Affections et passions : colère et haine
Publié le 30/03/2014
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Affections et passions sont essentiellement distinctes ; les premières relèvent du sentiment dans la mesure où celui-ci, précédant la réflexion, la rend impossible ou plus difficile. C'est pourquoi on dit l'affection soudaine ou brusque (animus praecepts) et la raison, par le concept de vertu, dit qu'on doit se contenir ; pourtant cette faiblesse dans l'usage de notre entendement, jointe à la force du mouvement de l'âme, n'est qu'une non-vertu et pour ainsi dire quelque chose de puéril et de faible, qui peut très bien être compatible avec la meilleure volonté et a encore uniquement ceci de bon que la tempête cessera bientôt. La propension à une affection (par exemple à la colère) ne s'allie pas avec le vice aussi bien que la passion. La passion, en revanche, est un désir sensible devenu penchant constant (par exemple la haine par opposition à la colère). Le calme avec lequel on s'y livre laisse place à la réflexion et permet à l'esprit de se forger des principes à ce sujet, et ainsi, lorsque le penchant porte sur ce qui est contraire à la loi, de le couver, de le laisser prendre de profondes racines et par là d'accueillir (délibérément) le mal en ses maximes, lequel est alors un mal qualifié, c'est-à-dire un véritable vice.
La vertu donc, dans la mesure où elle est fondée sur la liberté interne, comporte aussi pour les hommes un commandement positif, celui de mettre en sa puissance (celle de la raison) toutes leurs facultés et tous leurs penchants, par conséquent le commandement d'avoir de l'empire sur soi-même, lequel vient s'ajouter à la défense de se laisser dominer par ses sentiments et penchants (c'est le devoir d'apathie) ; car si la raison ne prend pas en main les rênes du gouvernement, ils se mettent à jouer les maîtres de l'homme.
E. Kant, Doctrine de la vertu, t. III, introd. XVII, Gallimard, 1986.
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