En janvier 1929 est publié le premier numéro de la revue trimestrielle Annales d’histoire économique et sociale, sous la codirection de Marc Bloc et Lucien Febvre. Cette entreprise éditoriale d’avant-garde, située à Strasbourg, où enseignent ses fondateurs, allait bouleverser les conceptions du métier d’historien qui faisaient autorité jusqu’alors, en revendiquant des ruptures avec l’histoire du « tout politique «, l’histoire événementielle et l’histoire biographique. Dans le bref texte introductif sont précisés les objectifs de la publication : l’histoire économique et sociale sera privilégiée ; les frontières entre les différentes sciences sociales — la plupart étant alors de toutes jeunes sciences, telle la sociologie — seront abolies ; l’histoire du temps présent deviendra un véritable objet d’enquête et la longue durée, le cadre des recherches. Dans les années soixante, sous la direction de Fernand Braudel, les Annales deviendront la revue historique la plus importante en France et dans le monde.
La naissance des Annales d’histoire économique et sociale
En janvier 1929 paraîtra à la librairie Armand Colin le premier numéro des Annales d’histoire économique et sociale.
De nos jours, plus que jamais, les esprits se passionnent pour les problèmes économiques. En France, comme à peu près en tous pays d’ailleurs, deux sortes de revues se proposent de satisfaire leur curiosité grandissante.
Les premières, rédigées par des historiens, se limitent au passé. Les autres, groupant des économistes, des techniciens et des hommes mêlés à la vie des affaires, n’ont de regard que pour le présent. Un fossé arbitraire est ainsi creusé entre un monde antique et médiéval considéré comme mort et un monde moderne censé autonome, enivré de sa puissance matérielle et se regardant comme le fils de ses seules œuvres. Comment cependant comprendre une époque, quelle qu’elle soit, comment en discerner avec sûreté les grands courants sans l’intelligence approfondie de ce qui, dans le temps, l’a précédée ? Comment, d’autre part, décrire et analyser les phénomènes économiques, même les plus lointains, sans une initiation technique que, seule, l’étude de la réalité vivante d’aujourd’hui est capable de donner ? Il est essentiel d’amener, entre deux catégories de chercheurs que préoccupent les mêmes problèmes, un rapprochement, des échanges, et, finalement, une collaboration permanente et féconde. À voisiner les uns avec les autres, à travailler ensemble, ces hommes ont tous quelque chose à gagner.
Établir ce rapprochement, unir au lieu de diviser, tel est le but, telle est l’ambition des Annales d’histoire économique et sociale.
Elles ne seront l’œuvre ou l’organe ni d’une école, ni d’un parti. La composition de leur comité de rédaction, la liste de leurs premiers collaborateurs en sont la preuve éclatante.
Elles parcourront tout le champ continu de l’histoire universelle, demandant, bien entendu, aux études sur le présent le même sérieux et la même objectivité qu’aux recherches sur le passé. Les suggestions pratiques ont ailleurs leur place légitime. Ici, nous n’aiderons les hommes d’action qu’en leur offrant le moyen de mieux connaître leur temps : il est permis de penser que c’est déjà beaucoup.
Plus de coupure, enfin, entre les économies dites civilisées et les économies primitives, qui subsistent toujours, côte à côte, dans ces vastes domaines d’Asie, d’Afrique, d’Océanie, dont il faut qu’on explore, après les fleuves et les monts, les hommes et les sociétés humaines : leur connaissance n’importe pas moins à l’historien qu’au réalisateur. […]
Source : Marc Bloch - Lucien Febvre, Correspondance, volume I : la Naissance des Annales 1928-1933, Paris, Fayard, 1994.
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