiennes ont apporté bien des démentis à ces propos optimistes. Il n'existe pas, en fait, une Brasilia, mais au moins deux : celle du " plan pilote " et celle des " cités satellites ", l'ensemble formant la capitale, érigée en district fédéral de Brasilia. Le " plan pilote " est la traduction fidèle, bien qu'inachevée, du grand dessein de Lucio Costa. Un ensemble géométrique, rationnel, moderne. Beaucoup d'uniformité dans la succession des quadras-même si la qualité et le confort de la construction sont inégaux. Une spécialisation des commerces parfois excessive. On aimerait, çà et là, un peu de fantaisie, un peu de désordre, davantage d'animation. A la différence de la plupart des capitales du monde, Brasilia souffre de l'étendue des espaces verts disséminés dans l'ensemble de la ville, et de la largeur de ses avenues. Il y manque encore un véritable centre-ville. Mais quelle capitale au monde pourrait se vanter d'avoir, en quinze ans, créé un centre-ville digne de ce nom ? Trois cent mille personnes habitent le " plan pilote ". Une grande partie d'entre eux, fonctionnaires transplantés de force, Cariocas de naissance et de coeur, regrettent encore les plages de Copacabana et les rues d'Ipanema. Mais les enfants, eux, apprécient les terrains de jeux des quadras. Et la pollution n'a pas encore atteint la cité, à l'exception du lac. Les réussites architecturales sont incontestables : la cathédrale, l'université, le palais présidentiel de l'Alvorada, la place des Trois-Pouvoirs, constituent d'heureux mélanges de simplicité et de noblesse. Si Sao-Paulo continue d'être la métropole industrielle et commerciale, si Rio-de-Janeiro reste le centre culturel, Brasilia est devenue la capitale politique du pays. Les uns après les autres, non sans résistance, les ministères et les ambassades sont venus au " plan pilote ". La situation, dans les villes satellites, est bien différente. Ici se sont rassemblés les plus pauvres, venus de toutes les régions du pays, les petits fonctionnaires, et ceux-là mêmes qui, après avoir construit le " plan pilote ", en ont été chassés par la spéculation foncière et le coût de la vie. Taguatinga, Gama, Sobradinho, Guara, Planaltina, Ceilândia, Brazlândia, Nucleo Bandeirante : plus de cinq cent mille personnes vivent là contre trois cent mille seulement dans le " plan pilote ". Les conditions de vie varient sensiblement d'une ville satellite à l'autre et à l'intérieur de chaque cité. Pour beaucoup, l'installation dans ces villes représente une amélioration de leur situation antérieure. Mais, souvent, on y trouve la misère, individuelle et collective. L'insuffisance de routes asphaltées, d'établissements de soins, d'écoles, d'emplois, d'équipements sanitaires, de moyens de transport et de télécommunications est criante. Le chômage, la prostitution, les séparations, la délinquance, l'analphabétisme, y atteignent des taux élevés. Brasilia la belle, la moderne, la puissante Brasilia la pauvre, cité du chômage, de l'exploitation, de la souffrance. Quel est le vrai visage de Brasilia ? La réponse ne fait pas de doute : l'un et l'autre sont indissociables. Avec ses riches et ses misérables, ses puissants et ses humbles, ses intellectuels et ses analphabètes, sa population venue de toutes les régions du Brésil, ses inégalités, ses contrastes, Brasilia n'est ni ce paradis terrestre annoncé par certains, ni cette capitale du désespoir dénoncée par d'autres. Elle est l'image fidèle du Brésil, avec ses problèmes et ses promesses. JEAN-PIERRE HOSS professeur à l'université de Brasilia. Le Monde du 1er-2 juin 1975

« d'hommes libres et heureux, sans discriminations sociales et économiques; d'hommes qui sentent la vie dans toute sa grandeur ettoute sa fragilité d'hommes qui comprennent la valeur des choses simples et pures-un geste d'amour, un mot d'affection, unepensée de solidarité.

