Article de presse: Bandoung ou la mort du complexe d'infériorité
Publié le 17/01/2022
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pour détourner la colère des Afro-Asiatiques vers d'autres puissances alors coloniales, France et Pays-Bas notamment, et pourisoler l'Union soviétique de ses alliés potentiels du tiers-monde.
Ces arrière-pensées ne peuvent être négligées.
Mais ce qui frappa surtout les témoins, ce fut la maîtrise de soi et la maturitédont firent preuve la plupart des porte-parole de ce concile des pauvres.
Ce que craignaient bien des responsables et observateurs occidentaux, à commencer par le chef de la diplomatie américaine,John Foster Dulles, l'explosion d'une colère longtemps bâillonnée ou contenue, n'eut pas lieu.
Le mieux informé et le plus profonddes témoins du rendez-vous de Bandoung, Jean Rous, qui y représentait le " Congrès des peuples contre l'impérialisme ", put àbon droit relever que la conférence ne se donna jamais les allures d'une " grande foire de l'anticolonialisme " et que si les porte-parole de régimes féodaux comme l'était alors celui de l'Irak, ou néo-colonialistes comme le restait celui de Ceylan, firent assautde démagogie nationaliste, les représentants de régimes révolutionnaires comme ceux de Pékin et de Hanoï, et aussi peu suspectsde complaisance à l'égard du colonialisme que ceux du Caire et d'Accra, tinrent un langage empreint du sens des responsabilités.
Mieux que ceux dont on attendait qu'ils fussent les meneurs de jeu du grand " Jamboree " afro-asiatique, son inspirateur, Nehru,ou son hôte, Sukarno, deux hommes marquèrent l'ensemble des travaux de leur présence et de leurs propos : les premiersministres de la Chine et de l'Egypte.
Zhou Enlai avait déjà, l'année précédente, lors des négociations de Genève sur l'Indochine,administré la preuve de son talent et de son sens du compromis.
A Bandoung, il alla bien plus loin.
Ses interventions et sesdémarches manifestèrent la naissance d'une alliance avec le tiers-monde beaucoup plus forte et prometteuse que celle," objective ", déjà nouée par l'URSS avec certains Etats asiatiques.
Du succès de cette opération devait découler l'évolution de ladiplomatie chinoise vers une indépendance et une différenciation de plus en plus marquées par rapport à Moscou.
Le grandschisme sino-soviétique du début des années 60 est déjà en germe à Bandoung.
Quant à Gamal Abdel Nasser, il faut avoir été témoin de son départ du Caire, comme de son retour en Egypte, pour mesurer àquel point l'entreprise transforma aussi bien sa propre vision du monde que des rapports avec les forces " progressistes " dumonde arabe.
C'est à Bandoung que naît, en tant que concept, le " neutralisme positif ".
C'est à partir de Bandoung que la grande majorité de la gauche égyptienne et arabe soutient ardemment Nasser.
C'est deBandoung que date l'emprise exercée par les porte-parole de l'arabisme-à commencer par le Raïs égyptien-sur les assemblées etles masses du monde " sous-développé ".
Ainsi Bandoung marquait-il à la fois la soudure entre les ambitions d'une Asie déjà émancipée, mais encore engourdie de misèreet cisaillée de rivalités, et les aspirations de l'Afrique encore colonisée; et la convergence des intérêts, peut-être même desréflexes, entre le tiers-monde encore en quête d'une doctrine et le communisme rustique, celui de Pékin où les idéologues et lesstratèges allaient bientôt élaborer les théories de la contradiction principale entre hémisphères nord et sud et de l'encerclementprogressif des villes par les campagnes, de l'univers industriel par le monde rural.
Que les germes ainsi contenus dans le grand concile géopolitique d'avril 1955 n'aient pas tous fleuri, qu'à des titres diversNehru et Nasser, Sukarno et Lin Biao (ou ce qu'il parut représenter entre 1965 et 1971), aient été vaincus ou éliminés dans lesannées qui suivirent, ne doit pas conduire à minimiser aujourd'hui les apports de Bandoung.
Déjà étaient esquissées dans la première section du communiqué final du 24 avril 1955 les idées qui, de la réunion de laCNUCED de 1964 aux conférences d'Alger de 1967 et 1973, puis de 1975, allaient inspirer la lutte du monde en quête dedéveloppement: stabilisation du commerce, industrialisation, caractère multilatéral de l'aide, droit de regard sur les activités de laBanque internationale.
Une répétition générale
La conférence de Bandoung ne fut peut-être pas " l'événement le plus important depuis la Renaissance " qu'y a vu LéopoldSenghor.
Dans les décennies précédentes avaient eu lieu la révolution russe, la chinoise, l'explosion de la première bombeatomique...
Mais cette première rencontre des représentants des nations prolétaires signifiait au monde des nantis et des puissantsque l'ère du monopole de l'initiative historique s'achevait, que l'univers entier entendait désormais avoir voix au chapitre.
Le tiers-monde a connu depuis lors bien des déboires et mesuré les limites de son alliance avec les divers courants du camp socialisteaussi bien que la nature des libéralités de l'Occident.
Mais, en dépit des contradictions qui l'agitent et des impérialismes sectoriels qui se développent en son sein, le monde sorti àBandoung de sa longue aphasie et passé de l'ère du peuple-objet à celle des nations " sujets de l'histoire " démontre sa vitalité etune relative cohésion.
Ainsi les états généraux d'avril 1955 apparaissent-ils conformes à la description qu'en donnait alors Jean.
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