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Article de presse: Abane Ramdane : un destin tragique

Publié le 17/01/2022

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26 décembre 1957 - Personnage méconnu, au destin tragique, Abane Ramdane est probablement l'homme qui a le plus marqué de son empreinte les premières années de la révolution algérienne et lui a donné un élan décisif. Il ne fait pourtant pas partie des " Fils de la Toussaint ", de cette poignée d'hommes qui, las des querelles internes divisant le mouvement nationaliste et le condamnant à l'impuissance, ont choisi, le 1er novembre 1954, d'affronter les armes à la main la puissance coloniale. Cet homme austère et intransigeant, né en 1919 à Azouza en Kabylie, dans une famille modeste, ne rejoint les rangs du Front de libération nationale (FLN), organisation alors presque inconnue, qu'en mars 1955. La recrue est de choix. Avec son baccalauréat, Abane Ramdane fait en effet figure d'intellectuel. Ce diplôme, auquel bien peu d'Algériens avaient accès, ne l'a conduit qu'à un poste de secrétaire adjoint de mairie après un service militaire accompli comme sergent. En revanche, il est vite devenu l'un des chefs clandestins du mouvement nationaliste. Responsable de la région de Sétif, il est arrêté en 1950 et condamné à cinq ans de prison. Il en profite pour compléter sa culture. Lorsque Ouamrane, l'adjoint de Krim Belkacem, chef incontesté et prestigieux des maquisards kabyles, lui demande de rejoindre le FLN, il vient à peine d'être libéré et se trouve assigné à résidence dans son douar natal. Il replonge aussitôt dans la clandestinité et se voit confier la responsabilité de développer le Front à Alger. Il donne alors toute la mesure de son sens politique et de son talent d'organisateur. Il met d'emblée l'accent sur la propagande et sur la collecte des fonds. C'est lui qui rédige, le 1er avril 1955, le premier tract publié par le FLN depuis la proclamation du 1er novembre 1954, comme c'est lui qui écrira quelques mois plus tard le premier éditorial d'el Moudjahid (le Combattant), journal de la révolution. Il s'emploie avec succès à amener au Front la petite et moyenne bourgeoisie algérienne, les commerçants, les notables. Il est l'artisan en mai 1955 du ralliement à la lutte armée des leaders modérés tels que Ferhat Abbas, qui deviendra le premier président du gouvernement provisoire de la République algérienne. Il obtient aussi l'adhésion au Front de dirigeants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), le parti de Messali Hadj, matrice du FLN, qui tels Ben Khedda et Saad Dahlab rompent ainsi définitivement avec le vieux leader empêtré dans son rôle de personnage historique et ses contradictions. C'est encore Abane Ramdane qui en décembre 1955 décide avec Larbi Ben M'Hidi et Yacef Saadi de déclencher dans la capitale la guérilla urbaine. Au congrès de la Soummam réuni en août 1956, Abane Ramdane joue un rôle déterminant et voit consacrer ses thèses : il obtient l'entrée dans l'instance dirigeante du Front de " politiques " ralliés au FLN. Il fait consacrer la primauté de l'intérieur sur l'extérieur. Alger est érigé en zone autonome. Lui-même, au sein de la direction collective de cinq membres mise en place, se voit confier les questions politiques et financières. Son influence est à son apogée. Au début de 1957, la bataille d'Alger tourne au désastre. Les réseaux du FLN s'effondrent sous la poussée des unités parachutistes du général Massu. Lardi Ben M'Hidi est capturé puis fusillé. Yacef Saadi, " patron " des commandos de la Casbah, est traqué. Abane Ramdane doit fuir. Il gagne le Maroc, puis Tunis. Cet homme d'action auquel les autres responsables de la rébellion reprochent d'avoir déclenché inconsidérément la bataille d'Alger va alors s'aigrir dans l'exil. Violent, impulsif, il ne ménage pas ses critiques aux militaires, dont il dénonce les méthodes expéditives. Il s'en prend particulièrement au colonel Boussouf, chef de la Wilaya 5 (Oranie) dont l'adjoint n'est autre que Houari Boumediène, le futur chef de l'Etat algérien. Il s'oppose aussi toujours avec véhémence à son ennemi juré Ahmed Ben Bella, emprisonné en France. En août 1957, lors de la réunion à Tunis du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), il est mis en minorité. Les militaires, y compris son ancien allié Krim Belkacem, se coalisent contre lui et s'assurent du pouvoir. Abane Ramdane ne désarme pas et entreprend contre eux, au nom des idéaux de la révolution une campagne systématique. Son action est qualifiée de fractionniste. En décembre 1957, il est attiré au Maroc et exécuté dans des conditions encore mal éclaircies, sur l'ordre, semble-t-il, du colonel Boussouf. Il a trente-huit ans. Les dirigeants s'emploient à garder le secret sur cet assassinat. Le 29 mai 1960, el Moudjahid annonce en quelques lignes la mort au combat d'Abane Ramdane. La vérité ne sera connue qu'après la fin de la guerre, à la suite d'une enquête du journaliste Yves Courrière, qui n'éclaircit pas totalement cet épisode particulièrement tragique de la révolution algérienne. DANIEL JUNQUA Octobre 1985

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