" Quinze ans de réalités quotidiennes ont apporté bien des démentis à ces propos optimistes.

Il n'existe pas,en fait, une Brasilia, mais au moins deux : celle du " plan pilote " et celle des " cités satellites ", l'ensemble formant la capitale,érigée en district fédéral de Brasilia.

Le " plan pilote " est la traduction fidèle, bien qu'inachevée, du grand dessein de LucioCosta.

Un ensemble géométrique, rationnel, moderne.

Beaucoup d'uniformité dans la succession des quadras-même si la qualitéet le confort de la construction sont inégaux.

Une spécialisation des commerces parfois excessive.

On aimerait, çà et là, un peu defantaisie, un peu de désordre, davantage d'animation.

A la différence de la plupart des capitales du monde, Brasilia souffre del'étendue des espaces verts disséminés dans l'ensemble de la ville, et de la largeur de ses avenues.

Il y manque encore un véritablecentre-ville.

Mais quelle capitale au monde pourrait se vanter d'avoir, en quinze ans, créé un centre-ville digne de ce nom ? Trois cent mille personnes habitent le " plan pilote ".

Une grande partie d'entre eux, fonctionnaires transplantés de force,Cariocas de naissance et de coeur, regrettent encore les plages de Copacabana et les rues d'Ipanema.

Mais les enfants, eux,apprécient les terrains de jeux des quadras.

Et la pollution n'a pas encore atteint la cité, à l'exception du lac. Les réussites architecturales sont incontestables : la cathédrale, l'université, le palais présidentiel de l'Alvorada, la place desTrois-Pouvoirs, constituent d'heureux mélanges de simplicité et de noblesse.

Si Sao-Paulo continue d'être la métropoleindustrielle et commerciale, si Rio-de-Janeiro reste le centre culturel, Brasilia est devenue la capitale politique du pays.

Les unsaprès les autres, non sans résistance, les ministères et les ambassades sont venus au " plan pilote ". La situation, dans les villes satellites, est bien différente.

Ici se sont rassemblés les plus pauvres, venus de toutes les régions dupays, les petits fonctionnaires, et ceux-là mêmes qui, après avoir construit le " plan pilote ", en ont été chassés par la spéculationfoncière et le coût de la vie.

Taguatinga, Gama, Sobradinho, Guara, Planaltina, Ceilândia, Brazlândia, Nucleo Bandeirante : plusde cinq cent mille personnes vivent là contre trois cent mille seulement dans le " plan pilote ". Les conditions de vie varient sensiblement d'une ville satellite à l'autre et à l'intérieur de chaque cité.

Pour beaucoup, l'installationdans ces villes représente une amélioration de leur situation antérieure.

Mais, souvent, on y trouve la misère, individuelle etcollective.

L'insuffisance de routes asphaltées, d'établissements de soins, d'écoles, d'emplois, d'équipements sanitaires, de moyensde transport et de télécommunications est criante.

Le chômage, la prostitution, les séparations, la délinquance, l'analphabétisme, yatteignent des taux élevés. Brasilia la belle, la moderne, la puissante Brasilia la pauvre, cité du chômage, de l'exploitation, de la souffrance.

Quel est le vraivisage de Brasilia ? La réponse ne fait pas de doute : l'un et l'autre sont indissociables.

Avec ses riches et ses misérables, sespuissants et ses humbles, ses intellectuels et ses analphabètes, sa population venue de toutes les régions du Brésil, ses inégalités,ses contrastes, Brasilia n'est ni ce paradis terrestre annoncé par certains, ni cette capitale du désespoir dénoncée par d'autres. Elle est l'image fidèle du Brésil, avec ses problèmes et ses promesses. JEAN-PIERRE HOSS professeur à l'université de Brasilia. Le Monde du 1 er-2 juin 1975. »

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