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Aristote - ÉTHIQUE DE NICOMAQUE - Livre II, chapitre I.

Publié le 16/03/2010

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La vertu apparaît sous un double aspect, l'un intellectuel, l'autre moral ; la vertu intellectuelle provient en majeure partie de l'instruction, dont elle a besoin pour se manifester et se développer ; aussi exige-t-elle de la pratique et du temps, tandis que la vertu morale est fille des bonnes habitudes ; de là vient que, par un léger changement, du terme moeurs sort le terme moral. Cette constatation montre clairement qu'aucune des vertus morales ne naît naturellement en nous ; en effet, rien ne peut modifier l'habitude donnée par la nature ; par exemple, la pierre qu'entraîne la pesanteur ne peut contracter l'habitude contraire, même si, un nombre incalculable de fois, on la jette en l'air ; le feu monte et ne saurait descendre ; et il en va de même pour tous les corps, qui ne peuvent modifier leur habitude originelle. Ce n'est donc ni par un effet de la nature, ni contrairement à la nature que les vertus naissent en nous ; nous sommes naturellement prédisposés à les acquérir, à condition de les perfectionner par l'habitude. De plus, pour tout ce qui nous est donné par la nature, nous n'obtenons d'elle que des dispositions, des possibilités ; c'est à nous ensuite à les faire passer à l'acte. Cela est visible en ce qui concerne les sens ; car ce n'est pas par de fréquentes sensations de la vue et de l'ouïe que nous avons acquis ces deux sens ; bien au contraire, nous les possédions déjà et nous les avons employés ; ce n'est pas l'usage qui nous les a donnés. Quant aux vertus, nous les acquérons d'abord par l'exercice, comme il arrive également dans les arts et les métiers. Ce que nous devons exécuter après une étude préalable, nous l'apprenons par la pratique ; par exemple, c'est en bâtissant que l'on devient architecte, en jouant de la cithare que l'on devient citharède. De même, c'est à force de pratiquer la justice, la tempérance et le courage que nous devenons justes, tempérants et courageux. La preuve en est ce qui se passe ordinairement dans les cités ; les législateurs, en les habituant, forment les citoyens à la vertu. Et c'est bien là l'intention de tout législateur. Tous ceux qui ne s'y prennent pas ainsi manquent leur but, attendu que c'est par là seulement qu'une cité diffère d'une autre cité, et une bonne cité d'une mauvaise. En outre, les mêmes causes expliquent encore la naissance et l'altération de toute vertu, comme de toute technique. C'est par la pratique de la cithare que se forment les bons et les mauvais musiciens. Il en va de même pour les architectes et les autres spécialistes. A force de bien ou de mal construire, l'on devient bon ou mauvais architecte. S'il n'en était pas ainsi, on n'aurait pas le moins du monde besoin des leçons d'un maître et l'on serait de naissance bon ou mauvais spécialiste. Il en va donc de même des vertus. C'est par nos manières d'observer les contrats avec nos semblables que nous devenons, les uns justes, les autres injustes. À force d'affronter les situations dangereuses et de nous habituer à la crainte et à l'audace, nous devenons courageux ou pusillanimes. Il n'en va pas autrement en ce qui concerne le désir et la colère ; les uns arrivent à la tempérance et à la douceur, les autres à l'intempérance et à l'irascibilité, parce que la manière de se comporter des uns et des autres est différente. Et, en un mot, des activités semblables créent des dispositions correspondantes. Aussi faut-il exercer nos activités d'une manière déterminée ; car les différences de conduite engendrent des habitudes différentes. La façon dont on est élevé dès l'enfance n'a pas, dans ces conditions, une mince importance. Que dis-je ? Cette importance est extrême, elle est tout à fait essentielle. [...]

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