Agamemnon - Eschyle : La prise de Troie

Aujourd'hui est la journée où les Grecs tiennent Troie.

Je crois entendre la cité qui retentit de deux clameurs qui ne se fondent pas.

Si tu verses ensemble l'huile et le vinaigre dans un bol pour une liaison,

Ils s'écartent l'un de l'autre et se refusent à l'union.

Ainsi tu peux entendre la double voix des vaincus et des vainqueurs,

Bien séparés comme l'est aussi le double destin de leurs cœurs.

Les uns sont couchés sur les corps et tombés à terre

Sur les corps de leurs parents et sur les corps de leurs frères,

Et les enfants sur les vieillards, et leur gorge est esclave désormais

Qui ulule sur la mort de tout ce qu'ils ont aimé.

Les autres, la peine du combat les a transformés en vagabonds de la nuit,

Et ils sont affamés maintenant et ils cherchent ce que pour leur déjeuner la ville a à leur offrir,

Mais il n'y a pas de billet de logement qui puisse les rassembler,

Et c'est le hasard, et le sort que chacun a tiré,

Qui leur a donné les maisons des Troyens mises à sac,

Et ils s'y installent, et ils sont délivrés de la gelée du bivouac,

Et de la rosée de l'aube, et ils vont dormir comme des gueux,

Toute la nuit, sans avoir plus besoin de garde autour d'eux !

Et s'ils ont le respect des dieux de la cité,

Et des sanctuaires nationaux du pays défait

Alors ils n'auront pas à craindre d'être battus un jour après avoir été vainqueurs !

Mais il faut pour cela que le soldat ne sente pas dominer dans son cœur

L'amour du gain, et les pillages interdits.

Il lui reste encore à revenir sans dommage dans sa patrie,

A reprendre le chemin qu'il a déjà parcouru à l'aller

Et même si l'armée était sans reproche devant les divinités,

Il reste le mal fait aux morts qui peut se réveiller à son tour

Et qui peut diriger ses coups sur les coupables, un beau jour.