ARTICLE DE PRESSE: Accord sur la paix en Bosnie
Publié le 22/02/2012
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14 décembre 1995 - Les trois principaux protagonistes des guerres qui se sont livrées depuis quatre ans et demi dans l'ex-Yougoslavie les présidents de Serbie, Slobodan Milosevic, de Croatie, Franjo Tudjman, et de Bosnie, Alija Izetbegovic devaient signer, jeudi 14 décembre, l'accord de paix sur la Bosnie-Herzégovine, qui entrera en vigueur dès ce jour. La solennité de la cérémonie organisée à l'Elysée pour cette signature officielle, le nombre et la qualité des participants, témoignent de l'importance de l'événement pour une communauté internationale qui, pendant quatre années, n'a pas été capable de maîtriser les conflits dans la Yougoslavie et qui s'apprête à nouveau à engager des moyens considérables, militaires, civils et économiques, pour y parvenir en Bosnie sur la base de ce traité de paix.
Cet événement aurait eu une portée plus considérable encore si, en plus du règlement pour la Bosnie, avait pu être entériné à Paris un acte de reconnaissance mutuelle des républiques de Yougoslavie (Serbie et Montenegro), de Bosnie et de Croatie, comme le souhaitaient les Américains lorsqu'ils ont pris en main le processus de négociations et comme les Français avaient espéré y parvenir. Cette normalisation formelle et globale des relations entre les Etats de la région n'a pas été possible, en raison des problèmes encore non résolus qui opposent Zagreb et Belgrade, à propos de la région de Slavonie orientale seules les Républiques de Yougoslavie et de Bosnie devaient procéder à Paris à leur reconnaissance mutuelle.
" Jour J "
Une dizaine de chefs d'Etat et de gouvernements, près d'une quarantaine de ministres des affaires étrangères et de dirigeants d'organisations internationales étaient au rendez-vous, jeudi, en fin de matinée, sous les ors de la salle des fêtes du palais de l'Elysée. Parmi eux, les dirigeants des pays membres du " groupe de contact " sur l'ex-Yougoslavie (le président américain Bill Clinton, le premier ministre russe Viktor Tchernomyrdine, le chef de l'Etat français Jacques Chirac, le chancelier allemand Helmut Kohl, le premier ministre britannique John Major et Felipe Gonzalez en tant que président de l'Union européenne), allaient, en contre-signant l'accord sur la Bosnie, se porter garants de son application.
Le 14 décembre est donc le jour J à partir duquel la Bosnie- Herzégovine devient un Etat aux frontières inchangées, mais composé de deux entités (la Fédération croato-musulmane et la république serbe de Bosnie). Reflet des combats qui se sont livrés ces dernières années et des déplacements massifs de population qu'ils ont entraînés, ce découpage territorial et administratif du pays suit, dans une large mesure, les lignes de front qui s'étaient établies lorsque fut conclu le cessez-le-feu, début octobre. Sarajevo est l'une des exceptions, puisque l'accord prévoit que les quartiers serbes, d'où fut organisé pendant plus de trois ans le siège du reste de la ville, seront réintégrés à la capitale sous administration bosniaque. C'est l'un des points de friction majeurs qui demeurent : les Serbes installés dans ces quartiers ont massivement refusé le plan de paix le 13 décembre. Sarajevo, où sera déployé le contingent français de la force de paix, sera l'un des premiers tests cruciaux de la mise en application de l'accord.
Pour les aspects militaires du plan de paix (la séparation des forces, les mesures de " confiance " entre armées et de contrôle des armements), le " jour J " est fixé au 19 décembre, date à laquelle les Casques bleus vont changer de béret et la Forpronu transférer son autorité à l'IFOR, la force multinationale constituée sous commandement de l'OTAN, avec la participation de 20 000 soldats américains. Elle obéira à des règles d'engagement fondamentalement différentes de celles qui s'imposaient à la force de l'ONU et qui l'ont trop longtemps paralysée.
Mesures " de confiance "
C'est à cet aspect militaire du rétablissement de la paix que se sont essentiellement intéressés les Américains, comme en témoignent encore une fois les engagements que Bill Clinton a dû prendre mardi envers le sénat. Pour pouvoir engager ses soldats en Bosnie, le président Clinton a dû préparer les conditions de leur retrait, qui pourrait survenir d'ici un an environ, avant les élections présidentielles américaines. Du point de vue de Washington, c'est l'équilibre des forces qui fournira la meilleure garantie de non reprise des combats au terme de cette période les Américains ont voulu que la levée progressive de l'embargo sur les armes soit prévue dans l'accord : ils se sont engagés à entraîner l'armée bosniaque et à veiller à ce qu'elle puisse s'approvisionner en armements. Cette logique de la dissuasion est aussi une logique de partition, à terme, de l'Etat bosniaque, considérée depuis le début à Washington comme un moindre mal si elle s'opère par des voies pacifiques.
Partant d'une approche assez radicalement opposée, les Européens ont veillé de leur côté à ce que soient inclues dans l'accord le maximum de mesures " de confiance ", de stabilisation entre armées et de contrôle des armements. Ils se sont efforcés d'enrichir les chapitres du texte qui ont trait aux aspects civils du rétablissement de la paix, aux réfugiés, à la restauration de liens inter-communautaires, et de préserver autant que possible les chances de la réconciliation et de la reconstruction d'une Bosnie unitaire et pluriculturelle. Le texte signé ce jeudi laisse ouverte l'évolution de la Bosnie entre ces deux options opposées.
La France avait tenu à élargir le cercle des participants aux pays membres de l'organisation de la conférence islamique (OCI), dont les ministres des affaires étrangères étaient réunis mercredi à Royaumont. Le sort des Musulmans bosniaques, victimes d'une guerre d'agression, et l'incapacité des grandes puissances à leur venir en aide ont alimenté ces dernières années dans plusieurs de ces pays un fort mouvement d'opinion anti-occidental.
CLAIRE TREAN
Le Monde du 15 décembre 1995
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